napoleon.org : « Dès son incroyable ascension, Napoléon posa un problème de taille aux Bonaparte. Comment exister au côté d’un pareil géant ? Fallait-il se tapir dans son ombre ou oser la lumière, quitte à s’éloigner de lui ? », annoncez-vous dès la fin de votre portrait consacré au « totem » de la famille. Malédiction ou bénédiction d’être un Bonaparte, au final ?
Pierre Branda : Les deux assurément. Si je devais en choisir un pour résumer ce paradoxe, ce serait l’Aiglon. Sa naissance fut un événement salué avec joie. Le « fils de l’homme » était promis à un destin exceptionnel, il serait le nouveau César. Puis tombé aux mains de l’Autriche, il devint un prince prisonnier qui perdit jusqu’à son nom. Au lieu de s’élever, il fut donc enchaîné.
Mais il n’est pas le seul. Tous les Bonaparte sont sinon comparés du moins ramenés à leur illustre parent. Il est si difficile pour eux de s’extraire de l’ombre du « totem » Napoléon. Ce pari osé, ils l’ont parfois presque réussi, parfois totalement manqué mais là n’est pas l’essentiel. La trame de leur histoire, le nœud de leur intrigue, c’est précisément cette quête de reconnaissance qui perdure par delà les générations. En menant ce combat parfois désespéré et en ne renonçant finalement jamais, ils devinrent sinon grands du moins estimables chacun à leur manière. Au fond, l’important est moins la quête que le chemin que l’on emprunte pour la poursuivre. Il est assez fascinant de constater que leurs parcours, toujours atypiques et bien souvent audacieux, laisseront des empreintes brillantes et inattendues dans les domaines les plus éclectiques !
napoleon.org : Comment avez-vous choisi quels membres de la famille évoquer ?
Pierre Branda : J’ai d’abord opté pour un principe simple : ne s’intéresser qu’à des personnages nés Bonaparte. Ce choix n’est pas neutre évidemment. Il m’a semblé que ceux ou celles qui n’avaient pas, dès leur enfance, appartenu à cette famille ne peuvent être considérés de la même manière. Certes les personnages de Joséphine ou d’Eugénie, pour ne citer qu’elles, font partie de l’histoire des Bonaparte mais elles ne deviendront jamais des Bonaparte à part entière. L’une comme l’autre s’opposèrent plutôt d’ailleurs à leur belle-famille, comme si intégrer ce clan sans y être né était impossible.
Ensuite, parmi les natifs Bonaparte, il manque certaines figures comme la comtesse Camerata, fille d’Élisa, que je ne fais qu’évoquer mais il m’a semblé que retenir dix-sept Bonaparte, du XVIIIe à nos jours, me paraissait suffisant pour raconter en détail l’étonnant destin de cette famille.
napoleon.org : Vous étiez déjà très familier avec cette famille. Quel membre du clan vous a le plus surpris au fil de vos recherches pour cet ouvrage ?
Pierre Branda : Ce livre est une première. Pour la première fois, les Bonaparte sont considérés comme une longue lignée depuis leurs premiers pas en Corse jusqu’à nos jours. En menant des recherches sur plus de trois siècles et dans de nombreux pays, je suis étonné par les traces laissées par tous les Bonaparte. Celui qui m’a le plus surpris s’appelle Charles J. Bonaparte surnommé Charlie. Petit-fils américain de Jérôme, le plus jeune frère de Napoléon, il est le dernier Bonaparte à avoir à l’orée du XXe siècle gouverné comme « attorney general », ministre de la Justice. Si je savais qu’il avait fondé la première police judiciaire fédérale américaine, bien connue aujourd’hui sous le nom de F.B.I., j’ignorais qu’il avait triomphé du magnat Rockefeller dont il démantela l’empire pétrolier avec le plein et entier soutien du président Roosevelt. J’ai redécouvert aussi des personnages que je croyais bien connaître, tels Pauline, sœur de Napoléon et muse de Canova, Joseph, le frère aîné, Marie Bonaparte, arrière-petite-fille de Lucien et célèbre psychanalyste ou l’avant-dernier Prince Napoléon, le prince Louis dont l’action au service de l’histoire napoléonienne fut décisive.
napoleon.org : Y a-t-il un « gène Bonaparte » qui distinguerait cette lignée des autres familles royales et impériales, d’après vous ?
Pierre Branda : Si gène il y a, il est à l’évidence aventureux. Tous les personnages que je raconte sont éminemment romanesques. Triomphes, chutes, vengeances, rivalités, drames, ils ont tout connu et ont du caractère. Leurs fortes personnalités ne laissent pas indifférent.
Dans ce livre, j’ai voulu souvent privilégier le récit dans l’espoir que le lecteur revive au mieux leurs incroyables destinées. Je suis étonné par leur incroyable facilité à changer d’apparence comme de vie. Après la chute du Premier Empire, qui aurait cru qu’un jour l’un des neveux du vainqueur d’Austerlitz, le second fils de Louis, soit élu triomphalement avec plus de 74 % des voix au premier tour, un record électoral qu’aucun président, y compris l’actuel locataire de l’Elysée, n’a pu battre depuis ?
Caméléons audacieux, fougueux comme impétueux, ils renaissent sans cesse pour mieux rebondir. Ils ressemblent tant aux héros de Dumas qu’à ceux de Balzac. Je songe au retour de l’île d’Elbe de Napoléon en 1815, à la fuite de son frère Jérôme la même année de Trieste, à l’évasion réussie de Louis-Napoléon du fort de Ham, à la mort tragique de son fils en pays zoulou ou encore à l’action héroïque dans la résistance du Prince Napoléon.
En conclusion je dirais qu’entre Louis XVI et De Gaulle, ils peuplent notre histoire avec un panache certain.