Les masques mortuaires de Napoléon. Résumé des problématiques

Auteur(s) : PRÉVOT Chantal
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Dès le milieu du XIXe siècle et plus encore au XXe siècle, ce que l’on peut nommer « l’affaire des masques mortuaires de Napoléon » fait partie des mystères ou pseudo-mystères qui entourent Napoléon Ier en tant que personnage historique et populaire. Cette affaire est un imbroglio où des masques très différents les uns des autres, tant par le matériau utilisé que par le visage reproduit, surgissent brusquement sur la scène médiatique napoléonienne, pour parfois disparaître tout aussi soudainement dans de mystérieuses collections privées. La certitude historique ne peut s’appuyer que sur de rares témoignages très partiels, et parfois partiaux. La reconstitution du cheminement de ces masques, potentiellement authentiques, jusqu’à nos jours repose dès lors sur des suppositions, voire des intimes convictions.

Mise à jour : mai 2021

Les masques mortuaires de Napoléon. Résumé des problématiques
© Fondation Napoléon

Cette étude fait partie du dossier thématique Les masques mortuaires de Napoléon

En complément, un tableau synthétique des différents types de masques présentés dans l’article

Les masques en plâtre

Les masques en plâtre sont les plus nombreux. L’original fut fait par le docteur anglais Burton, médecin militaire de la garnison de Sainte-Hélène, le soir du 7 mai 1821, sur une suggestion de Mme Bertrand. Le docteur Antommarchi, médecin de l’Empereur, a apporté son aide lors de l’empreinte en négatif réalisée en plusieurs morceaux. Dans la nuit, la plupart des témoignages concordent pour affirmer que le clan des Français (Antommarchi ou Mme Bertrand) emporta la partie centrale (yeux-nez-bouche) sans l’accord de Burton. Le Comte Bertrand aurait proposé une indemnité au docteur Burton qui offusqué la refusa et tenta de récupérer son bien par les voies judiciaires, mais en vain. Thèse rejetée par les descendants d’Antommarchi qui réfutent une quelconque participation de Burton dans la prise du masque.
Notons que certains auteurs ajoutent un troisième participant, en l’occurrence le peintre Rubidge, en escale à Sainte-Hélène, qui aurait apporté son savoir-faire artistique pour reconstituer un faciès complet.
Une première empreinte en positif a été réalisée et c’est là où nous rentrons dans la grande nébuleuse des masques, puisque chacun des masques répertoriés ci-après est présenté comme étant soit le premier positif soit le premier masque pris sur le positif (détruit par la suite), bref l’original. Le peintre Rubidge aurait apporté son savoir-faire artistique pour reconstituer un faciès complet.

·  Le masque Azémar de la famille Antommarchi (Musée de Malmaison), dénommé parfois Masque de Malmaison
Le masque donné au comte Bertrand
(Musée de Malmaison) dénommé parfois Masque de Malmaison, comme le précédent ce qui implique quelques confusions
· Le masque Veauce-Burghersh (Musée de l’Armée, Invalides, Paris)
· Les deux masques confiés au pasteur Boys (dont le masque Sankey en dépôt à la Maison française de l’Université d’Oxford)
· Les masques Gilley 1 et Gilley 2 (Maison Bonaparte, Ajaccio)
· Le masque d’Exeter (Musée d’Exeter, Grande-Bretagne)
· Le masque Rusi (Royal United Service Museum), puis Corso (Collection privée américaine inconnue)
· Le masque « Lebendmaske » (Rollettmusuem de Baden, Autriche)
· Les masques conservés en Amérique du Sud, par les héritiers du Dr Antommarchi mort à Santiago de Cuba en 1838 (Masques localisés à des périodes différentes à Bogota (Colombie), Caracas (Venezuela), ou Santiago de Cuba)

Un masque de cire, décliné en plusieurs copies

Un masque de cire, décliné en plusieurs copies dont la première empreinte aurait été modelée par le docteur anglais Arnott, médecin militaire, dans la nuit du 5 au 6 mai 1821, ce qui en ferait le premier masque chronologiquement.
· Exemplaire de Cannes (ou Arnott ou Pardee) (En dépôt au Musée Masséna à Nice).
· Exemplaire de Munich (il serait en collection privée en Allemagne)
Exemplaire du musée de l’Ermitage (Saint-Pétersbourg) (provient des collections de Maximilien de Leuchtenberg, fils d(Eugène de Beauharnais)
·  Masque Borella (en dépôt au musée Caillebotte à Yerres, Essonne)

Il existe un autre type de masque en cire, seul de « sa famille » :
· Le masque de Noverraz (en cire), valet suisse présent à Sainte-Hélène, retrouvé en 1949 dans un grenier. (Musée cantonal de Lausanne, Suisse)

Un masque de papier mâché

Le masque en papier mâché du comte Passolini (ou Pasolini).

Analyse : que penser des différents masques

Le masque Azémar, dont la provenance familiale Antommarchi semble établie, bien que souffrant de versions différentes, présente une surface légèrement rugueuse, une finesse de traits qui le rapproche de la version originale.

Le masque Antommarchi-Bueghersh-Veaucea bénéficié de nombreux articles qui en faisaient la matrice de tous les autres masques considérés à tort comme originaux. A l’heure actuelle, il n’apparaît plus comme une des premières copies.

Le masque Bertrand, s’il a bien toujours figuré dans la famille Bertrand avant d’être donné à la famille impériale, est d’un aspect plus lisse et plus fini que le précédent. Les archives font bien état d’une copie laissée à Londres en août 1821, puis récupéré par le grand maréchal.

Les masques Sankey et Boys auraient appartenu au pasteur Boy en poste à Sainte-Hélène en 1821. Le masque Sankey (du nom marital d’une des filles du révérend) est en dépôt à la maison française de l’Université d’Oxford. Le second dit masque Boy est passé en vente le 19 juin 2013 à Londres. Ils font partie du grand nombre de masques retrouvés dans les îles britanniques.

Les masques Gilley 1 et 2 restent relativement méconnus et peu documentés. Ils auraient appartenu à Hudson Lowe avant de devenir la propriété du lieutenant Thomas Gilley en poste à Sainte-Hélène. Une théorie voit en eux les deux premiers essais jugés non concluants et donnés/récupérés (?) par le gouverneur. Leur cheminement jusqu’en Corse où ils sont conservés n’est pas tracé dans la littérature sur les masques.

Le masque du musée Rusi (Londres), certainement devenu Corso en 1962 à la fermeture du musée, est apparu en 1939 dans la collection d’un certain Charles Adler qui l’avait acheté à Louis-Charles de Bourbon (en fait William Reeve habtiant le Kent) qui prétendait l’avoir acquis auprès du prince d’Essling, qui a fermement démenti toute présence d’un tel masque dans ses collections. Il est cité par les tenants de la substitution des corps opéré par les Anglais, théorie qui veut que Napoléon soit inhumé dans l’abbaye de Westminster et que les Invalides soit le tombeau de Cipriani, maître d’hôtel de l’Empereur. Le masque Antommarchi-Burghersh-Veauce aurait les traits émaciés de Cipriani, décédé en 1818, déterré en 1821 et mis dans le caveau à la place de Napoléon Ier, tandis que le corps du plus fameux ennemi de l’Angleterre sur ordre de son roi prenait la mer pour rejoindre les plus grandes gloires des îles britanniques en plein coeur de Londres. Le masque Rusi-Corso par contre serait la vraie empreinte du visage de Napoléon à Sainte-Hélène, période de sa vie où sa taille et son visage étaient massifs. Son propriétaire actuel depuis 2004 est resté anonyme.

Le Lebendmaske du Rollettmuseum de Baden, près de Vienne en Autriche serait une copie envoyée à Marie-Louise, qui l’aurait donnée à son médecin personnel.

Les masques dans d’autres matières que le plâtre
Bien qu’aucun témoin ne rapporte une prise en cire du visage, le masque Arnott et ses copies ont leurs défenseurs qui expliquent la grande différence de traits par rapport aux masques en plâtre, par la rapidité de la prise lorsque le corps n’avait pas encore subi les dommages de la chaleur moite du plateau de Longwood.
Quant au masque en papier mâché, il semble plus tenir du canular que de la véracité historique.

Quelques éléments bibliographiques commentés

WATSON (George Leo de St. M.), The story of Napoleon’s death mask, told from the original documents. London, John Lane, 1915
Ouvrage de référence dans cette affaire de « droit d’auteur » qui démontre que seul le Dr Burton a réalisé le masque mortuaire, avant que celui-ci soit subtilisé par Mme Bertrand au profit d’Antommarchi. L’auteur établit une filiation de ce moule de 1821 à 1914, et de ses nombreuses copies

JOUSSET (Jacques), STADMULLER (Franz), « Considérations sur les masques mortuaires de Napoléon Ier [introduction de Jacques Jousset, suivi du texte de l’expertise du Professeur Dr Franz Stadtmüller] », La Science historique (Paris), 1954, n. sér., n° 3, p. 129-140.
Pour le prof. Stadmüller le masque de plâtre de type Antommarchi et le masque de cire de type Arnott présentent la même ossature. L’affaissement des traits entre les deux empreintes prises à 34 heures d’intervalle serait dues à la décomposition du cadavre.

LINDEN (Louise) « Histoire des masques de l’empereur Napoléon Ier », Souvenir napoléonien (Nice, Paris), 1986, n° 346, p. 2-9. A lire sur napoleon.org
Pour l’auteur, deux masques sont identiques : le masque-Burton-Antommarchi en plâtre et le masque Arnott en cire, par contre le masque Sankey-mask est un faux. Le masque Arnott pris dans la nuit du 5 au 6 mai reprend les traits non altérés de l’empereur. Le masque Burton-Antommarchi ne fut réalisé que le 7 mai alors que la chaleur avait commencé son oeuvre de décomposition, ce qui expliquerait l’affaissement des chairs.

BEAUCOUR (Fernand), « Masque mortuaire de Napoléon (le) », dans Dictionnaire Napoléon, sous la direction de Jean Tulard, Paris, Fayard, 1999, Tome 2, p. 285-287
Relation de manière précise les faits connus relatifs au moulage du masque mortuaire, la polémique qui en a suivi et dresse une liste de masques connus.

MACE (Jacques), « Masques mortuaires de Napoléon » dans Dictionnaire historique de Sainte-Hélène, Paris, Tallandier, 2004, p. 310-314
L’auteur fait le point sur le déroulement des faits à Longwood entre le 5 et le 7 mai en ce qui concerne la prise du masque et sur les filiations des différents masques. Il relie la polémique née dans les années 1970 à celle de la substitution présumée du corps de Napoléon.

Lire la bibliographie commentée complète (septembre 2020)

Titre de revue :
inédit
Mois de publication :
avril
Année de publication :
2014
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