napoleon.org : Comment avez-vous choisi ces huit personnages en particulier pour illustrer le dilemme entre servir l’empereur ou trahir la France ?
Florence de Baudus : Dans des périodes calmes sur le plan politique, économique, religieux, on peut être fidèle aux données reçues sans dilemme. Mais envers qui, envers quoi peut-on rester fidèle dans des périodes de bouleversements, en particulier celle qui a couru de 1789 à 1815, et qui est une des plus agitées que la France ait connue ? Et que va produire l’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte dans le cœur des Français, qu’ils soient républicains ou royalistes, qu’ils soient attachés à l’Église romaine ou à l’esprit des Lumières ? Il m’a semblé intéressant de choisir huit personnalités, différentes par nature et dans leurs convictions politiques, et qui toutes, à un moment de leur vie, ont adhéré au personnage de Napoléon, puis d’observer comment la fidélité de certains s’était affermie tandis que d’autres s’éloignaient, sans pour autant trahir.
napoleon.org : Y a-t-il des parallèles ou des contrastes frappants entre les réactions de ces huit personnalités face à Napoléon ? Avez-vous identifié des schémas communs dans leurs prises de décision ?
Florence de Baudus : Si Napoléon a pu d’abord réunir autour de lui des personnages contrastés, la fidélité des uns et des autres dut ensuite se confronter à l’évolution du Consulat et de l’Empire. Gaspard Monge et Mme de Staël, pour ne citer qu’eux, tous deux républicains convaincus, ont connu le même éblouissement pour le jeune général vainqueur. J’ai été très intéressée de constater comment le savant persista dans la vénération tandis que la femme de lettres s’abîmait dans une opposition farouche contre Napoléon qui, pour elle, trahissait l’idéal républicain.
La signature du Concordat, l’affaire du duc d’Enghien, la transformation de la République en monarchie impériale, les conquêtes et défaites militaires, autant d’événements majeurs qui ont agrégé ou au contraire fait chavirer les fidélités autour de Napoléon.
napoleon.org : Dans votre post-scriptum, vous abordez la question de la fidélité de l’historien et la fiabilité des témoignages. Vous évoquez les défis auxquels l’historien est confronté, comme la prolifération de récits romancés et d’anecdotes fantaisistes après la chute de Napoléon. Comment avez-vous abordé ces sources potentiellement trompeuses dans votre recherche, et quelles stratégies avez-vous employées pour distinguer la réalité historique de la légende dans la construction de vos huit portraits ?
Florence de Baudus : L’historien a tout intérêt, à mon avis, à se méfier de ces mémorialistes qui pensent plus souvent à la pérennité de leur gloire personnelle qu’à la vérité de l’Histoire. Pour moi, rien ne vaut les sources premières, et avant tout les correspondances. Lorsqu’il étudie la vie d’un personnage, l’historien ne doit jamais perdre de vue l’écoulement des années sur la conscience humaine. Mais comme les correspondances ne disent pas tout, l’historien ne doit pas craindre de garder vivants quelques points d’interrogation, ne pas chercher de réponses nées de sa seule imagination. S’il lui arrive d’émettre des hypothèses, ce doit être avec la plus grande humilité. Il me semble aussi qu’il doit être lucide sur ses propres limites, ne pas rêver à l’objectivité de son récit : il appartient à son époque, à son milieu et ne peut s’en abstraire. Enfin, il doit avoir conscience que ni lui, ni personne, ne détient la vérité historique tout entière. Un travail honnête peut lui permettre de faire quelques pas vers elle et d’espérer qu’après lui, un autre, grâce à de nouvelles sources, s’en approchera un peu plus près.
Florence de Baudus est essayiste, écrivaine, romancière, historienne, auteur de plusieurs livres dont Caroline Bonaparte : Sœur d’empereur, reine de Naples (Perrin, 2014), Pauline Bonaparte, princesse Borghèse (Perrin, 2018), Napoléon face aux souveraines de son temps(Perrin, 2021) et son récent ouvrage Servir l’empereur ou trahir la France (Passés/Composés, 2024).
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Mise en ligne : octobre 2024