Originaire de Montpellier, Alexandre Cabanel a connu un parcours sans faute, véritable modèle du cursus académique au XIXe siècle. Prix de Rome en 1845, médaillé au Salon de 1853 puis à l’Exposition universelle de 1855, nommé chevalier de la Légion d’honneur la même année, élu à l’Institut, professeur chef d’atelier à l’Ecole des Beaux-Arts et promu officier de la Légion d’honneur en 1863, l’artiste bénéficiait de plus des faveurs du couple impérial. Au Salon de 1861, l’Empereur avait fait acheter la Nymphe enlevée par un faune et, au Salon de 1863, la fameuse Naissance de Vénus, deux œuvres qui furent exposées dans les palais impériaux. Fort de son statut de peintre officiel, l’artiste fut également invité plusieurs fois aux séries de Compiègne entre 1861 et 1868.
Au Salon de 1865, Cabanel envoya un portrait en pied de Napoléon III pour lequel il sollicita un délai de dépôt d’un mois en raison de la peinture qui en était trop fraîche ! Il adressa cette requête au comte de Nieuwerkerke en usant d’un argument imparable, le sujet de son tableau : « Je ne tenterais pas une démarche si indiscrète si je n’avais pas la certitude que mon œuvre est de nature par son sujet à mettre votre responsabilité à l’abri de toutes récriminations ».
La composition montre l’Empereur posant aux Tuileries, en habit noir de soirée, le torse barré du grand cordon de la Légion d’honneur, une main appuyée sur la hanche droite, l’autre posée sur une table portant les insignes de la souveraineté, le manteau d’hermine, la main de justice et la couronne. Tout à la fois plus intime et plus mondaine, cette représentation de Napoléon III est en rupture avec ses autres portraits officiels en uniforme militaire, ceux de Winterhalter et de Flandrin. Acheté 20.000 F par arrêtés des 27 août et 12 octobre 1866 sur le budget des acquisitions du Salon, le tableau de Cabanel était très apprécié par le couple impérial et leur entourage. Il vint d’ailleurs remplacer l’oeuvre de Flandrin dans le cabinet de travail de l’Impératrice aux Tuileries. La critique fut beaucoup moins clémente à l’égard du tableau de Cabanel et la rivalité l’opposant au portrait de Flandrin fit sourire dans les milieux artistiques, celui de Cabanel, largement moqué dans les ateliers, recevant « le sobriquet de portrait de maître d’hôtel » !
Rendu à l’impératrice Eugénie après la chute du régime, le portrait de Napoléon III par Cabanel figurait en bonne place dans son bureau à Farnborough Hill. Il est entré en 2008 dans les collections du château de Compiègne et, après une remarquable restauration et l’exécution d’un nouveau cadre, est présenté depuis peu au public.
Karine Huguenaud
septembre 2010
Cette œuvre a été présentée dans l’exposition « Alexandre Cabanel (1823-1889). La tradition du beau » au musée Fabre de Montpellier (10 juillet – 5 décembre 2010), puis au Wallraf-Richartz Museum de Cologne (du 4 février – 15 mai 2011).