napoleon.org : Vous avez travaillé en 2006 à l’édition de la Correspondance de l’Empereur au sein de la Fondation Napoléon, comment cette expérience a-t-elle influencé votre travail sur la marine et les préfectures maritimes ? Pourquoi vous êtes vous intéressé aux premiers préfets maritimes des années 1800-1815 ?
Patrick Le Carvèse : Mon intérêt pour l’histoire de la marine m’a poussé à entreprendre des recherches sur les préfets maritimes cités dans la Correspondance, soit comme destinataires des lettres de Napoléon, soit seulement cités, parfois sans leur patronyme. Ce travail a permis la rédaction de notes de bas de page pour expliciter certaines lettres. Par ailleurs j’ai commencé à construire un tableau avec les dates de création et de suppression des préfectures, et bien sûr le nom des titulaires successifs année par année.
napoleon.org : Comment avez-vous mené vos recherches pour reconstituer l’histoire des premiers préfets maritimes, et quelles ont été vos principales sources documentaires ?
Patrick Le Carvèse : A l’origine, Thierry Lentz m’a demandé d’écrire un dictionnaire sur les préfectures et les préfets maritimes. Cette entreprise s’est révélée rapidement impossible à cause de l’absence d’ouvrages spécialisés sur le sujet, j’ai donc proposé un format plus ambitieux. C’est essentiellement dans les services d’archives que j’ai trouvé l’information utile, bien que très dispersée : Service Historique de la Défense à Vincennes, Cherbourg et Toulon et Archives nationales.
J’ai été amené à lire plus de 300 textes législatifs ou réglementaires (la liste complète figure à la fin du tome 2) pour comprendre les buts et les moyens de l’institution, et bien sûr les correspondances entre le ministère et les préfets maritimes. J’ai pu étudier les finances de la Marine, les effectifs et les coûts de l’institution. Des travaux de synthèse m’ont permis de présenter les préfets maritimes comme corps d’administration de la Marine, d’un point de vue socio-professionnel, démographique ou statutaire. S’agissant des hommes, j’ai été amené à refaire toutes les biographies, même pour les préfets déjà connus pour d’autres fonctions, tel le ministre de la marine Decrès. La présentation matérielle de ces biographies est innovante, grâce à un cadre normalisé et, dans la plupart des cas, le portrait et les armoiries des préfets maritimes. En outre, pour 1/3 d’entre eux, des études spécifiques mettent en valeur certains aspects de leur vie ou explorent des zones d’ombre. De nombreux tableaux et graphiques viennent illustrer chacun des deux tomes.
napoleon.org : Dans quelle mesure la création des préfectures maritimes a-t-elle contribué à moderniser l’administration française et à renforcer le pouvoir centralisé de l’Empereur ?
Patrick Le Carvèse : La marine napoléonienne est connue surtout par ses batailles, à commencer par la malheureuse défaite de Trafalgar, source d’une littérature abondante. Comment passe-t-on des décisions de Napoléon ou de son ministre Decrès aux constructions navales et à la constitution des escadres ? En créant 6 préfectures maritimes en 1800, Napoléon s’est doté d’un moyen essentiel pour sa politique navale. On en comptera 11, certaines hors métropole, leur nombre et leur implantation variant au fur et à mesure de l’évolution de l’Empire. Bien secondé par le Conseil d’État, Napoléon décide de concentrer dans les mains d’un seul chef des attributions autrefois réparties entre militaires, administrateurs et ingénieurs responsables des arsenaux. Au cours de ma recherche, j’ai voulu mettre en avant certains aspects peu connus voire inexplorés de la Marine, tels ses moyens financiers, le rôle des préfets maritimes dans la gestion raisonnée des forêts ou le maintien de l’ordre public et l’organisation judiciaire. La solidité des préfectures maritimes permet de les ranger au nombre des « masses de granit » chères à Napoléon. Elles connaîtront une éclipse entre 1816 et 1826, décision regrettable prise par Louis XVIII pour des motifs purement idéologiques. Heureusement, persuadé de leur nécessité, Charles X rétablira les préfectures, et elles perdurent depuis, aujourd’hui au nombre de 3 (Atlantique à Brest, Méditerranée à Toulon, Manche et mer du Nord à Cherbourg). Le préfet maritime est aujourd’hui obligatoirement un amiral, ce qui n’était pas le cas en 1800. Pour autant il n’est pas seulement le représentant du ministre de la Défense. Selon un décret de 1978, de facture très…napoléonienne, il est « dépositaire de l’autorité de l’État, délégué du gouvernement et représentant direct du Premier ministre, et de chacun des ministres » pour tout ce qui concerne la mer, qu’il s’agisse d’affaires civiles ou militaires.
Patrick Le Carvèse, universitaire et ancien fonctionnaire des Finances, a rejoint en 2006 l’équipe de la Fondation Napoléon chargée de l’édition de la Correspondance de l’Empereur, ce qui l’a conduit a approfondir le domaine maritime. Parallèlement, il a publié des articles sur des sujets peu explorés de la période impériale. Patrick Le Carvèse est également l’auteur du chapitre concernant « Le coût des constructions navales sous l’Empire » au sein de l’ouvrage collectif Nouvelle histoire économique du Consulat et de l’Empire, sous la direction de Thierry Lentz.