C’est au Salon de 1812 que Théodore Géricault expose son premier tableau, une magistrale composition qui révèle au public un jeune peintre fasciné par le spectacle de son temps. L’inspiration première de l’oeuvre provient d’une scène de rue, un cheval d’attelage emballé, simple motif de genre transposé par l’artiste en un monumental portrait équestre, celui d’Alexandre Dieudonné, un de ses amis lieutenant de la garde impériale. Alors que la bataille fait rage, l’officier pivote sur son cheval violemment cabré pour donner le signal de la charge. Présenté sous le titre de « Portrait équestre de M.D…, lieutenant des Gardes de l’Empereur », le tableau dépasse pourtant la figuration d’un simple individu. Le grand format est à l’époque réservé à la peinture d’histoire. Ici, il élève l’homme au rang de héros moderne.
Peinte en quelques semaines, la toile porte en elle la fulgurance de l’épopée napoléonienne. La puissance du mouvement, la chaleur des coloris, le clair-obscur, la touche large et fougueuse qui conserve le caractère vibrant de l’esquisse, traduisent parfaitement l’ivresse de la guerre et l’ardeur du combattant. Symbolisant l’apogée des conquêtes militaires, cette œuvre en annonce aussi le déclin. Derrière l’éclat apparent de la victoire pointe le drame. La méditation du cavalier au cœur de l’action est troublante et prémonitoire. « Il se tourne vers nous, nous dit Michelet. Est-ce un adieu ? Il sait qu’il ne reviendra pas. Cette fois, il part pour mourir ». Géricault peint cette toile alors que la Grande Armée progresse vers Moscou. Quelques mois plus tard le désastre est complet et le lieutenant Dieudonné disparaît à 34 ans dans les neiges de Russie.
Au Salon de 1814, Géricault offre un pendant à son premier chef-d’œuvre. « Le cuirassier blessé quittant le feu » s’affirme cette fois comme le véritable reflet de la défaite. Deux tableaux qui, sans allégorie ni idéalisation, incarnent en un saisissant raccourci le triomphe et la chute de l’Empire.
Karine Huguenaud, novembre 2001
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