Clausewitz

Auteur(s) : COLSON Bruno
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Clausewitz
Clausewitz, par Bruno Colson, ed. Perrin, 2016 © Perrin

Ce livre fait partie de notre sélection de Noël 2016

Carl von Clausewitz. Son œuvre est aussi célèbre que l’homme a une carrière, et une vie obscures. S’il fut un étudiant brillant, il sort major de sa promotion de l’école militaire de Berlin, et un officier à la compétence reconnue. Il n’eut pas la carrière à la hauteur de son intelligence peu commune. Bruno Colson au travers de la biographie de ce personnage reprend au fil des plus de 500 pages de cet ouvrage, les phases de la vie du penseur pour en comprendre les apprentissages et la formation intellectuelle. Il nous livre une biographie fouillée, érudite et dense du maître penseur. En historien méticuleux, comme à son habitude (son Napoléon, De la Guerre, Fayard, 2013, est un modèle du genre), il est retourné aux sources les plus fiables et les plus intimes, notamment la correspondance avec sa femme, Marie von Brühl, ou ses amis et mentors les généraux prussiens Scharnhorst ou Gneisenau. S’il s’est concentré sur les sources de première main, sa réflexion s’est nourrit de l’abondante bibliographie allemande, anglaise ou française que Clausewitz et sa pensée ont générés depuis le milieu du XIXe siècle. Comme pour son Leipzig (Perrin, 2013) la force de cet auteur est de parler plusieurs langues et de pouvoir confronter les sources, et les points de vue.

C’est du désastre prussien de 1806-1807, que naît chez Clausewitz un fervent patriotisme allemand. Colson montre comment le jeune officier construit ses conceptions de la guerre en étudiant la manière de faire la guerre par Napoléon. Il étudie la Révolution, Napoléon et les relations franco-allemandes, pour en comprendre les mécanismes, les démonter et avec Scharnhorst réformer l’armée prussienne pour mettre la Prusse à même de battre, le moment venu, l’Empereur des Français. Son aversion anti française est si forte qu’en 1812, elle le fait renoncer à l’uniforme bleu prussien pour endosser le vert russe. Ce faisant, il s’attire l’inimitié de la famille royale allemande, dont il était proche pour avoir été aide-de-camp du prince Louis puis le précepteur du Kronprinz. Entre les convictions et la politique, les choix peuvent s’avérer complexes et la carrière de Clausewitz en pâtit. Durant la campagne de Russie, Clausewitz ne joue qu’un rôle très secondaire à telle enseigne qu’il n’a pas laissé de trace dans les archives russes comme le souligne Bruno Colson. Mais cette campagne est formatrice et permet d’affiner la pensée du théoricien. Pour le biographe chaque expérience de guerre de l’officier est l’occasion pour lui d’affirmer sa pensée, et le récit met en lumière cette construction pas à pas. Le retour de Clausewitz sous les aigles prussiennes s’effectue sous uniforme russe pendant la campagne de Saxe de 1813. Il entre au quartier général de Blücher, et travaille avec Scharnhorst et Gneisenau faisant dire à Bruno Colson qu’ « il s’agit peut-être du meilleur état-major jamais réuni, en terme d’intelligence, de perspicacité, de culture et d’expérience partagée. » De ce trio, sort la mise sur pied et l’utilisation politique de la Landwehr. Colson montre ainsi comment Clausewitz, qui prend une part importante dans l’élaboration de ce projet, a compris que pour vaincre Napoléon, la Prusse doit avoir une armée de masse à l’image de celle de l’Empire qui s’appuie sur la conscription. De même avec Gneisenau, Clausewitz influe sur la décision de livrer la bataille de Bautzen. Les deux hommes arguent que si les chances de victoires sont faibles, le gain politique et moral est plus important qu’un nouveau repli. Leur argumentation met en lumière un des principes qui est développé plus tard par Clausewitz dans Vom Kriege : « La guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens ». Principe qui est certainement l’un des héritages les plus célèbres du théoricien, et qu’un Machiavel n’aurait pas démenti.

Mais Clausewitz n’est pas qu’un théoricien, comme nous le montre Bruno Colson. À Bautzen, il fait preuve d’un véritable courage et s’illustre sabre en main ! Il est un chef d’état-major efficace, comme pendant la campagne de 1815. Si l’homme est réservé et jugé renfrogné par certains, il sut tisser sa vie durant des liens forts, et se construire un réseau d’amitiés et de relations important. Le couple qu’il forme avec Marie von Bruhl est par ailleurs largement mis en lumière par Bruno Colson, et donne un caractère très humain à Clausewitz. Son épouse est un véritable soutien pour le théoricien. Durant ses campagnes militaires, elle lui fait parvenir cartes ou livres, et lui demande de raconter les événements. Plus tard, elle l’aide à mettre sur le papier ses récits de campagne (Clausewitz est l’auteur de récits historiques sur les campagnes de 1796, 1799, 1812-1814 ou 1815), l’aide par ses discussions à affiner sa pensée et ses théories sur la guerre. C’est tout dire que certains passages de Vom Kriege ont été écrits dans la chambre de Mme Clausewitz et qu’elle en est l’éditrice. Pour rester libre, le Penseur refusait, malgré les insistances de son épouse, de publier son œuvre de son vivant. Bruno Colson détaille ainsi à l’extrême les phases de rédactions du maître-ouvrage de Clausewitz et sa manière de travailler. « Il procédait par ébauches successives, réécrivait le même texte suivant un autre plan, et laissait libre cours à son esprit pour arriver au fond des choses. »

Bruno Colson nous plonge au cœur du processus de l’élaboration de la pensée comme dans la vie intime de Clausewitz. Il nous brosse ainsi un portrait complet du théoricien de la guerre dont l’ambition était en 1818 « d’écrire un livre qu’on n’oublierait pas dans deux ou trois ans ». Formule que pourrait reprendre Bruno Colson pour cette magistrale biographie. (François Houdecek)

 

L’auteur : Belge et francophone, Professeur à l’université de Namur et spécialiste d’histoire militaire, Bruno Colson a notamment publié La Culture stratégique américaine. L’influence de Jomini, L’Art de la guerre, de Machiavel à Clausewitz. Chez Perrin, il a présenté De la guerre de Napoléon et publié un ouvrage sur Leipzig. La bataille des nations, primé par la Fondation Napoléon.

Année de publication :
2016
Lieu et maison d'édition :
Paris, Perrin
Nombre de pages :
517 p.
Pour commander :
grâce à notre partenaire la Librairie Fontaine Haussmann et aux sites ParisLibraries.fr et  PlaceDesLibraires.fr.
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