François Houdecek, les Cahiers de Sainte-Hélène du général Bertrand : « On est réellement dans la chambre de Longwood à côté de Napoléon qui vit ses derniers instants » (mars 2021)

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Ouvrage labelisé « 2021 Année Napoléon », les Cahiers de Sainte-Hélène du général Bertrand viennent d’être revus, complétés et annotés par François Houdecek, spécialiste de la Correspondance de Napoléon Ier, et sont parus aux éditions Perrin, dans la collection « Bibliothèque de Sainte-Hélène » en mars 2021.
Un voyage passionnant au cœur de la vie à Longwood House, parfois minute par minute, aux côtés de Napoléon… jusqu’à sa mort vécue et consignée en direct par Bertrand. François Houdecek a accepté de nous éclairer sur son travail sur les Cahiers.

Propos recueillis par Marie de Bruchard, mars 2021

François Houdecek, les <i>Cahiers de Sainte-Hélène</i> du général Bertrand : « On est réellement dans la chambre de Longwood à côté de Napoléon qui vit ses derniers instants » (mars 2021)
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

napoleon.org – Habitué au récolement complexe et au déchiffrement parfois ardu de la Correspondance de Napoléon, vous vous êtes plongé dans les cahiers « cryptés » du général Bertrand, d’abord non voués au public puis pensés comme un legs à la postérité. Pouvez-vous nous parler de ce travail de décodage à plusieurs niveaux ?

François Houdecek – Dès avril 1816, et avant le départ de Las Cases, le général Bertrand commença à transcrire les conversations qu’il avait avec Napoléon, et les faits et gestes de la petite colonie en exil. Aide de camp de Napoléon, gouverneur des Provinces illyriennes, grand maréchal du Palais puis compagnon du premier exil et des Cents Jours, Bertrand était habitué au secret. Dans l’ambiance de Sainte-Hélène, il aura eu soin de masquer ses propos pour éviter que ses précieuses notes ne tombent entre les mains du gouverneur Hudson Lowe.
Mais ce n’est pas un code, comme on a pu le dire auparavant, mais une forme de prise de note toute personnelle, qu’il devait être, pensait-il, le seul à pouvoir lire. Les mots et les noms sont réduits à leur initiale, et seul le contexte de la phrase peut parfois donner le bon mot ! Passés les mots, le style de rédaction est un autre écueil ! Bertrand n’utilise aucune ponctuation autre que le point-virgule et les phrases s’enchainent sans fin. Les Cahiers de Bertrand sont en fait une suite de notes copiées bout à bout sans cohérence autre que chronologique sans toutefois mentionner toujours les dates. À côté de cela, il rédige des mémorandums qui sont très utiles car ils permettent de rétablir la stance calendaire. Rien d’étonnant à ce qu’il n’ait jamais tenté de publier ses Cahiers de son vivant, ce travailleur scrupuleux y aurait perdu sa santé !
Finalement la graphie de Napoléon et sa Correspondance étaient presque plus simples !

© Perrin 2021
© Perrin 2021

napoleon.org – Qu’apporte de nouveau cette nouvelle publication sur le fond, par rapport à la première édition « complète » des cahiers, parue dans les années 1950 ?

François Houdecek – Paul Fleuriot de Langle avait par le passé fait une œuvre monumentale avec les principes d’édition de son temps, mais n’avait pas tout dit ! Notamment que, dans son travail, il s’était beaucoup appuyé sur les transcriptions d’Ernest Razy à qui Hortense Bertrand, fille du grand maréchal, avait confié la tâche de publier les Cahiers de son père.
Tout le travail a été de corriger nombre de petites erreurs de transcription mais surtout d’ajouter l’année 1820 que la précédente édition avait laissé de côté la jugeant trop parcellaire.
Un autre apport est le changement de ton. Bertrand a rédigé ses cahiers comme il a rédigé les Mémoires sur la campagne d’Égypte. Dans les Cahiers, lorsque Napoléon parle, point de « Je » – comme l’avait publié Fleuriot de Langle – mais « Napoléon », « l’Empereur » ou « il »… Par ce truchement, Fleuriot de Langle avait donné plus de vie au texte mais avait transformé Bertrand en confident et ami de Napoléon, ce qu’il ne fut pas ! À Longwood, Napoléon et Bertrand avaient conservé des rapports hiérarchiques très forts. Le grand maréchal savait où était sa place et, même s’il se permettait parfois d’argumenter face à Napoléon, il respectait les préséances. Ses Cahiers en sont l’expression.

napoleon.org – Bertrand est associé à la figure d’un fidèle irréductible de l’Empereur, jusqu’au dernier souffle de ce dernier. Pourtant ses agissements ont été critiqués par le propre frère de Napoléon, Joseph, et par le marquis de Montholon, son compagnon d’exil. Les Cahiers ne sont-ils pas plus une défense de l’auteur qu’un récit de la fin de vie de l’Empereur ?

François Houdecek – Bertrand rédigea sur le vif ses Cahiers et ne pensait pas que 20 ans plus tard on essaierait de remettre en cause son attitude à Sainte-Hélène. Dans son récit, il note tout jusqu’au moindre détail, des moins ragoutants aux dernières fulgurances de la prose impériale. Il est le greffier de Sainte-Hélène !
Ce n’est que dans les années 1830 que les polémiques vont naître, animées notamment par Montholon qui voulait apparaître comme le fidèle des fidèles. Mais Bertrand ne descendra jamais complètement dans l’arène. Il rédigea plusieurs réponses en utilisant ses Cahiers mais elles restèrent dans le secret de son cabinet. Il ne sortit de sa réserve que pour répondre aux critiques sur l’affaire des armes de Napoléon qu’il avait conservées après la mort de l’Aiglon en 1832. Napoléon les lui avait remises pour qu’il les donne à son fils. Bertrand n’a jamais pu accomplir sa mission. Il était le seul à savoir qu’il en devenait le propriétaire s’il ne pouvait les remettre au fils de l’Empereur, comme Napoléon le lui avait confié dans les derniers jours d’avril 1821. Joseph, pensant être le légitime héritier, les lui réclama et on frôla le procès. La polémique se vida quand Bertrand offrit les armes à Louis Philippe au moment du retour des Cendres. Mais tout au long de sa défense, le grand maréchal piocha les arguments dans ses souvenirs et ses notes de Sainte-Hélène.

napoleon.org – Quel trait de personnalité de ce protagoniste du huis-clos de Sainte-Hélène avez-vous découvert ou confirmé à travers vos recherches sur les Cahiers : l’homme « droit dans ses bottes » qu’il semble avoir été avait-il une face cachée ?

François Houdecek – Bertrand avait le sens du devoir et de la fidélité chevillé au corps, ainsi qu’une admiration sans borne pour son Empereur. À Sainte-Hélène, il fut une sorte de conscience qui chercha en permanence à se tenir éloigné des jalousies et des bisbilles. C’est lui qui raisonna souvent le tempétueux Gourgaud ! Mais cette attitude de mentor eut un revers. Elle déplaisait à Napoléon qui, à Sainte-Hélène, préférait les personnalités plus souples comme Las Cases ou Montholon.
Bertrand était très honorable mais avait une personnalité austère, il ne devait pas être très amusant ni très flatteur ! Du fait de cette distance et des volontés de départ de Mme Bertrand, dans les derniers mois d’existence de Napoléon, les relations entre les deux hommes furent froides voire glaciales.
La personnalité du grand maréchal contraste beaucoup avec celle de son épouse, Fanny Bertrand. Très liée à son mari, elle avait un caractère fort également, mais était jolie, enjouée et ne rêvait que de mondanités.

napoleon.org – Les cahiers de Bertrand sont célèbres pour être les seules traces écrites sur le vif – minute après minute presque – , par un témoin direct de la mort de l’Empereur. Quel est le passage qui vous a le plus marqué ?

François Houdecek – La fin de l’Empereur est indéniablement le passage le plus émouvant. On est réellement dans la chambre de Longwood à côté de Napoléon qui vit ses derniers instants. C’est saisissant.

napoleon.org – En dehors de la mort de Napoléon, y a-t-il d’autres extraits dans ces cahiers tout aussi importants, émouvants ou insolites à vos yeux ?

François Houdecek –Les Cahiers sont une compilation des notes de lecture de Napoléon. Bertrand nota scrupuleusement les mots et les discussions de l’Empereur. Napoléon parlait, Bertrand écoutait, argumentait quelques fois et relançait lorsque le flot des paroles impériales se tarissait (ce qui arrivait rarement !). Avec la progression de la maladie qui devait emporter Napoléon, ce rôle fut certainement plus important que Bertrand – ou même l’Empereur – n’en eut conscience. Ce qui a été le plus surprenant pour moi est le côté « sans filtre ». Même si Bertrand s’est autocensuré en biffant certains passages (dont un très célèbre que je laisserai les lecteurs découvrir !), on est au plus proche de ce que disait Napoléon. C’est, pour moi, ce qui fait la force de ce texte.

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