« Le grognard est un vieux brave qui est toujours mécontent et qui veut toujours l’être parce que cela lui fait plaisir », écrit Charlet en 1835 dans son Abécédaire moral et philosophique à l’usage des grands et des petits enfants (publié à Paris, chez Gihaut). L’air renfrogné, tout comme la pipe ou le bonnet à poils sont indissociables de l’image laissée par l’artiste du grenadier de la Garde. Son uniforme est peint avec exactitude : âgé de 23 ans à la chute de l’Empire en 1814, Charlet a bien connu les soldats de la Grande Armée et s’aide pour ses compositions de mannequins et de costumes. Les victoires impériales nourrissent le patriotisme de ce jeune fils d’un dragon de la République, puis, au retour des Bourbons sur le trône, sa nostalgie d’une certaine grandeur. Dans son souvenir, la stature des militaires de Napoléon se fait plus imposante ; Charlet s’attache à représenter un type précis d’homme, celui d’expérience, au front buriné, au regard lointain et résolu.
A cette détermination correspond la touche hardie, pleine d’énergie, déployée par le peintre dans cette toile. Il se rappelle certainement son apprentissage à partir de 1817 auprès de Jean-Antoine Gros (1771-1835), le peintre déjà préromantique des batailles impériales. Encouragé par son maître et aimant créer avec rapidité sous le coup de l’inspiration, Charlet peut donner libre cours à son talent par le biais de la lithographie. La technique picturale ne lui permet en revanche pas toujours d’exprimer pleinement son tempérament d’artiste et il demeure souvent insatisfait de ses tableaux. De celui-ci, il devait pourtant tirer fierté car s’y retrouvent toute la verve et la vigueur qui firent le succès de ses planches. Constante dans son œuvre, le paysage est particulièrement réussi.
Sous ce ciel imposant, se détache une petite silhouette : Napoléon. Bien que représenté au loin et sans détails superflus, l’Empereur est immédiatement reconnaissable. Charlet ne retient ici que l’essentiel ou plutôt l’essence même : le destin du grand homme. L’artiste se situe ainsi dans la construction de la légende à laquelle il adhère en illustrant notamment le Mémorial de Sainte-Hélène en 1842 (paru à Paris, chez Bourdain). Pour cette raison, Charlet est souvent comparé à Pierre-Jean de Béranger (1780-1857) dont il orne d’ailleurs des recueils de paroles. En chansons ou par l’image, le culte de l’Empereur est donc bien gardé, le grenadier de la Garde en sentinelle pour y veiller.
Elodie Lerner, juin 2009
Ce tableau figurait à l’exposition Nicolas-Toussaint Charlet (1792-1845), aux origines de la légende napoléonienne, présentée à la Bibliothèque Paul Marmottan de Boulogne, 5 mars – 27 juin 2009.
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