M. Dancoisne-Martineau : passion Sainte-Hélène (mai 2011)

Partager
Conservateur des Domaines français de Sainte-Hélène depuis 1987, consul honoraire de France, Michel Dancoisne-Martineau vient de publier aux éditions Perrin un recueil de Chroniques consacrées à la vie et aux personnages de l'île, au-delà du cercle "napoléonien" désormais bien connu. Chroniques des moeurs, des espoirs et désespoirs d'une population insulaire, hétéroclite et isolée. Propos recueillis par I. Delage, avril 2011.
M. Dancoisne-Martineau : passion Sainte-Hélène (mai 2011)
© M. D.-M.

Carrière

Irène Delage : Michel Dancoisne-Martineau, comment devient-on conservateur des Domaines français de Sainte-Hélène ?
Michel Dancoisne-Martineau :
 Il s'agit d'un emploi de contractuel du Ministère des Affaires Étrangères et Européennes. En 1987, j'ai posé ma candidature et après les examens administratifs habituels, on m'a proposé un contrat de trois ans que j'ai été ensuite autorisé à renouveler.
 
I.D. : Quelles activités recouvrent votre poste ?
M. D.-M. :
Mon emploi consiste à déterminer et à conduire la politique des domaines français à l'île de Sainte-Hélène, propriétés du Ministère des Affaires Étrangères et Européennes. J'en assure la gestion, le fonctionnement administratif, scientifique et culturel au quotidien ainsi que l'analyse et la valorisation des fonds de documentation et des collections afin de permettre le développement d'un réseau de mécènes et de partenaires.

I.D. : Sainte-Hélène, petite île perdue dans l'Atlantique… Vous êtes en poste depuis 1987. Quelles qualités demande l'occupation d'un tel poste, comment vit-on à Sainte-Hélène ?
M. D.-M. :
Il faut savoir travailler seul en milieu d'isolement géographique extrême et évoluer dans un environnement médical, éducatif et culturel quasi-inexistant. Cet emploi solitaire exige aussi une polyvalence professionnelle (technicien forestier, jardinier, maçon, et menuisier – documentaliste – secrétaire – comptable – historien). Pour vivre et travailler à Sainte-Hélène, il faut d'abord être en très bonne santé ! Ensuite, il faut faire preuve d'autodiscipline, être méthodique, avoir un sens de l'organisation et de la planification – par exemple pour anticiper les besoins d'entretien courant six mois à l'avance, ou préparer ses déplacements au moins un an à l'avance.

Les Chroniques de Sainte-Hélène

© PerrinI.D. : Loin d'être anecdotiques, ces histoires et portraits complètent le tableau hélénien « napoléonien ». Quelles ont été les motivations de vos recherches ?
M. D.-M. :
Tout a vraiment commencé lorsque j'ai dû rédiger (sous l'amicale pression de Thierry Lentz et de Bernard Chevallier) une histoire de l'île de Sainte-Hélène pour l'ouvrage collectif Sainte-Hélène, île de mémoire [paru chez Fayard, en 2005]. Je me suis rendu compte que les quatre ouvrages rédigés sur ce sujet se contredisaient sans cesse sur les dates, les noms, les chronologies, et même les faits. J'avais dû reprendre tout à zéro en revenant aux sources c'est-à-dire aux archives de la Compagnie des Indes encore présentes sur l'île. Là, j'y ai trouvé des centaines de volumes originaux que j'ai parcourus en y découvrant une île que je pensais pourtant connaître.

Après la rédaction de cette histoire de l'île de 1502 à 2002, je me suis mis en tête de lire en détail tous les rapports, tous les comptes rendus et autres procès-verbaux rédigés durant l'exil de Napoléon. En fait, j'ai surtout fait cela pour remettre un peu d'ordre dans mes connaissances du sujet « Napoléon à Sainte-Hélène ». La profusion d'ouvrages (et je ne parle pas uniquement de ceux rédigés sur les causes du décès de Napoléon) est telle qu'il devient très difficile de connaître ce sujet devenu confus. Bien entendu, je n'y ai rien trouvé de sensationnel (ce n'était pas d'ailleurs ce que je recherchais) mais j'y ai découvert la vie dans les coulisses de la colonie au travers des fragments de vies. En découvrant le quotidien d'une femme de soldat, d'un Chinois de Canton, d'un commerçant, d'un fermier, d'un révérend, d'une fille de fermier, j'ai pu me détacher de la « grande histoire » pour y apprécier l'ambiance de l'île durant le séjour de Napoléon.
 
I.D. : Quelles difficultés d'analyse et de traitement posent les documents et archives que vous avez pu utiliser ?
M. D.-M. :
La première difficulté est la profusion des documents. Rarement je n'ai trouvé dans un seul volume matière à une chronique. Il m'a fallu faire des recoupements. Par exemple : une fille présente en tant que témoin lors d'un procès. On la retrouve ensuite dans un autre volume dans un procès–verbal administratif au sujet d'une réforme à conduire et enfin, encore dans un autre volume, sur la liste des passagers en route vers le Royaume-Uni de Grande-Bretagne. En fait, c'est comme conduire une enquête dans laquelle le moindre détail a son importance. La gageure de ces chroniques a été de pouvoir écrire « le ciel était bleu » en pouvant prouver que ce jour et à cette heure-là le ciel était vraiment bleu ! C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il m'a été plus « facile » de relater des histoires qui se sont déroulées à bord d'un bateau qu'à terre, car les carnets de bord n'omettent jamais ces détails…
 
I.D. : Comment coexistaient les différentes communautés constituant la population de l'île ?
M. D.-M. :
Malgré la petite taille de l'île, des communautés coexistaient en s'ignorant. Le seul lien entre elles était l'autorité de la Compagnie des Indes orientale qui possédait l'île en y assurant la gestion administrative, militaire, religieuse.
 
I.D. : L'arrivée de Napoléon et de la garnison anglaise chargée de le surveiller, soit près de 2 000 personnes, a dû bouleverser le quotidien de l'île ?
M. D.-M. :
Effectivement, le respect (et la crainte) de la Compagnie des Indes orientales qui avait le droit de vie ou de mort sur toutes les couches de la société a cependant été sérieusement ébranlé lorsque Napoléon est arrivé sur l'île. La Compagnie avait accepté – pour toute la durée de l'exil – de renoncer à son autorité sur la gestion administrative et militaire. Ceci ne se fit pas sans conflits d'autorité supposés ou réels. Les rivalités les plus marquantes concernaient la conduite des affaires agricoles et religieuses. Le gouverneur Hudson Lowe fut la première victime de ces oppositions entre les intérêts de la Couronne Britannique (dont il était le serviteur) et ceux de la Compagnie des Indes (dont les fonctionnaires monopolisaient tous les postes de l'administration civile et religieuse).
Cette situation ne simplifiait pas les problèmes d'approvisionnements et de la vie au quotidien de toute une population, qui devait supporter des couvre-feux et des restrictions dans leurs déplacements et leurs ressources. 

I.D. : Quels sentiments vous inspirent ces différents personnages de « l'autre côté de la vitre » ?
M. D.-M. :
Ces différents personnages en marge de la « grande histoire » me permettent de mieux m'imprégner de l'ambiance générale. Ils me permettent de mieux planter le décor des dernières années de la vie de l'Empereur. Ils m'ont permis de prendre une distance avec le sujet qui motive mon emploi depuis 1987. En me limitant aux faits tels qu'ils ont été relatés dans des divers procès-verbaux de discussions administratives, dont l'objet n'était pas d'écrire l'histoire mais de gérer au quotidien une colonie isolée au milieu de l'océan atlantique sud, je me suis détaché du principe de thèse historique. J'avais juste envie de relater la vie de quelques personnes « ordinaires » placées par le cours de l'histoire tout à côté d'un homme « extraordinaire ».

La sauvegarde de la Maison de l’Empereur

En novembre 2010, la Fondation Napoléon et le Souvenir Napoléonien, avec le soutien du Ministère des Affaires étrangères et européennes, ont lancé une grande souscription internationale afin de permettre la restauration de la Maison de Napoléon à Longwood.
I.D. : Quelles ont été les différentes étapes des restaurations depuis le milieu du XIXe siècle ?
M. D.-M. :
Lorsque la France en devient propriétaire en 1858, le premier conservateur découvrit des bâtiments transformés en ferme. Les appartements qu'occupait l'Empereur furent réparés en 1860 et les autres (ceux qu'occupaient, entre autres, les Las Cases, les généraux de Montholon et Gourgaud) furent rasés. En 1933, grâce au soutien financier de l'association « Les amis de Sainte-Hélène », ces appartements furent reconstruits afin d'y loger le conservateur qui occupait alors les chambres de Napoléon. Enfin, de 1953 à 1955, le Ministère des Affaires Étrangères a financé la restauration complète des appartements de l'Empereur qui n'avait jamais été faite, celle de 1860 tenant plus d'une réparation que d'une restauration.
 
I.D. : Quel projet la souscription lancée par la Fondation Napoléon et le Souvenir Napoléonien soutient-elle précisément ?
M. D.-M. :
Malheureusement, la reconstruction en 1933 des appartements communément appelés « des généraux » a été effectuée avec les matériaux les moins adaptés au climat de Longwood et les moins onéreux. Le résultat est sans appel : les charpentes métalliques insérées dans les maçonneries éclatent de partout fragilisant la structure générale des bâtiments (la toiture ne tient plus que par une béquille en bois qui supporte la poutre maîtresse) ; les carrelages misérables se descellent de partout ; les fenêtres métalliques sont rouillées et ne sont plus étanchent depuis longtemps ; les greniers sont un parterre de bassines qu'il faut vider après chaque averse…
Pour ce qui concerne les appartements de l'Empereur, si la restauration de 1953 a été excellente, il nous faut maintenant rendre à l'ensemble des pièces son état de 1821. Nous y travaillons depuis plus de vingt ans mais il reste beaucoup à faire, surtout en matière de décoration (papier peint – draperie – tapis). De plus, l'ensemble du mobilier doit faire l'objet d'une campagne de restauration.

I.D. : A vos yeux, pourquoi un tel projet de sauvegarde est-il important ?
M. D.-M. :
Parce que Longwood House constitue un élément particulièrement précieux de l'épopée napoléonienne et de notre mémoire collective. Depuis plus de cent cinquante ans, la France y maintient sa présence afin d'honorer une des pages les plus tragiques de son histoire.

Ailleurs sur le web

– Le site des Domaines français de Sainte-Hélène
 
– Le blog de Michel Dancoisne-Martineau
 
– L'opération Sauver la Maison de l'Empereur, sur napoleon.org

Partager