Une chronique de Peter Hicks : les premières images de Bonaparte en Grande-Bretagne

Auteur(s) : HICKS Peter
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Napoléon fait irruption sur la scène européenne à la suite de ses extraordinaires succès militaires de 1796 et 1797. Très naturellement, tout le monde voulait savoir à quoi ressemblait le nouvel Hannibal. Et malgré le fait qu’il détestait poser pour les artistes, c’est à ce moment que Napoléon permet la création de ses premiers portraits, tous conçus en Italie. Évidemment, ce ne sont pas ces seuls tableaux qui ont permis de cerner l’image du jeune général. Ce sont aussi les « produits dérivés », c’est-à-dire les gravures de ces œuvres, qui ont contribué à cette diffusion.

Une chronique de Peter Hicks : les premières images de Bonaparte en Grande-Bretagne
© Fondation Napoléon/ R. Young
Gravure d'après Antoine-Jean Gros : Bonaparte au pont d'Arcole, 1796 © DR
Gravure d’après Antoine-Jean Gros : Bonaparte au pont d’Arcole, 1796 © DR

L’une des toutes premières peintures de Napoléon a été celle du baron Gros représentant le jeune général traversant le pont d’Arcole (que Gros, dans sa correspondance, appelle pont de Lodi). Selon les mémoires d’Antoine-Marie Chamans de Lavalette (qui pensait aussi que c’était à Lodi), Joséphine devait tenir son mari sur les genoux au Palazzo Serbelloni à Milan pour permettre à Gros de faire son croquis, transformé en gravure par Longhi. Ces gravures  sont apparues en France en 1798.
Mais qu’en est-il de la Grande-Bretagne ? Quand les premières images y sont-elles arrivées ?

Maria Cosway, artiste italo-britannique et libérale, mais également meilleure amie en Angleterre de Pascal Paoli, leader corse en exil, voulait une image du jeune prodige. Au début de 1797, elle a donc chargé un peintre vénitien, Francesco Cossia de faire son portrait. En dehors de ce travail, l’œuvre de Cossia est inconnue. Sa peinture, aujourd’hui conservée à Londres au John Soanes ‘Museum (John Soanes était un grand fan de Napoléon) est accompagnée d’une lettre de Cossia affirmant que Napoléon a posé pour l’artiste les 14 et 15 mars 1797.

 

gravure d'après le portrait de Bonaparte par I. Cossia © DR
Gravure d’après le portrait de Bonaparte par I. Cossia © DR

Il y a plusieurs problèmes avec cette image – notamment parce que le tableau ne ressemble en rien à Napoléon. Pire encore, les affirmations de Cossia concernant cette séance de pose sont plus que fragiles. Le peintre dit que Napoléon a posé pour lui à Vérone pendant un repas mais notre Correspondance générale démontre que le général est à Mantoue et Sacile à l’époque, aux batailles de Tagliamento et Sacile… mais c’est anecdotique.
Le tableau parvint enfin à Cosway en Angleterre (après être tombé dans une rivière italienne !), fut gravé, avec de légères variations, par Luigi Schiavonetti à Londres en juillet 1797, puis commença à circuler à partir de là. Bien qu’il s’agisse de la première image de Bonaparte arrivée en Grande-Bretagne, le tableau ne semble pas avoir été exposé au public. La gravure refait brièvement surface deux ans plus tard comme frontispice d’une biographie très médiocre (mais positive) de Napoléon : Anecdotes pour accompagner et portrait gravé du général Bonaparte de W. Craig, publiée en 1799. Cette rare publication ne semble pas avoir été publiée (ni achetée) en grand nombre.
Ce n’est qu’à l’été 1801 que les images du Premier Consul seront vues en Grande-Bretagne par les masses. Comme l’avait fait Cossia, les artistes affirmaient que leurs portraits étaient « plus vrais que nature ».

Le peintre francophone John Masquerier narre sa coûteuse visite en France, fin 1800, et décrit sa difficulté à faire poser Napoléon. Il aurait été autorisé de manière quelque peu bizarre (et invraisemblable ?) par son amie Thérèsa Cabarus, à observer à la dérobée Napoléon, tandis que ce dernier est en train de manger (encore !) dans la maison de Cabarus…

Bonaparte aux Tuileries, d'après J. Masquerier © DR
Bonaparte aux Tuileries, d’après J. Masquerier © DR

Masquerier a produit une représentation de Napoléon passant en revue ses troupes aux Tuileries trois jours après l’attentat de la rue Saint-Nicaise. Cette peinture, de petites dimensions à l’origine, a été transformée à Londres en une vaste image panoramique (8 m. sur 5 m.), et a été admirée par la foule à Londres en avril et mai 1801. Les visiteurs quittant le salon avaient même la possibilité d’acheter une gravure du tableau. Les deux peintres et entrepreneurs qui ont organisé l’exposition (John Masquerier et Charles Turner) ont fait un joli bénéfice :  1 000 livres ! Preuve qu’à cette époque de prémices à la paix d’Amiens, à Londres, la star montante, c’était Bonaparte. L’opinion publique était en ébullition devant l’extraordinaire Consul.
Si bien que cette première exposition fermée, une autre a immédiatement ouvert. Le tableau qui y était montré (qui désormais fait partie des collections de la Fondation Napoléon et dont une reproduction domine le hall d’entrée de son siège rue Geoffroy Saint-Hilaire, Paris 5e) était officiellement de Lefebvre (mais il y avait querelle sur la paternité). Agrandi comme le tableau de Masquerier, il fut exposé sur Piccadilly pendant deux mois et un diplomate français en visite en loua sa ressemblance. Commercialisé également comme une gravure, il a fixé en Grande-Bretagne l’allure de la célébrité de l’époque ; c’était avant que le bicorne signature n’achève de fixer cette image !

Peter Hicks

Mars 2020

Peter Hicks est chargé d’affaires internationales à la Fondation Napoléon

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