Les collections du musée de la Marine, entre tradition et innovation

Auteur(s) : MUFFAT Sophie
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C’est une belle histoire que celle des collections du musée de la Marine, qui pourrait commencer par « il était une fois ». Ou plutôt par « il était cinq fois ». Car ce musée unique en son genre essaime dans cinq villes avec une histoire navale spécifique, chacune des antennes possédant sa propre collection, liée à l’histoire militaire et locale, constituée patiemment de modèles et sculptures ayant fait rêver des générations de visiteurs.

Les collections du musée de la Marine, entre tradition et innovation
Modèle réduit de trois-mâts exposé au musée de la Marine,
alors installé au Louvre. Photographie de presse (Agence Rol),
entre 1904 et 1908 © Gallica/BnF

La genèse des collections parisiennes remonte à un cadeau royal. En 1748, l’ingénieur Duhamel du Monceau offre au roi sa propre collection de modèles, patiemment constituée. Elle est alors exposée dans la bibliothèque royale, puis à proximité de la salle des séances de l’Académie des sciences qui siège au Louvre. Cette première collection a une fonction utilitaire : elle doit servir à l’instruction des élèves ingénieurs-constructeurs de l’école fondée par ce même Duhamel du Monceau. La Révolution dissémine les académies et les collections en 1793, mais les modèles d’instruction et les maquettes de vaisseaux de la collection royale survivent miraculeusement dans une pièce dédiée du ministère de la Marine, en compagnie des collections du Ministère et des saisies révolutionnaires. L’ensemble est alors placé sous le patronage de l’administration de la Marine, sans être pour autant organisé en musée.

Il faut attendre 1810 pour que l’Empereur agrandisse le fonds de modèles, par la constitution de la collection dite « de Trianon ». Bien que les motifs de la volonté impériale demeurent mystérieux, il est permis de penser qu’il souhaitait une « vitrine » de prestige pour mettre en avant la construction navale et en montrer des réalisations concrètes. Parmi les vingt types retenus, certains modèles sont choisis parmi ceux déjà existants, mais d’autres sont construits exprès, avec un luxe de raffinement dans leurs matériaux et leurs conceptions. L’ingénieur Sané ouvre un atelier spécialement dédié à la construction des modèles de l’Empereur. L’innovation tient dans la rigueur : les modèles sont identiques aux bâtiments navigants, y compris dans les aménagements intérieurs invisibles du public. Tous doivent avoir la même échelle. Les coques sont construites dans l’atelier parisien, les mâts, aménagements, artillerie sont fabriqués par les ouvriers de l’arsenal de Rochefort, puis ensuite acheminés avec un incroyable luxe de précautions pour être assemblés à Paris, et exposés.

Ces petites mains des arsenaux travaillent de façon anonyme et aucun modèle n’est signé : les ouvriers ne sont pas des maîtres artisans. Seuls quelques-uns ont laissé leur signature à l’intérieur des modèles construits. La gabarre la Lionne porte le nom de François Hardy, qui a signé son œuvre sous le panneau démontable de l’arrière : « Travailler par François Hardy de St Malo lan 1817 ; fait a Paris ». C’est aussi le cas de la flûte la Normande, sur laquelle on peut lire, exactement au même endroit que pour la Lionne, « Fait par moit, E. Héronnaux contremaître charpentier de Rochefort an l’an 1816 ». À l’heure actuelle, seule une quinzaine de ces maquettes sont parvenues jusqu’à nous, et demeurent parmi les pièces d’exception du Musée. Une exposition entière leur a été consacrée en 2014 dans un écrin à leur mesure, au château de Versailles.

La création du musée naval du Louvre par le roi Charles X en 1827 marque une nouvelle étape. L’ensemble des collections disséminées dans les divers sites est alors rassemblé, et les arsenaux de Rochefort, Toulon, Brest, Cherbourg et Lorient ont chacun une salle dédiée à l’exposition de modèles, utilisés pour l’instruction des futurs officiers. Les collections sont alors en partie constituées des modèles d’instruction, de plusieurs mètres de long, et des maquettes, modèles en réduction, réalisés aux fins exclusives d’exposition. Le transfert de la collection Trianon au nouveau musée se fait en 1828. Au fur et à mesure des évolutions techniques, l’utilité des modèles d’arsenal disparaît au profit d’un intérêt artistique et esthétique. C’est ainsi que le musée passe sous l’administration des Beaux-arts en 1848, pour agrandir ses collections avec des spécimens rapportés par les bâtiments scientifiques, et lui donnant une dimension maritime au sens large. Le musée naval est entre-temps devenu le musée de Marine. Les collections du musée parisien s’enrichissent de la bibliothèque de l’amiral Pâris, des maquettes fabriquées dans les ateliers du musée, et des instruments scientifiques indispensables à la navigation.

Sous le Second Empire, les modèles présentés tiennent compte des évolutions techniques, et sont mis en avant par les expositions universelles, qui mettent en scène avec faste la modernité navale voulue par la politique impériale. L’intérêt technique fait son retour : c’est à ce moment-là qu’est construite la maquette du sous-marin expérimental le Plongeur, actuellement au Musée de Rochefort. Mais le manque de place se fait sentir au Louvre, et les 14 salles ne suffisent bientôt plus, les maquettes, tableaux, instruments, artillerie, s’entassent sans souci thématique, contraints par la disposition des lieux.

La création des catalogues, régulièrement enrichis au fur et à mesure de l’agrandissement des collections, connaît un grand succès. Ces catalogues sont autant pour l’instruction du public visitant le musée que pour les érudits « que préoccupent les matières de l’archéologie navale », comme l’écrit Jean Destrem en 1909.

En 1919, le musée de Marine dépend de nouveau du ministère de la Marine, et devient musée de la Marine. Tout au long de son existence depuis 1827, le musée se veut ambassadeur des techniques de construction, à vocation ethnographique, géographique, commercial, scientifique, maritime au sens le plus étendu. Vitrine des innovations techniques autant que du patrimoine, le musée déménage en 1943 au Palais de Chaillot. Les six années de travaux qui s’achèvent avec la réouverture du 17 novembre 2023 ont contribué à pérenniser les volontés impériales par l’enrichissement des collections à vocation scientifique, comme l’exprime le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian en 2015 : « Le nouveau musée sera un lieu vivant, interactif, porteur d’émotions et de savoirs ; il invitera au voyage ; il sera l’écrin d’un patrimoine exceptionnel, et les collections du musée seront valorisées comme jamais elles ne l’ont été ; mais il sera aussi un outil puissant de sensibilisation aux enjeux de la mer aujourd’hui et demain. »

Sophie Muffat (15 novembre 2023)

Professeur de lettres modernes en Alsace, Sophie Muffat est spécialiste de l’histoire navale sous le Directoire, le Consulat et le Premier Empire. Elle a notamment publié Les Marins de l’Empereur (Soteca, 2021), qui a obtenu le Prix du jury de la Fondation Napoléon en 2022.

Lire une interview de Sophie Muffat : « Le fil rouge entre les deux Empereurs, c’est la formation des marins et l’enseignement »

► Sophie Muffat était l’invitée de l’émission « Le cours de l’histoire » sur France Culture le 22 novembre 2023, consacrée à l’histoire de la Marine au XIXe siècle.

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