Une chronique de Maxime Michelet – « Ce gredin de Badinguet » : l’histoire d’une haine

Auteur(s) : MICHELET Maxime
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En cette année du cent-cinquantenaire de la mort de Napoléon III, l’actualité éditoriale ne manque pas d’être riche, qu’il s’agisse des ouvrages de Thierry Lentz, de Xavier Mauduit ou de votre serviteur, ou encore du superbe numéro consacré à l’Empereur par Le Figaro Histoire. Le combat de la réévaluation est mené tambour battant. Mais la lutte pour davantage de rigueur historique et d’équité mémorielle est pourtant loin d’être gagnée et d’aucuns ressuscitent toujours les vieilles antiennes périmées sur un règne aussi prédateur que pathétique qui n’aurait apporté à la France que le fer de la dictature et le sang de la débâcle.

Une chronique de Maxime Michelet – « Ce gredin de Badinguet » : l’histoire d’une haine
Maxime Michelet © DR

Sans prêter la moindre attention à de très nombreuses décennies de travaux historiques, ce discours continue d’être assumé par de trop nombreuses personnes. Au-delà de l’inanité de ces discours désuets, proclamés à contre-courant des faits et des analyses les mieux établis, une question se pose : mais pourquoi tant de haine ?

Un rejet violent dont le plus éminent représentant demeure à jamais le grand poète national : Victor Hugo. Inutile de rappeler ici le tonnerre de ses orages poétiques, qui appartiennent à notre patrimoine littéraire, condamnant le « tyran-pygmée d’un grand peuple » en celui qu’il affubla pour la postérité du titre assassin de Napoléon le Petit.

Bien sûr qu’il y eut le coup d’État, un acte brutal dont le poids mémoriel apparaissait nettement aux yeux du principal intéressé lui-même mais qu’il décida d’assumer après l’expiration des voies légales de sortie de crise. Bien sûr qu’il y eut la défaite de Sedan et l’invasion de la France, une conclusion désastreuse face à laquelle l’Empereur refusa d’ailleurs toujours de se détourner des responsabilités qui lui incombent.

Mais ces deux événements, pour déterminants qu’ils soient, ne pourraient être compris sans une dimension complémentaire : le pire crime de Napoléon III aux yeux de ses successeurs fut d’être populaire.

Du coup d’État, suivi par un scrutin organisé – certes – dans des conditions exceptionnelles mais dont les résultats laissent transparaître une approbation majoritaire, jusqu’à la débâcle, précédé de quelques mois par un scrutin – parfaitement libre celui-ci – qui donna 82% des suffrages à l’Empire, Napoléon III fut approuvé par le peuple.

Face à ce constat, et reprenant les mots d’Hippolyte Thirria, pourtant critique de l’Empereur, dans sa préface de Napoléon III avant l’Empire : « Ayons le respect d’un passé qui est le nôtre, non parce que nous l’avons subi, mais parce que nous avons tout fait pour qu’il fût ce qu’il a été. Point d’outrages, point d’injures, tout cela retomberait inexorablement sur nous-mêmes. Nous l’avons aimé d’une passion insensée, n’allons pas le poursuivre à présent d’une haine aveugle. »

Si Napoléon III fut poursuivi d’une haine si tenace et si puissante c’est car il nous fallait l’oublier afin de poursuivre un nouveau chemin au bras de ses vainqueurs : manœuvre mémorielle commune à la fondation des nouveaux régimes mais sans cesse plus criante d’injustice au fur et à mesure que le temps des fondations s’éloigne.

« Point d’outrages, point d’injures, tout cela retomberait inexorablement sur nous-mêmes. »

Le Second Empire est une part essentielle de notre histoire et, ainsi, une part essentielle de nous-mêmes. Cent-cinquante ans après sa disparition, le temps est venu de nous souvenir de Napoléon III : de nous souvenir de nous-mêmes.

Maxime Michelet
Mars 2023

Maxime Michelet est historien, spécialiste de la Deuxième République et du Second Empire. Il est l’auteur récemment aux éditions Passés/Composés d’un essai Napoléon III, la France et nous (2023).

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