Cambacérès, un fin gourmet

« Si vous êtes un petit mangeur, venez chez moi ; voulez-vous manger bien et beaucoup, allez chez Cambacérès ; chez Lebrun – le troisième consul -, on jeûne ». Cette phrase de Napoléon a largement participé à établir la réputation de gourmet du Second Consul.

Ainsi, Cambacérès siège parmi les membres du Jury dégustateur fondé par Grimod de La Reynière (l’auteur de L’almanach des gourmands), qui se réunit chaque semaine dans l’hôtel de ce dernier, ou au célèbre restaurant Rocher de Cancale. Lors du congrès de Lunéville, en 1801, il proteste contre l’ordre donné par Bonaparte de limiter le courrier des malles à la distribution des dépêches (ce courrier servait aussi à convoyer foie gras, poulardes, jambons, etc.)… et obtient gain de cause !

Deux fois par semaine, Cambacérès reçoit chez lui : mets et vins sont de très haute qualité ; il se fournit ainsi à Bordeaux auprès du château Latour, futur Premier Grand Cru classé de Pauillac. Fine bouche, il est exigeant sur le déroulé d’un repas. Johann Friedrich Reichardt précise dans une lettre du 22 décembre 1802 (publiée dans Un hiver à Paris sous le consulat, 1802-1803) : « Un détail de ce dîner vaut la peine d’être signalé aux connaisseurs : les glaces exquises et de parfum très varié ont été servies au salon, après que l’on fut sorti de table, pendant que l’on se groupait autour des feux des cheminées. Une attention de ce genre ne peut être que l’invention d’un gourmet raffiné qui n’est pas un moins fin dégustateur. Les glaces sont en effet le mortel ennemi des vins que l’on boit généralement au dessert : elles leur ôtent tout leur bouquet. Le café brûlant au contraire n’a que plus de saveur quand on le prend après les glaces ».

Dans À table de la Révolution à l’Empire, Alain Pigeard souligne l’importance que Cambacérès attache à l’origine des produits : « Il faut à tout prix que les champignons proviennent des garrigues de Montpellier, les lapins de son domaine du Livet qui est parsemé de thym et d’autres aromates parfumant le gibier, les canards et foies d’oie de Strasbourg, les terrines de Nérac. À cela s’ajoutent les ortolans et grives du Jurançon, les poulardes de Chartres, les saucissons d’Arles, le bœuf fumé de Hambourg, les jambons de Mayence, etc. » Dans ce même ouvrage, est décrit un menu servi par Cambacérès à 24 convives, comprenant, comme il est alors l’usage dans le service à la française, quatre potages, quatre relevés de potage, douze entrées, quatre « grosses pièces », cinq « plats de rôts », huit entremets, treize fromages, sept desserts, sans oublier, « aux deux extrémités de table », les melons de Honfleur et de Cantalou, les vins, le moka et les liqueurs.

Cette caricature représente Cambacérès devant la Bastille en flammes. Habillé en femme (allusion à son homosexualité), il est suivi d’un valet portant une épée sur laquelle est embroché un poulet, et portant dans sa poche « Le Cuisinier françois » de François Pierre de La Varenne et l’« Almanach des gourmands » de Grimod de La Reynière. (gravure à l’eau-forte anonyme, épreuve coloriée © Gallica/BnF

L’archichancelier de l’Empire a ainsi légué de nombreuses recettes « à la Cambacérès » à la postérité. Citons ainsi les « Escalopes de foie gras à la Cambacérès », dont on trouvera la recette dans L’empire à table, d’Anne-Marie Nisbet et Victor-André Masséna (Adam Biro, 1988) ;

  • « Éléments : 6 à 8 pommes fruits. 1 citron. 8 escalopes de foie gras de 80 g., ou 700 à 800 g. de foie gras au naturel (conserve). 100 g. de beurre. 1 l de fond de veau. 1 verre de vieux madère.
  • Croustades en pâte à foncer fine (8) : 200 g de farine. 1 dl d’eau. 125 g de beurre.
  • Peler les pommes, les débarrasser de leurs pépins et les faire cuire juste avec une cuillerée d’eau et un jus de citron. Sitôt cuites, les passer finement pour réaliser une compose sans sucre.
  • Faire les croustades dans des moules de 5 à 6 cm de diamètre et les cuire à blanc. Au moment de servir, celles-ci seront garnies de marmelade de pommes et seront surmontées de l’escalope de foie gras.
  • Détailler le foie gras en escalopes de 80 g environ s’il est frais. Les assaisonner de sel légèrement épicé, et de poivre (très peu) moulu frais ; passer à la farine puis sauter au beurre, retourner rapidement et placer sur les tartelettes. S’il s’agit d’un foie gras de conserve au naturel, le faire chauffer dans sa graisse, puis l’égoutter et le tailler en tranches. Disposer aussitôt sur les tartelettes garnies de purée de pommes fruits.
  • Dans l’un ou l’autre cas les napper très légèrement de sauce madère. En présenter en saucière, à part. »

Joyeuses agapes !

Raphaël Czarny, web-éditeur des sites de la Fondation Napoléon, 15 janvier 2024

Type de recette

salée