L’attentat d’Orsini devant la façade de l’Opéra, le 14 janvier 1858

Artiste(s) : VITTORI H.
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L’attentat d’Orsini devant la façade de l’Opéra, le 14 janvier 1858
L'attentat d'Orsini devant la façade de l'Opéra le 14 janvier 1858, par H. Vittori © Musée Carnavalet Histoire de Paris

Signé et daté au recto du tableau, « H. Vittori Romano 1862 », ce tableau, œuvre d’un peintre italien assez obscur, H. Vittori, met en scène l’attentat mené par le révolutionnaire italien Felice Orsini contre Napoléon III.

Le 14 janvier 1858, l’Empereur et l’Impératrice se rendent en soirée à l’Opéra (au fond à gauche, sur le tableau), qui se trouve alors au numéro 12 de la rue Le Peletier, à Paris. Haut-lieu de la vie mondaine construit en 1821, où il est bon d’être vu, l’Opéra est appelé « Académie impériale de musique » depuis 1852 (le terme royal a été remplacé avec l’avènement du Second Empire). Cet établissement a succédé à la Salle Montansier de la rue de Richelieu, rasée par le roi Louis XVIII en 1820 après l’assassinat le 13 février en ces lieux de Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry et fils du futur Charles X.

Vue de la nouvelle salle de l'Opéra prise de la rue de Provence © New York Public Library Digital Collections.
Vue de la nouvelle salle de l’Opéra prise de la rue de Provence © New York Public Library Digital Collections

 

Ce soir d’hiver, vers 20h30, le cortège du couple impérial arrive à l’Opéra, comme attendu et placardé publiquement. Une première voiture véhiculant des officiers de la Maison de l’Empereur puis une escorte de lanciers de la Garde impériale précèdent la dernière voiture impériale où les souverains sont en compagnie du général Roguet, ancien page de Napoléon Ier devenu aide de camp du Prince-Président Louis Napoléon Bonaparte puis celui de Napoléon III. Les souverains doivent assister à un concert exceptionnel, donné au bénéfice du chanteur d’opéra Eugène Massol pour sa retraite. Devront être joués Marie Stuart, La Muette par Massol lui-même et Guillaume Tell, sur la danse du Bal masqué de Gustave.
Lorsque le couple impérial arrive à hauteur de l’entrée principale du péristyle de l’Opéra, trois explosions retentissent successivement devant, à gauche et sous leur voiture. Les vitres et les becs de gaz de l’édifice de divertissement et des maisons voisines sont soufflés ; de gros cratères perforent le sol de la rue Le Peletier tandis que de nombreux blessés le jonchent.
Malgré les soixante-seize impacts relevés sur leur voiture, qui a été basculée sur le côté par le souffle des trois bombes, Napoléon III et Eugénie sont indemnes : leur voiture « blindée », protégée par des plaques de fer placées dans le plancher et les parois, les a sauvés. Les chevaux de leur attelage sont l’un mort sur le coup et l’autre grièvement blessé au point d’être euthanasié ; le général Roguet, assis sur le devant de la voiture, a perdu beaucoup de sang, atteint du cou à la clavicule par une des bombes. En tout, ce sont quelque 156 personnes (dont 21 femmes, 13 lanciers, 11 gardes de Paris, 31 agents de la préfecture de Police) qui sont blessées alentours. Huit décèdent des suites de leurs blessures, rappelle le supplément du dimanche du Figaro en date du 19 mars 1881, où un article de fond est consacré aux « machines infernales ».
Malgré l’attentat, le couple impérial assiste à la représentation et quitte le théâtre à minuit : l’objectif est de rassurer immédiatement l’opinion publique sur leur état de santé.

Grenade de type Orsini © Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais - Fanny Reynaud
Grenade de type Orsini © Paris – Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais – Fanny Reynaud

 

La police arrête presque aussitôt les coupables. Pieri, tout d’abord, est appréhendé quelques minutes avant l’exécution de l’attentat, reconnu par un gardien de la Paix, rue Le Peletier comme conspirateur déjà recherché et interdit de séjour en France. Il a été retrouvé armé d’une bombe fulminante (cf. ci-dessus), d’un pistolet, d’un poignard et d’argent, français et britannique. Un certain Gomez est quant à lui retrouvé haletant, suspect, dans un restaurant non loin de l’Opéra. Un complice, Da Silva alias Charles De Rudio, est arrêté à son tour dans la nuit, après avoir été dénoncé par Pieri. Au petit matin, c’est au tour d’Allsop, soi-disant ressortissent britannique, d’être appréhendé par les policiers ; il s’agit en fait d’Orsini, Italien d’origine romaine. Tous reconnaissent très facilement leur implication dans l’attentat, le revendiquant comme acte politique. L’enquête prouve qu’ils ont conspiré ensemble depuis le sol britannique pour préparer leurs bombes en vue de leur régicide. La mise en accusation des quatre individus est rapidement officialisée, le 13 février 1858.

Très vite, Felice Orsini (1819-1858), comte de son état, apparaît comme la tête pensante de l’opération. Fils de Carbonaro, lui-même partisan de l’unification de l’Italie sous la bannière de Mazzini, Orsini reproche à Napoléon III d’avoir trahi la cause qui lui était chère dans sa propre jeunesse, lui qui soutenait les pro-républicains italiens quand il était encore Louis-Napoléon Bonaparte. Orsini n’a pas supporté que le Prince-Président soutienne le Pape en 1849 contre la République romaine et mette à mal la cause prônée par Garibaldi et défendue par les Carbonari.

Portrait de Felice Orsini (1819 - 1858) auteur de l'attentat du 14 janvier 1858 contre Napoléon III. Peinture de Louis Bucheister. Italie. Huile sur toile. Paris, Musée Carnavalet. <br>© AFP / JOSSE / LEEMAGE
Portrait de Felice Orsini (1819 – 1858) auteur de l’attentat du 14 janvier 1858 contre Napoléon III. Peinture de Louis Bucheister. Italie. Huile sur toile. Paris, Musée Carnavalet.
© AFP / JOSSE / LEEMAGE

 

Lui, Pieri et Gomez ne commentent pas leur procès, dans l’attente du verdict, tandis que Rudio fait appel à la clémence du tribunal. Les délibérations durent une demi-heure. Orsini est condamné avec Pieri et Rudio à la peine capitale, administrée en cas de parricide, auquel le régicide est assimilé par les articles 86, 89 et 506 du Code pénal. Gomez est condamné aux travaux forcés à perpétuité, peine finalement appliquée à Rudio également. Aucun ne fera appel de ce jugement (→ Lire la relation du procès d’Orsini, de Rudio, Gomez, Pierri et Bernard. Attentat du 14 janvier 1858… Cour d’assises de la Seine, audiences des 25 et 26 février 1858. [Débats, réquisitoire de Chaix d’Est-Ange, plaidoiries de Jules Favre. Nogent Saint-Laurent, Nicolet et Mathieu], par Jules Favre, avocat des accusés).

Avant son exécution, Orsini interpelle Napoléon III dans plusieurs lettres, l’enjoignant à « rendre à l’Italie l’indépendance que ses enfants ont perdue en 1849, par le fait des Français ». II poursuit ce testament en forme de vœu politique : « Que votre Majesté se rappelle que les Italiens, au milieu desquels était mon père, ont versé leur sang pour Napoléon le Grand, partout où il lui plut de les conduire ; qu’elle se rappelle que, tant que l’Italie ne sera pas indépendante, la tranquillité de l’Europe et celle de votre Majesté ne seront qu’une chimère : que votre Majesté ne repousse pas le vœu suprême d’un patriote sur les marches de l’échafaud ; qu’elle délivre ma patrie, et les bénédictions de 25 millions de citoyens la suivront dans la postérité. »
Le 13 mars 1858, à 7h du matin, les deux condamnés à mort sont exécutés place de la Roquette, dans le calme et le silence de la foule « en présence de cette juste et légitime expiation » (→ Lire le compte rendu de l’exécution d’Orsini et Pierri, le 13 mars 1858).

L’injonction d’Orsini adressée à Napoléon III a-t-elle influencé directement la politique extérieure de l’Empereur ? C’est plus qu’improbable mais, de fait, un infléchissement de sa vision de l’Europe se produit quelques mois plus tard, quand il accepte de rencontrer le comte de Cavour, éminent promoteur libéral de l’unité italienne, lors de leur entrevue à Plombières, le 21 juillet 1858.
L’attentat n’est pas sans conséquence, dans tous les cas, à l’intérieur de l’Empire : la sécurité autour de la personne de l’Empereur est renforcée à partir de cet événement et la répression est considérablement renforcée par la loi des suspects du 27 février 1858 puisqu’elle permet d’extrader des opposants au régime impérial, voire toute personne susceptible de délit politique depuis 1848. Désormais, qui ne fait pas allégeance à Napoléon III ne peut être élu au Corps législatif. Un conseil de l’Empereur, qui peut se substituer à lui en cas de décès brutal, est également mis en place :  Napoléon III a pris conscience de la fragilité du régime en cas de son décès. Enfin, le général Espinasse, réputé pour sa rigidité, prend la tête du ministère de l’Intérieur en remplacement d’Adolphe Billault ; le ministère est d’ailleurs rebaptisé de manière éloquente à cette occasion « ministère de l’Intérieur et de la Sûreté générale »
Les Républicains ne manqueront pas de faire de cet attentat un tournant dans le despotisme de Napoléon III si bien qu’encore en 1872 circulent des pamphlets pour raconter une « vraie » histoire du complot et faire d’Orsini une figure d’héroïsme, véritable victime expiatoire d’un régime tyrannique.
Autre conséquence, la décision de l’Empereur de faire construire un nouvel Opéra, dans un emplacement dégagé et disposant d’une entrée protégée pour la voiture impériale : ce sera l’Opéra Garnier.
Le tableau de Vittori sera acquis en 1892 par le musée Carnavalet.

Marie de Bruchard, janvier 2020

Pour aller plus loin :

  • Un article de Gilles Pécout, Professeur des universités à l’École normale supérieure (Ulm) et directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études : « Felice Orsini et la double victoire politique de Napoléon III et de Cavour » in D’Italie et d’ailleurs. Mélanges en l’honneur de Pierre Milza, 2004, Presses universitaires de Rennes
  • L’ouragan homicide. L’attentat politique en France au XIXe siècle, Karine Salomé, Champ Vallon, 2011, consultable à la bibliothèque Martial-Lapeyre

À écouter :

Date :
1862
Technique :
Huile sur toile
Dimensions :
H = 110 cm, L = 171 cm
Lieux de conservation :
Musée Carnavalet, Histoire de Paris, P 302
Crédits :
© Musée Carnavalet
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