Une chronique de Maxime Michelet : « Louis-Napoléon Bonaparte, premier président de la République »

Auteur(s) : MICHELET Maxime
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Il y a 175 ans, le 20 décembre 1848, au cours d’une cérémonie de prestation de serment organisée en hâte dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale constituante, Louis-Napoléon Bonaparte devenait le premier président de la République française, inaugurant une succession qui s’étend, à travers vingt-cinq titulaires, jusqu’au détenteur actuel de cette charge suprême.

Une présidence inaugurale trop souvent réduite à sa brutale conclusion, le coup d’État. Si ce traumatisme du 2-Décembre a longtemps marqué les consciences républicaines, il est temps de reconnaître – à contre-courant des poncifs de l’historiographie défavorable – que les leçons positives du mandat présidentiel du futur Napoléon III ne manquent pas. Et que son héritage n’est pas étranger à nos propres institutions.

Une chronique de Maxime Michelet : « Louis-Napoléon Bonaparte, premier président de la République »
Maxime Michelet © DR

Il est important tout d’abord de rappeler que la magistrature présidentielle exercée par Louis-Napoléon Bonaparte est une magistrature populaire. Le 10 décembre 1848, il recevait 74,30% des suffrages du peuple français au cours de la première élection présidentielle au suffrage universel de notre histoire, et qui demeurera la seule jusqu’à la réinstauration de cette pratique par le Général de Gaulle, en 1962.

Ce n’est pas là un détail d’ordre technique : le suffrage universel direct est l’onction qui donne tout son sens à la magistrature présidentielle telle qu’elle a été pensée et exercée par Louis-Napoléon, et telle qu’elle sera d’ailleurs pensée et exercée aussi par son lointain successeur, Charles de Gaulle.

Dans le cas du futur empereur Napoléon III, cette onction est davantage encore qu’un fondement : elle est sa seule force. Contrairement à certaines lectures erronées de la Constitution de 1848, le président de la Seconde République n’est nullement un pouvoir fort ; il se rapproche bien davantage des inaugurateurs de chrysanthèmes que des chefs d’État omnipotents.

Dénué de toute autorité institutionnelle, le président Louis-Napoléon Bonaparte n’en exerce pas moins une grande autorité morale du fait de l’origine de son mandat. C’est sur cette base qu’il déploiera progressivement, au fil de sa présidence, une rhétorique nouvelle où il se présentera comme le représentant suprême du peuple et le gardien le plus intraitable de ses droits. Il réclamera dès lors une révision constitutionnelle qui lui permette tout d’abord de se présenter de nouveau aux suffrages des Français mais, aussi, et peut-être surtout, de construire une architecture institutionnelle où le chef de l’État, choisi par le peuple tout entier, puisse être la clé de voûte d’institutions nouvelles.

Ce déploiement rhétorique progressif nous invite à nous défaire de la vision simplificatrice d’un aventurier avide, dès le premier jour de son mandat, de briser son serment. Louis-Napoléon Bonaparte ne se contente pas de songer à son maintien au pouvoir ou à l’extension de ses prérogatives : durant l’ensemble de son mandat, il pense la fonction présidentielle elle-même, développant la vision louis-napoléonienne de cette charge au cours de ses nombreux voyages auprès des Français.

Pour le neveu de Napoléon, l’incarnation de la volonté populaire dans un seul représentant, par le truchement du suffrage universel, permet à celui-ci de devenir l’homme d’action dont le peuple souverain a besoin pour que sa volonté s’accomplisse. En cas de crise, ce lien direct entre le président et le peuple doit aussi pouvoir lui permettre d’avoir recours aux Français pour libérer la France de l’immobilisme des crises insolubles. Une leçon qui ne serait pas sans intérêt pour le présent …

Il faut le dire avec clarté : réduire la lecture présidentialiste du pouvoir par Louis-Napoléon au seul souci de son propre pouvoir est une approche malhonnête. Au cours de son mandat, il propose une véritable vision politique et constitutionnelle dans laquelle le chef de l’État est la clé de voûte d’un système d’autorité et d’action fondé sur le consentement (mais non la délibération) du peuple.

Sous ces divers aspects, Louis-Napoléon Bonaparte pourrait bien être – philosophiquement – considéré comme le premier président de la Cinquième République.

Maxime Michelet, 21 décembre 2023

Maxime Michelet est historien, spécialiste de la Deuxième République et du Second Empire. Il est l’auteur aux éditions Passés/Composés de L’invention de la présidence de la République. L’œuvre de Louis-Napoléon Bonaparte (2022) et de Napoléon III, la France et nous (2023).

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