Musique
Ancien Régime/Ancien Regime, Directoire-Consulat-Ier Empire/Directory-Consulate-1st Empire
Paroles
Où peut-on être mieux,
Où peut-on être mieux,
Qu’au sein de sa famille ?
Tout est content, tout est heureux,
Le cœur, les yeux, le cœur, les yeux.
Chantons,
Aimons,
Chantons,
Aimons
Comme nos bons aïeux.
Chantons,
Aimons,
Chantons,
Aimons,
Comme nos bons aïeux,
Comme nos bons aïeux.
Commentaire
Bien éloigné de l’idée que l’on se fait de la chanson de soldat, ce morceau a pourtant été très populaire au sein de la Grande Armée comme en attestent les témoignages. Il était inscrit au répertoire courant des musiques régimentaires et il est interprété par les musiques de la Garde dans le salon carré du Louvre, le jour du mariage de Napoléon avec Marie-Louise. Le sergent Bourgogne le cite dans ses Mémoires sur la campagne de Russie en 1812 (Valenciennes, 1856, p. 104) en expliquant que le morceau est joué lors de l’entrée dans Moscou et pendant la retraite de Russie. L’Empereur aimait le fredonner… faux, comme le relatent les témoignages de ceux qui l’ont approché.
Il est probable qu’il était bien connu des soldats de la Révolution puisqu’il est tiré de Lucile, une comédie mêlée d’ariettes créée à la Comédie-Italienne le 5 janvier 1769. Lucile a été composé par le maître de l’opéra-comique, André Grétry (1741-1813) sur un livret de Marmontel. Cette œuvre caractéristique du sentimentalisme des Lumières marque « l’introduction de la comédie larmoyante sur la scène de l’opéra-comique » (Vendrix).
Ayant triomphé sous Louis XVI, Grétry fut maître de clavecin puis directeur de la musique de la reine, la censure du Comité de Salut public interdit la représentation d’une autre de ses œuvres, Ô Richard, ô mon roi, à cause du mot roi les royalistes en avaient fait un chant de reconnaissance. Grétry eut incontestablement quelques difficultés à embrasser les idées nouvelles pour retrouver le même succès, malgré quelques compositions qui montrent que sa réputation n’était pas oubliée. En effet, sa musique délicate est bien éloignée du nouveau genre musical révolutionnaire qui privilégie l’emphase, la vitesse d’exécution et le volume sonore.
Quand, sur ses vieux jours, Grétry paraissait dans un théâtre, le public entonnait ce chant et sous la Restauration, il servait à accueillir la famille royale dans les lieux publics. Certains ont même retrouvé la mélodie reprise pour des cantiques (Pierre Lasserre, L’Esprit de la musique française. De Rameau à l’invasion wagnérienne, Paris, Librairie Payot & Cie, 1917). Elle est introduite par François-René Gebauer dans un mouvement de sa 3e Marche pour l’entrée de Louis XVIII à Paris en 1814, traversant ainsi tous les régimes de cette période mouvementée. Les paroles illustrent que les sentiments et même une sensiblerie un peu niaise héritée des salons d’un régime honni peuvent émouvoir les soldats les plus sanguinaires de leur époque, L’oubli injuste dans lequel est tombé aujourd’hui ce morceau d’un genre suranné est à la hauteur de son ancienne popularité. Curieusement, on retrouve cette chanson au répertoire des soldats de l’armée belge dans les années trente, comme en témoigne un de leurs recueils.
La partition est publiée par Constant Pierre en 1899 dans Musique des fêtes et cérémonies de la Révolution française (Imprimerie nationale, page 476).
Le titre est cité par le capitaine Jean Lasserre, « Musiques et batterie des grenadiers à pied et des chasseurs à pied de la Vieille Garde impériale », dans Revue des études napoléoniennes, 11e année, tome II, nov-déc 1922, p. 234.
Roger Nourisson le mentionne dans « La musique militaire sous le Consulat et l’Empire », dans Le Souvenir napoléonien, n° 379, octobre 1991, p. 28.
Thierry Bouzard
Docteur en histoire
Compositeur
André Grétry