Hommage à Jacques Jourquin (1935-2021) : Jacques Jourquin, mon ami, notre maître

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Historien, éditeur, écrivain, acteur majeur du monde napoléonien, Jacques Jourquin est décédé le 14 novembre 2021. Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon, lui rend hommage.

Hommage à Jacques Jourquin (1935-2021) : Jacques Jourquin, mon ami, notre maître

C’est un acteur central et essentiel du monde napoléonien depuis un demi-siècle (pour se limiter à ce domaine) qui vient de nous quitter, il suffira aux plus jeunes de consulter sa biographie, sa bibliographie et sa carrière rappelées ci-dessous pour en être convaincus.
Mais Jacques Jourquin était encore bien plus, par la façon (presque la méthode) dont il a pris en main une cohorte de « napoléonistes » en herbe. J’en ai fait partie, il y a une quarantaine d’années, mais Irène Delage, David Chanteranne, Pierre Branda et tant d’autres qui ont vus leurs premiers travaux être publiés dans les magazines que dirigeait Jacques Jourquin peuvent en dire autant. Capitaine des principales publications napoléoniennes, comme la Revue de l’Institut Napoléon (avec son ami Jean Tulard) et la Revue du Souvenir napoléonien (qu’il sauva au début des années 1980), il avait ce qu’on appelle du nez pour repérer de nouveaux auteurs et de nouvelles recherches. Avec ces poulains qui s’ignoraient encore, il allait toujours droit au but et à l’essentiel, parfois autour d’un déjeuner qui ne pouvait qu’être bon (selon un principe non négociable) et souvent sur une nappe vichy (car la cuisine traditionnelle avait sa préférence). Et c’est ainsi que nous sommes entrés dans la carrière, sous sa houlette mais jamais sous sa coupe, car il nous laissait toute liberté une fois les sujets convenus. Ses qualités d’entrepreneur et de grand éditeur s’exprimaient ici avec éclat. Ma génération et, comme il disait, « celle du dessous » lui doivent donc beaucoup, et même beaucoup plus que nous croyons le savoir.
Le respect que nous avions pour lui tenait à sa personne, droite, joyeuse et au besoin d’une franchise à vous faire rougir… mais aussi à vous motiver. Car comment discuter les conseils et (parfois) les critiques d’un homme qui était aussi un écrivain reconnu, un incontestable découvreur de talents, un chef d’entreprises à succès (voyez ce qu’il fit d’Historia et des éditions Tallandier), un animateur de réseaux insoupçonnés et étendus, l’ami des grands auteurs des années 1950 à nos jours, un lecteur infatigable, un bibliophile distingué et, pour ce qui me concerne, un ami fidèle et presque paternel.
Jacques Jourquin ne se faisait aucune illusion sur les Hommes, mais les aimait tout de même, y compris malgré eux. On ne rencontre que rarement quelqu’un qui se tient aussi calme dans les orages et les tempêtes, qui ont longtemps été le déplorable apanage du monde napoléonien. Ferme de convictions mais souple dans l’action, il parvenait à ses fins en passant par l’apaisement qui n’était jamais un renoncement. C’est aussi une leçon qu’il nous a apprise. Il est vrai qu’il avait le plus souvent raison et n’écartait les petitesses que par sa force d’âme et sa ténacité, jamais par les coups de colère et de gueule. Nul n’oublie comment ses qualités s’exprimaient : par le mouvement de ses mains, au bout de ses longs bras pour finir par un sourire large comme son cœur, le bleu éclatant de son regard ; et ce qui se passait derrière son front était toujours exemplaire et instructif, une fois décryptées ses intentions et sa stratégie.
J’aimerais ajouter que l’encre de ce texte trop bref est mouillée par les larmes d’une profonde amitié qui ne s’achève pas avec son départ et que nous avons découverte, renforcée et cultivée tout au long de ces années de route commune. Jacques fut mon mentor puis rapidement mon ami (est-ce la table qui nous fit briser la glace ?), le relecteur de la quasi-totalité de mes livres, le précieux conseiller de mes premiers pas à la Fondation Napoléon et enfin l’homme des échanges personnels jusqu’à ces derniers temps, alors même que la maladie le tenait éloigné de la scène mais jamais de mes pensées.
À son épouse Chantal, ses enfants Anne-Sophie, Jérôme et Emmanuel, le président, les administrateurs, les membres du jury dont il était un des animateurs et les collaborateurs de la Fondation Napoléon qui ont tous eu la chance de travailler avec lui (et pour ce qui concerne notre bibliothécaire, Chantal Prévot, de façon quasi-permanente ces dernières années) se joignent à moi pour un message de condoléance et d’amitié. Nous les assurons que le souvenir et l’œuvre immense de Jacques Jourquin ne seront pas oubliés.

15 novembre 2021

Consulter une courte biographie de Jacques Jourquin.
Consultez la bibliographie quasi exhaustive de Jacques Jourquin, une vie d’écrivain et d’historien (1935-2021).
► Découvrez deux interviews de Jacques Jourquin sur napoleon.org :
Quelques précisions sur l’édition des « Souvenirs » d’Ida Saint-Elme aux éditions Tallandier (2004)
Jacques Jourquin : le Journal inédit du Retour des Cendres du mameluck Ali (2003)

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