Le Bain turc

Artiste(s) : INGRES Jean Auguste Dominique
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Le Bain turc

Les baigneuses et les odalisques, tant de fois peintes par Ingres, témoignent de la fascination de l’artiste pour le nu féminin et de sa recherche d’un idéal de perfection classique. Cette quête presque obsessionnelle atteignit son paroxysme à la fin de sa carrière dans Le Bain turc, un tableau à la genèse complexe. Il semble qu’une première version ait été commencée pour le comte Demidoff vers 1852. C’est finalement au prince Napoléon qu’une version au format rectangulaire est livrée en décembre 1859 avant d’être bientôt rendue à l’artiste, apparemment dès le début de 1860, le prince « s’en étant vite dégoûté[e] », ainsi que nous l’apprend Philippe de Chennevières dans ses Souvenirs d’un directeur des Beaux-Arts. En réalité, la pudeur de la princesse Clotilde avait été offusquée par ce gynécée aux accents saphiques et le tableau avait été rapidement retourné au peintre qui retailla alors la toile, lui donnant son actuel format circulaire. Portant en bas à gauche l’inscription « J. Ingres Pinxt . MDCCCLXII Aetatis LXXXII », le tableau souligne avec fierté, comme dans ses autres compositions de vieillesse, l’âge avancé de l’artiste. On sait cependant que bien que datée de 1862, Ingres retravailla l’œuvre jusqu’en 1863.

Dans Le Bain turc, Ingres a donné libre cours à sa vision idéalisée d’un orient rêvé, redécouvert notamment à travers la lecture des Lettres d’une ambassadrice anglaise en Turquie au XVIIIe siècle. Ces lettres, écrites par l’épouse de l’ambassadeur d’Angleterre à Istanbul, Lady Montague, donnent la description détaillée d’une visite aux bains de femmes à Andrinople en 1716, source d’inspiration majeure pour Le Bain turc.
Si au premier abord cette scène de harem ne semble qu’une débauche de corps alanguis dont émane une lourde volupté, au-delà d’une ultime rêverie érotique à la sensualité un peu trop appuyée, Le Bain turc forme une synthèse des recherches plastiques de l’artiste, reprenant, mélangeant, recomposant des corps et des attitudes qui jalonnèrent toute son œuvre. Figure clef du Bain turc, la Baigneuse Valpinçon peinte en 1808, qui avait déjà resurgi dans une composition de 1826, Intérieur de harem, devient ici la musicienne au luth, de dos au premier plan. Cet assemblage d’études résonne comme une symphonie formelle de lignes, d’arabesques et de courbes auxquelles répond le format en tondo de la toile, une exaltation de la chair pleine, lisse, idéalisée et de la fermeté du modelé.

Le Bain turc n’avait été présenté qu’à un cercle restreint dans l’atelier de l’artiste en 1864 mais déjà un parfum de scandale entourait cette œuvre maîtresse du grand Ingres. Vendu 32 000 francs en 1867 à Khalil Bey, fameux collectionneur ancien ambassadeur de Turquie qui possédait également L’origine du monde de Courbet, l’œuvre ne fut dévoilée au grand public qu’au Salon d’Automne de 1905 provoquant l’enthousiasme de Picasso ou de Matisse.

Karine Huguenaud
mars 2012

Date :
1862
Technique :
toile marouflée sur panneau de bois contreplaqué et parqueté
Dimensions :
H = 1,10 m, L = 1,10 m
Lieux de conservation :
Paris, musée du Louvre
Crédits :
RMN
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