Sans prêter la moindre attention à de très nombreuses décennies de travaux historiques, ce discours continue d’être assumé par de trop nombreuses personnes. Au-delà de l’inanité de ces discours désuets, proclamés à contre-courant des faits et des analyses les mieux établis, une question se pose : mais pourquoi tant de haine ?
Un rejet violent dont le plus éminent représentant demeure à jamais le grand poète national : Victor Hugo. Inutile de rappeler ici le tonnerre de ses orages poétiques, qui appartiennent à notre patrimoine littéraire, condamnant le « tyran-pygmée d’un grand peuple » en celui qu’il affubla pour la postérité du titre assassin de Napoléon le Petit.
Bien sûr qu’il y eut le coup d’État, un acte brutal dont le poids mémoriel apparaissait nettement aux yeux du principal intéressé lui-même mais qu’il décida d’assumer après l’expiration des voies légales de sortie de crise. Bien sûr qu’il y eut la défaite de Sedan et l’invasion de la France, une conclusion désastreuse face à laquelle l’Empereur refusa d’ailleurs toujours de se détourner des responsabilités qui lui incombent.
Mais ces deux événements, pour déterminants qu’ils soient, ne pourraient être compris sans une dimension complémentaire : le pire crime de Napoléon III aux yeux de ses successeurs fut d’être populaire.
Du coup d’État, suivi par un scrutin organisé – certes – dans des conditions exceptionnelles mais dont les résultats laissent transparaître une approbation majoritaire, jusqu’à la débâcle, précédé de quelques mois par un scrutin – parfaitement libre celui-ci – qui donna 82% des suffrages à l’Empire, Napoléon III fut approuvé par le peuple.
Face à ce constat, et reprenant les mots d’Hippolyte Thirria, pourtant critique de l’Empereur, dans sa préface de Napoléon III avant l’Empire : « Ayons le respect d’un passé qui est le nôtre, non parce que nous l’avons subi, mais parce que nous avons tout fait pour qu’il fût ce qu’il a été. Point d’outrages, point d’injures, tout cela retomberait inexorablement sur nous-mêmes. Nous l’avons aimé d’une passion insensée, n’allons pas le poursuivre à présent d’une haine aveugle. »
Si Napoléon III fut poursuivi d’une haine si tenace et si puissante c’est car il nous fallait l’oublier afin de poursuivre un nouveau chemin au bras de ses vainqueurs : manœuvre mémorielle commune à la fondation des nouveaux régimes mais sans cesse plus criante d’injustice au fur et à mesure que le temps des fondations s’éloigne.
« Point d’outrages, point d’injures, tout cela retomberait inexorablement sur nous-mêmes. »
Le Second Empire est une part essentielle de notre histoire et, ainsi, une part essentielle de nous-mêmes. Cent-cinquante ans après sa disparition, le temps est venu de nous souvenir de Napoléon III : de nous souvenir de nous-mêmes.
Maxime Michelet
Mars 2023
Maxime Michelet est historien, spécialiste de la Deuxième République et du Second Empire. Il est l’auteur récemment aux éditions Passés/Composés d’un essai Napoléon III, la France et nous (2023).