Une chronique de Juliette Glikman : Virginia, comtesse de Castiglione, égérie ambiguë de « la fête impériale »

Auteur(s) : GLIKMAN Juliette
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« Io son Io », « Moi, c’est moi ». Virginia Verasis di Castiglione a revendiqué en français comme en italien l’ambition de dépendre de sa seule volonté, au mépris des normes et codes de son temps. Benedetta Craveri, professeur de littérature française à Naples, dresse la biographie de La Contessa en œuvrant à déchiffrer une personnalité inextricable. La Castiglione, ce nom évoque toute une époque… Déléguée par Cavour en mission de séduction auprès de Napoléon III, afin de servir les intérêts du gouvernement de Savoie, la plénitude de son règne parisien a duré moins de deux années, entre 1856 et le printemps 1857. Ni sa beauté, ni la conquête de l’empereur des Français ne suffisent à expliquer sa renommée.

Une chronique de Juliette Glikman : Virginia, comtesse de Castiglione, égérie ambiguë de « la fête impériale »
Juliette Glikman © DR

Certes, ses attraits physiques ont constitué dès l’adolescence une « affaire sérieuse » pour ses parents, Filippo Oldoini et Isabella Lamporecchi. La rubrique mondaine de Florence, sa ville natale, célèbre un phénomène doté d’une « grâce à peine terrestre » ; Francesco Verasis, sixième comte de Castiglione, est foudroyé par la vue de cette adolescente de seize ans. Son entrée dans la haute société turinoise est un triomphe, « On faisait foule sous sa loge, on se pâmait, enfin c’était un événement », commente Costanza d’Azeglio. Au palais royal, les invités montent sur les chaises pour mieux la détailler. Mais la conservatrice cour de Turin ne peut rivaliser avec la scène parisienne. Le 29 janvier 1856, la comtesse de Castiglione crée la sensation au « grand bal » des Tuileries : âgée de dix-huit ans, en robe de soirée bleu argent, la jeune fille capricieuse et instable magnétise les regards.

La Dame de Coeurs (portrait de la comtesse de Castiglione)<br> par Pierre-Louis Pierson, vers 1861-1863 <br> Metropolitan Museum, New-York City, USA
La Dame de Cœurs (portrait de la comtesse de Castiglione)
par Pierre-Louis Pierson, vers 1861-1863
Metropolitan Museum, New-York City, USA

De ses premiers triomphes jusqu’à sa mort solitaire, en novembre 1899, la comtesse de Castiglione médite ses apparitions à l’instar de performances théâtrales. Douée pour la tragédie, endossant les traits de la femme fatale, elle cultive le goût de la célébrité et s’évertue à œuvrer à sa légende. D’où des retraites minutieusement calculées, à Passy, à Dieppe, à la Villa Gloria, sur les hauteurs de Turin, rompues par des apparitions tapageuses, dont les journaux tiennent la chronique avide : coiffures extraordinaires, robes de soirée confectionnées par des dizaines d’ouvrières, attitude hautaine de ce « Narcisse femelle » (comte de Fleury), soucieuse, en vain, de recouvrer la première place que son impudence et son effronterie lui ont coûtée… Devenue source d’embarras pour Napoléon III, la cour des Tuileries tient à distance cet objet de curiosité qui inscrit sa beauté dans une stratégie de vedettariat. Enivrée par son image, Virginia se défie des peintres, tout en apprivoisant l’outil photographique. Dans l’atelier Mayer et Pierson, elle élabore des mises en scène qui pérennisent toilettes et bijoux arborés lors des réceptions, happant le spectateur par un regard hypnotique, bravant les interdits jusqu’à soulever sa robe au-dessus du genou pour offrir à l’objectif la perfection de ses jambes nues. Tous les êtres dans son sillage participent de cette attraction. Son fils, Giorgio, est intégré dans ces tableaux photographiques comme un reflet de la beauté maternelle. Endossant tour à tour les costumes de dame de cœurs, reine d’Etrurie ou ermite de Passy, elle revendique son statut d’orfèvre de la mode : à la veille de sa mort, Virginia envisageait la création d’un spectacle photographique dont elle serait le metteur en scène et l’interprète, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900.

© Flammarion 2021
© Flammarion 2021

Sans s’appesantir sur la liste de ses amants (Napoléon III, Victor-Emmanuel II, Henri d’Orléans, Laffitte, La Tour d’Auvergne, Poniatowski, Cassagnac…), Benedetta Craveri s’attarde sur les « ambitions d’homme » de Virginia. Méprisant le sentiment amoureux (« je ne crois pas à l’amour, c’est une maladie qui s’en va comme elle vient »), sa célébrité lui ouvre toutes les portes, et ses relations s’étendent à l’échelle de l’Europe. Conspiratrice et aventurière autant que célébrité mondaine et icone érotique, prête aux spéculations les plus hasardeuses par un goût effréné du risque décuplé par l’obsession de la ruine, hantée par la manie de la persécution, ses différentes incarnations s’estompent quand elle évoque bouleversements politiques et refonte de la carte européenne. Davantage que l’exploitation mercantile de ses avantages physiques, ses contemporains étaient outrés par ses « excentricités », sa vie errante à travers l’Europe, son mépris des règles de la bienséance. S’émancipant des usages du monde comme du demi-monde, elle s’avère être une inclassable intermédiaire, s’adressant avec amitié ou désinvolture aux puissants de l’Europe, ministres, hauts fonctionnaires, banquiers, jusqu’à s’entremettre entre le gouvernement italien et le Vatican pour résoudre la question romaine ! Le musée du Risorgimento de Turin conserve le seul album photographique de la comtesse demeuré intact, vingt-cinq portraits qui garantissent à la « beauté divine » d’intégrer les lieux de mémoire de ceux qui « avaient fait l’Italie ».

Juliette Glikman
Avril 2022

Docteur en histoire, chercheur associé à l’université de Paris-Sorbonne, Juliette Glikman est l’autrice de nombreux ouvrages et articles, parmi lesquels « L’Adieu aux larmes. Le souvenir du 5 mai entre sédition et commémoration, de la monarchie de Juillet au second Empire » in « Le plus puissant souffle de vie… ». La mort de Napoléon (1821-2021) (Perrin, 2021),  La belle histoire des Tuileries (Flammarion, 2016), La monarchie impériale, l’imaginaire politique sous Napoléon III (Paris, Nouveau Monde Editions, 2013).

La comtesse de Castiglione, sur napoleon.org :
Portrait de la comtesse de Castiglione : Scherzo di Follia

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