Une chronique de François Houdecek : Quand « Bonnie Prince Charlie » rencontre « Boney » !

Auteur(s) : HOUDECEK François
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Sans être collectionneur, c’est toujours en curieux que l’historien napoléonien ouvre un catalogue de vente consacré à sa période. Avec les bicentenaires, cette lecture permet souvent de découvrir de beaux objets à la filiation prestigieuse, des manuscrits inédits ou le portrait d’un personnage dont on ne connaissait que le nom ou la carrière.
Pendant près de 15 ans, le travail pour l’édition de la Correspondance générale de Napoléon s’est nourri et enrichi de cette exploration passionnante. La collection des catalogues de vente des Archives nationales fut une source importante de documents. Les ventes en France et à l’Étranger firent sortir au grand jour de nombreuses lettres longtemps cachées dans le secret de collections privées, toujours jalouses de leurs autographes. Chaque vacation nous donnait l’espoir de trouver, si ce n’est une lettre inédite, au moins un document qui nous confirmait le texte d’une missive que nous avions déjà vue. Entamée en 2004, cette veille se poursuit depuis, ménageant périodiquement de belles surprises. Ce sont ainsi déjà près d’une centaine d’inédits qui rejoindront les publications périodiques des volumes de la Correspondance générale prévues sur Napoleonica – les Archives.

Une chronique de François Houdecek : Quand « Bonnie Prince Charlie » rencontre « Boney » !
François Houdecek © Rebecca Young/Fondation Napoléon

Dans cette veine, le dernier des grands bicentenaires qui s’ouvre, en cette année 2021, promet de belles découvertes comme le prouvent les ventes aux enchères de ces dernières semaines. Qu’on en juge. Le 11 décembre 2020 s’est négociée aux États-Unis une copie du rapport de l’artisan qui réalisa, en 1821, le cercueil en étain de Napoléon. Connu, ce document n’en demeure pas moins remarquable. La même vente dispersa un rapport, destiné à Hudson Lowe, de l’officier d’ordonnance Nichols qui fut affecté à Longwood en 1819-1820, un profil de l’Empereur daté de 1820 réalisé par Mme Bertrand, ainsi que des lettres et rapports de Napoléon ou encore des éléments de la berline de Waterloo. Quelques semaines plus tard à Paris, c’est une partie de la correspondance inédite d’Emmanuel Pons de Las Cases des années 1830-1840, avec Bertrand, Montholon ou Napoléon III, qui a été vendue. Encore dernièrement en Angleterre, une clé, qui semble-t-il a été prise à Longwood en septembre 1822 (lire la Chronique de M. Dancoisne-Martineau), s’est négociée à prix d’or. Dans le même temps, un libraire parisien a mis en vente un manuscrit dicté par Napoléon à Bertrand sur Austerlitz, ainsi que plusieurs documents émanant du fonds Bertrand dispersé dans les années 1980. Autant de documents ou d’objets qui suscitent la curiosité, mais nécessitent à chaque fois une certaine circonspection, tant les filiations peuvent être parfois compliquées à établir.

Au milieu de cet inventaire hétéroclite et très partiel, un étrange document vendu aux États-Unis a attiré notre attention. Sur un rectangle de papier, un inconnu a réuni :

  • Un morceau de plaid de Charles Stuart avant la bataille de Culloden (Écosse, 16 avril 1746) ;
  • Une gravure du domaine du duc d’Athol dont un des fils, Lord George Murray, fut lieutenant de Stuart dans le soulèvement écossais ;
  • Les premières strophes d’une chanson jacobite peu connue (Merci, Peter Hicks, pour cette identification !) ;
  • Un morceau de papier peint de la salle de bain de Longwood ;
  • Quelques brins de bruyère pris dans la vallée de la tombe de Napoléon à Sainte-Hélène.

Ces éléments sont encadrés par deux putti collés sans grand soin sur un papier qui semble ordinaire. Peut-être fut-il encadré ?

« Reliquaire » avec morceau du papier peint de la salle de bain de Napoléon à Longwood © University Archives, enchères de novembre 2020

On le sait, après 1821, Sainte-Hélène et Longwood sont devenus des lieux de souvenirs et nombreux furent les visiteurs à repartir avec un petit bout des végétaux entourant la tombe ou de l’habitation impériale en poche. Les reliquaires botaniques ou matériels héléniens ne sont pas une rareté. Cependant, une conjonction de « reliques » aussi hétéroclites interroge. Pourquoi avoir fait voisiner de la sorte des souvenirs de Charles Edouard Stuart, dit « Bonnie Prince Charlie », et de celui que les Britanniques surnommèrent « Boney » ? Outre les surnoms qui rapprochent les personnages dans une certaine sonorité, les histoires de ces deux adversaires de l’Angleterre comportent, à grands traits, quelques similitudes.

En juillet 1745, Charles Edouard Stuart, petit-fils de Jacques II d’Angleterre et VII d’Écosse, chassé du pouvoir par la Révolution de 1688, débarqua en Écosse, décidé à reconquérir le trône au nom de son père (Jacques III Stuart) qui l’avait nommé prince régent. Dans son entreprise, où les oppositions religieuses jouèrent un rôle important, il fut porté par le parti jacobite et une partie des clans écossais qui composèrent son armée. Après quelques succès, il fut vaincu à la bataille de Culloden le 16 avril 1746 par les troupes anglaises de Cumberland (qui comportaient également des Écossais !). Pour mener la répression des opposants – elle fut féroce –, George III fit suspendre l’Habeas Corpus. Charles Stuart, pour ne pas être exécuté sur le champ, prit la fuite et put s’embarquer depuis l’île de Skye vers la France où il s’exila. Il termina sa vie en Italie en 1788.

À l’instar de Walter Scott, les admirateurs écossais de Bonnie Prince Charlie étaient encore nombreux en 1815. Non sans un certain romantisme, ils firent le rapprochement entre les destins de Charles Stuart et de l’Empereur. Napoléon débarquant à Golfe-Juan, après l’exil de l’île d’Elbe, leur fit penser à Charles Edouard Stuart venu en Écosse pour reconquérir le pouvoir. La fin tragique des Cent-Jours à Waterloo, s’achevant par l’exil à Sainte-Hélène, leur remémora Culloden et l’exil final de leur prince en France et en Italie. L’illusoire voie de sortie de Napoléon et ses partisans anglais (il y en avait !), s’en remettant à l’Habeas Corpus, en juillet 1815, leur remettait douloureusement en mémoire la tragique suspension du texte de 1746.

La mise en parallèle est cependant ténue, tant les détails des histoires sont différents ! En revanche, ces rapprochements expliquent très probablement la création de ce document « patchwork ». Les collectionneurs, on le sait, ont parfois des motivations plus prosaïques. Sans pouvoir identifier le créateur, qui fut certainement un Écossais qui passa à Sainte-Hélène, nous resterons sur nos interrogations. Preuve de l’aspect baroque de ce document, les collectionneurs n’ont pas rempli les espoirs des experts et l’estimation n’a pas été atteinte.

Sans être acheteur, ouvrir un catalogue de vente, surtout en période de bicentenaire, est toujours une aventure !

François Houdecek
Janvier 2021

François Houdecek est chargé des projets spéciaux à la Fondation Napoléon.

Titre de revue :
inédit
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