Pierre Branda, Napoléon à Sainte-Hélène : « Jamais dans l’histoire mondiale autant de moyens et d’espace ne furent mobilisés pour enchaîner un seul homme » (janvier 2021)

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Pierre Branda, historien et chef du service Patrimoine de la Fondation Napoléon, nous avait gratifié en 2014 d’une étude inédite sur le premier exil de Napoléon Ier à Elbe : la « guerre secrète » que l’Empereur y avait menée face à ses geôliers, y était détaillée, expliquée, rendue vivante et limpide. Dans son nouvel ouvrage Napoléon à Sainte-Hélène, paraissant toujours aux éditions Perrin, c’est à l’ultime bataille politique et humaine, voire existentielle, d’un Napoléon emprisonné que Pierre Branda s’intéresse. Passant par le même crible scrupuleux les six dernières années de la vie de l’Empereur, l’auteur nous montre un ancien chef d’État de nouveau isolé, loin de ses sujets, ses ministres et sa cour, entouré de peu d’hommes de confiance parfois défaillants. Privé de sa puissance, le prisonnier n’en ressort pas moins combatif, usant des outils à sa disposition, des courriers clandestins, jusqu’au camouflage derrière les murs de Longwood afin de tourmenter ses geôliers britanniques. Loin d’anticiper a posteriori la mort qui attend Napoléon, Piere Branda nous explique comment jusqu’à la fin ce dernier a mené une ultime campagne, au milieu de l’océan Atlantique.

Propos recueillis par Marie de Bruchard, le 7 janvier 2021.

Pierre Branda, <i>Napoléon à Sainte-Hélène</i> : « Jamais dans l’histoire mondiale autant de moyens et d’espace ne furent mobilisés pour enchaîner un seul homme » (janvier 2021)
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

napoleon.org : La première partie du livre, soit un 6e de votre ouvrage, traite du départ de Napoléon de l’Europe avec un va-et-vient entre le point de vue de Napoléon et de ses compagnons d’exil, et celui de la Grande-Bretagne, en charge de l’Empereur déchu et prisonnier, et des Coalisés. Vous continuez tout au long de votre récit à alterner ces deux théâtres. Vous semblait-il indispensable de sortir du huis-clos de Sainte-Hélène pour comprendre l’ultime exil de Napoléon ?

Pierre Branda : Il m’a semblé important de revenir très précisément sur les conditions de la reddition de Napoléon aux Anglais en juillet 1815 et de raconter la méprise du futur prisonnier. Son pari était d’obliger le cabinet de Londres à le traiter dignement alors même que celui-ci avait décidé avant qu’il ne se livre de le déporter dans l’Atlantique Sud. Napoléon s’illusionne et en paie lourdement le prix en étant envoyé à Sainte-Hélène. Ensuite, entre lui et le gouvernement de Lord Liverpool, la guerre est déclarée. Elle va durer six longues années. Il est essentiel de décrire ce qui se passe à Londres pour comprendre la captivité. Napoléon sait à la fois que c’est là que se décide son sort et qu’il jouit d’une certaine popularité au sein du peuple britannique.
Dès lors, il va tout entreprendre pour influencer cette opinion publique, espérant à la faveur d’un changement de gouvernement quitter son île-prison. Tout au long de son exil, il caresse cet espoir, portant la contestation au cœur même de l’Empire britannique par le biais de publications clandestines qui, jusqu’à présent, n’ont pas tellement attiré l’attention des historiens. En 1815, Napoléon n’a que quarante-six ans, jouit d’une assez bonne forme et croit encore en son destin. À Las Cases, il dit cette phrase magnifique qui le résume presque : « Il est pénible et difficile de quitter l’espérance et la gloire ». Finalement, l’histoire de Napoléon à Sainte-Hélène n’est pas la chronique d’une lente agonie mais celle d’un homme toujours aussi déterminé à écrire sa propre histoire.

Napoléon à Sainte-Hélène, Pierre Branda © Perrin 2021
Napoléon à Sainte-Hélène, Pierre Branda © Perrin 2021

napoleon.org : Vous notez : « La captivité de Napoléon fut donc remarquablement conçue. En l’organisant de la sorte, le gouvernement britannique réserva un traitement d’exception à son prisonnier le plus célèbre. Il fut même d’une ampleur inédite. Jamais dans l’histoire mondiale autant de moyens et d’espace ne furent en effet mobilisés pour enchaîner un seul homme, comme s’il s’était agi d’enfermer un demi-dieu ou un surhomme. Pour prendre un seul exemple, même l’impitoyable captivité de la famille royale à la prison du Temple entre 1792 et 1795 fut loin de nécessiter autant de ressources. » D’après vous, pourquoi la Grande-Bretagne, avec l’Europe entière, avait-elle si peur d’un homme d’État qu’elle avait coupé du monde ?

Pierre Branda : Son retour de l’île d’Elbe a stupéfié l’Europe. En réussissant son incroyable vol de l’Aigle jusqu’aux tours de Notre-Dame, il a montré à quel point il pouvait être à la fois imprévisible comme dangereux pour ses ennemis. À son sujet, le premier ministre britannique anglais, Lord Liverpool, à l’origine de sa déportation à Sainte-Hélène, déclare : « Je suis fermement convaincu qu’aucun autre homme ne peut agir comme il l’a fait ». Napoléon inspire la crainte. Terrorisés, les Anglais conçoivent pour lui une prison aux proportions gigantesques et déploient en effet des moyens inédits pour le garder prisonnier. On frôle même la folie à ce moment-là. On ne peut comprendre l’attitude quasi-paranoïaque de son principal geôlier, Hudson Lowe, vis-à-vis de lui sans prendre en compte cette peur récurrente et obsédante.

napoleon.org : Que vous ont amené à découvrir vos recherches sur les relations interpersonnelles au sein des compagnons d’exil de Napoléon ? Avez-vous décelé des rivalités insoupçonnées ? Des révélations sur la vie réelle et concrète à Longwood ?

Pierre Branda : Au drame de la captivité s’est ajouté les incessantes disputes au sein de la petite cour qui entoure Napoléon à Longwood.
Dans ce huis clos oppressant et désolant, la palme de la dispute revient au général Gourgaud. Jaloux et suspicieux, il enrage dès que quelqu’un ose s’approcher trop près de son maître. Son courroux d’exerce d’abord sur Las Cases avant de se concentrer sur les Montholon et notamment sur Albine très probablement devenue la maîtresse de Napoléon. Au fil des mois, son ressentiment ne fera que croître au point d’être presque chassé de Longwood. Ainsi éconduit, comme je le raconte dans le livre, il développe sa vengeance dont les conséquences seront particulièrement néfastes. Après avoir quitté Napoléon, il se répand en confidences hasardeuses, affirmant par exemple que Napoléon ne cesse de jouer la comédie ou d’intriguer. À cause de son attitude, le projet, par exemple, d’Hudson Lowe de déplacer Napoléon dans un endroit plus sain de l’île sera abandonné ; O’Meara, le médecin irlandais apprécié du captif, sera renvoyé et pire encore, ses révélations seront utilisées au Congrès d’Aix-la-Chapelle pour confirmer la détention de Napoléon à Sainte-Hélène. Cet épisode est aussi affligeant que désastreux. Il montre à quel point, dans cette histoire, le prisonnier a été également victime de son entourage même s’il faut soulignement le dévouement de plusieurs de ses compagnons, le valet Marchand, le mamelouk Ali ou d’autres.

napoleon.org : Votre ouvrage se termine en abordant deux questions majeures : les dispositions financières, « souvent les plus attendues » dans ce type de document, du testament de Napoléon et l’incontournable question de l’assassinat de l’Empereur. Estimez-vous que ces deux sujets sont désormais clos ?

Pierre Branda : Le testament de Napoléon forme son dernier message. À ce titre, il mérite que l’on s’y arrête et que l’on détaille ce que contiennent les dizaines de pages rédigées par un homme sur le point de mourir. Dans son testament, il règle quelques derniers comptes politiques, contre l’oligarchie anglaise ou ceux qui selon lui l’ont trahi, le maréchal, Marmont notamment, mais surtout, en distribuant sa fortune à certains et pas à d’autres, il dresse une sorte de bilan humain de son épopée dans lequel n’apparait que les véritables fidèles.
À propos de l’empoisonnement de Napoléon, on peut considérer ce sujet comme clos, en effet. Cette histoire d’arsenic, j’y reviens dans le livre, a été montée en épingle au mépris de toutes les considérations historiques de base. Au-delà même de la science, qui se contredit sur le sujet, l’analyse historique ne souffre point la contestation : personne n’a assassiné Napoléon. En revanche, dans les derniers jours de sa vie, ses médecins, Antommarchi pour le compte des Français et Arnott pour celui des Britanniques, lui ont administré du mercure, un remède fort couru à l’époque, et qui ne fera qu’aggraver le mal dont il souffre à savoir un ulcère perforé de l’estomac. Ce faisant, ils lui ont sans doute ôté quelques jours de vie et surtout l’ont plongé dans d’atroces souffrances avant qu’il ne s’éteigne le 5 mai 1821. « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge ! ». Cette phrase attribuée à Voltaire, mais sans doute plus ancienne, résume finalement assez bien l’histoire de Napoléon à Sainte-Hélène.

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