Une chronique d’Aurélien Lignereux : Vous avez dit « cent jours » ?

Auteur(s) : LIGNEREUX Aurélien
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En réponse à l’allocution télévisée du 17 avril dernier par laquelle Emmanuel Macron, désireux de relancer son quinquennat, cherchait à marquer les esprits en annonçant « cent jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France », on a vu fleurir tweets et caricatures lui promettant le même sort qu’à Napoléon, avec Waterloo pour horizon. Essaimant des campus, des affiches sauvages affublant le président d’un bicorne ont ainsi mis en image, à grand renfort de photos-montages, la référence aux Cent-Jours, manifestant un vif désir d’histoire tout en perpétuant cette idée fausse que l’histoire se répète…

Une chronique d’Aurélien Lignereux : Vous avez dit « cent jours » ?
A. Lignereux ©IHEMI.fr.jpg

Quoi qu’il en soit, le pays a interprété comme une allusion au printemps 1815 ce qui n’était pas explicité dans ce discours. Après tout, il y avait de quoi jouer positivement de la référence car le retour de Napoléon n’est-il pas l’exemple achevé du volontarisme en politique, du souci d’avoir une deuxième chance, de retrouver les Français après l’exercice solitaire du pouvoir impérial et de renouer avec la fibre libérale et patriote de 1789 ? Autant d’analogies qui pouvaient donner de la profondeur à la volonté d’Emmanuel Macron de repartir sur d’autres bases, d’établir un « nouveau contrat avec la Nation », après la fronde suscitée par la réforme des retraites et la crise dite démocratique entraînée par le recours au 49.3.

Mais peut-on se réclamer d’un épisode qui finit par Waterloo ? En restant dans l’implicite, le président et ses conseillers pouvaient espérer que l’on fasse d’autres rapprochements. Par exemple, avec les « cent jours » du premier New Deal de Roosevelt (9 mars-16 juin 1933,) séquence autrement positive en ce qu’elle devait relancer les États-Unis. En trois mois, une quinzaine de lois reposant sur les 3 R – « Relief, Recovery and Reform » (Aide Sociale, Reprise et Réforme) – ont voulu mettre fin si ce n’est à la crise de 1929 elle-même du moins à la peur qui en amplifiait les effets. Or comment dans l’Assemblée nationale fragmentée de 2023 légiférer à ce rythme ? L’Élysée aspirait peut-être aussi, tout simplement, bénéficier en différé de l’état de grâce naguère reconnu au nouvel élu et traditionnellement estimé à cent jours, temps nécessaire pour appliquer les mesures emblématiques de son programme avant que les oppositions ne redressent la tête.
Peu importe, en France, 100 jours = 1815, aussi vrai que 1+1 =2. On peut se réjouir que cette culture historique reste en éveil même si, en l’espèce, c’est plutôt la susceptibilité politique qui sert de ressort. L’expression est conflictuelle. Faut-il le rappeler ? Napoléon ne l’a nullement choisie : ce n’est pas cent jours qu’il se donnait pour reconquérir la confiance de tous les Français et forcer l’Europe des rois à l’accepter une fois pour toute, mais le temps d’un second règne jusqu’à ce que son fils lui succède.
La formule des Cent-Jours est rétrospective et royaliste : au retour de Louis XVIII le 8 juillet 1815 aux Tuileries qu’il avait dû abandonner la nuit du 19 mars précédent, elle a servi à désigner la période d’interrègne, celle de tous les désastres : la trahison et l’usurpation, la défaite et l’invasion, la ruine et la division du pays. La tradition républicaine s’en est emparée. Lorsque Mac-Mahon, gloire militaire du Second Empire (il est duc de Magenta), monarchiste et premier président d’une Troisième République encore hésitante, choisit de dissoudre la Chambre des députés, les républicains s’indignent ou prophétisent les « Cent-Jours de l’Ordre moral ».

Invoquer les cent jours, c’est prendre un risque politique mais, au fond, n’est-ce pas cela l’esprit des Cent-Jours ? Dominique de Villepin y voyait plutôt « l’esprit de sacrifice ». Ce registre tragique n’est pas celui du printemps 2023 placé sous le signe de l’apaisement. Et du retour aux dossiers du quotidien, au risque de l’insignifiance, bien loin de l’expérience intense et inouïe de 1815. Les Cent-Jours sont un hapax ; uniques et exceptionnels, ils resteront à la fois « les cent jours les plus chers de l’histoire de France » (P. Branda) et les plus chers au cœur des passionnés d’histoire. En 2023 au contraire, de guerre lasse, les casseroles se sont tues ; les syndicats n’ont pas choisi le 18 juin pour ultime journée de mobilisation. Rythmé par les sondages, l’enjeu se recentre sur une question d’image. N’est-ce pas là encore ce qu’avait laissé les Cent-Jours ? Napoléon voulait convaincre les Français qu’il avait changé et qu’il les écoutait, préparant la mue géniale du Mémorial de Sainte-Hélène.
Sans tirer de bilan pour Emmanuel Macron, la référence aux Cent-Jours a servi à rééquilibrer les imaginaires politiques. En éveillant l’analogie avec Napoléon – fût-celui crépusculaire de 1815 -, le président a retrouvé les comparaisons, certes pas toutes bienveillantes, qui en 2017 l’érigeaient en nouveau Premier consul hyper-actif, tout se délestant pour un temps d’une autre image remise au goût du jour : celle de Louis XVI, terré à l’Élysée comme jadis le roi à Versailles, fuyant à Bruxelles et voué à la guillotine. Dans la mythologie française, il y a pire que Waterloo, il y a Varennes.

Aurélien Lignereux
Juin 2023

Aurélien Lignereux est professeur d’Histoire contemporaine à Sciences Po Grenoble et historien. Ses travaux portent sur l’empire napoléonien, tant dans son armature policière que dans le projet idéologique qui l’anime ou les hommes qui l’administrent, sans oublier les résistances qu’il suscite. Il est l’auteur de nombreux ouvrages primés parmi lesquels L’Empire de la paix. De la Révolution à Napoléon : quand la France réunissait l’Europe (2023), Les Impériaux. Administrer et habiter l’Europe de Napoléon (2019 ; Prix Premier Empire 2019 de la Fondation Napoléon, Prix Augustin Thierry de la Ville de Paris 2020), mais aussi d’une BD réjouissant intellectuellement et graphiquement, La Folie Napoléon. Du 18 Brumaire à Waterloo (2022).

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