Une chronique de Pierre Branda : « Quel bilan en salles pour le Napoléon de Ridley Scott ? »

Auteur(s) : BRANDA Pierre
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Les lumières se sont rallumées. Les derniers génériques de fin défilent sur les écrans. Le Napoléon de Ridley Scott est sur le point de terminer son exploitation au cinéma. L’heure est donc au bilan. On ne reviendra pas sur les nombreuses polémiques qui ont accompagné sa sortie, la plupart négatives, voire très négatives, pour nous concentrer sur son parcours dans les salles obscures.

Avant de donner le verdict, il est important de noter que, de mémoire de napoléonien, on avait rarement vu pareil déferlement médiatique hors des grands anniversaires. Émissions de radios, de télévision, articles, réseaux sociaux… Tous les médias ont répondu présents, exactement comme lors des deux plus importants bicentenaires, celui de la bataille d’Austerlitz en 2005, et celui de la mort de Napoléon en 2021. Nous-mêmes à la Fondation avons constaté par exemple des chiffres exceptionnels de fréquentations de nos sites, entre + 50 et + 100 %. Les sollicitations, questions et demandes d’intervention ont, elles aussi, été fort nombreuses. Bref, du point de vue du retentissement médiatique, ce fut un plein succès.

Une chronique de Pierre Branda : « Quel bilan en salles pour le <i>Napoléon</i> de Ridley Scott ? »
Pierre Branda © Fondation Napoléon/Rebecca Young

Et en salles ? Si l’on en croit le site Box-Office Mojo, le film atteindra les 220 à 230 millions de dollars de recettes dans le monde entier de manière assez certaine. Ce n’est point un triomphe, mais c’est un joli score tout de même. Ce qui est plus remarquable encore, c’est son succès sur la planète entière : sorti simultanément dans 57 pays, de l’Asie à l’Amérique, il a occupé d’emblée les toutes premières places. Cette tendance s’est ensuite confirmée quand il a été projeté dans d’autres pays.

Est-ce un effet Ridley Scott ? Le choix du réalisateur a certes compté mais rappelons que son dernier film en costumes avant Napoléon, Le dernier duel, ne rapporta que 30 millions de dollars au box-office en 2021. Autant dire un quasi-bide. Est-ce grâce à l’acteur principal, Joaquin Phoenix ? Si son interprétation du Joker lui valut un triomphe (1 milliard de dollars de recettes dans le monde en 2019), son film suivant, Beau is afraid, sorti en 2023, n’a pas du tout séduit, avec seulement quelques petits millions de dollars au compteur. La raison principale de l’intérêt qu’a suscité ce nouveau Napoléon au cinéma est donc à chercher ailleurs. Elle tient sans doute tout simplement au personnage historique lui-même.

Pourtant, les deux dernières grandes productions dans lesquelles l’Empereur tenait le rôle principal, Waterloo du russe Sergueï Bondartchouk (1970) et Monsieur N. d’Antoine de Caunes (2005) furent des échecs patents. Ces deux films n’attirèrent que quelques centaines de milliers de spectateurs en France, encore moins à l’international. Tourné avec d’importants moyens, Waterloo est resté dans l’histoire du cinéma comme l’un des pires échecs d’un film à gros budget. Il a même entraîné la faillite de son producteur Dino de Laurentiis. C’est dire la difficulté d’adapter l’histoire de Napoléon au cinéma.

Toutefois ces deux films ne racontaient qu’un moment de la vie de l’empereur, sa défaite finale puis son exil. Pas très enthousiasmant peut-être pour le grand public. Ajoutons que le titre Napoléon est meilleur. Il est simple, évocateur et percutant mais, là encore, il ne garantit pas le succès. Si l’on excepte les films fantaisistes ou marginaux, il faut remonter assez loin dans le temps pour trouver des films ayant choisi ce titre. On connaît bien le Napoléon d’Abel Gance (1927), actuellement remonté avec une nouvelle musique par la Cinémathèque française, et celui de Sacha Guitry (1955). Le premier fut assez peu diffusé au moment de sa sortie, notamment car il fallait pouvoir le projeter sur plusieurs écrans en même temps, le second ne déplaça guère les foules. Malgré tous ses défauts, ce nouveau Napoléon brise donc une longue malédiction qui semblait affecter tous les films ou presque mettant en scène l’homme au bicorne.

En outre, le personnage Napoléon n’a désormais plus vraiment de concurrent dans l’histoire récente du cinéma si l’on compare ses résultats aux trois autres biopics qui ont retenu l’attention du public ces vingt-cinq dernières années : Marie-Antoinette de Sofia Coppola (2006), Alexandre d’Oliver Stone (2004) et Jeanne d’Arc de Luc Besson (1999). Comme le Napoléon de 2023, ce sont trois films à gros budgets et aux réalisateurs prestigieux. Leurs résultats furent cependant inférieurs, voire très en-dessous de ceux du film de Ridley Scott, avec respectivement 60, 167 et 66 millions de dollars de recettes mondiales.

Oui, Napoléon est donc populaire, et ce sur tous les continents. Sans doute plus que jamais malgré les deux cents ans et plus qui nous séparent de sa mort. C’est vraiment la leçon principale que l’on peut tirer de ce Napoléon 2023. Ayant fortement déçu, il a vu ses entrées chuter semaine après semaine ; avec de meilleurs critiques, il aurait sans doute pu doubler ses chiffres au box-office, ce qui l’aurait placé parmi les très grands succès de l’année, entre 500 et 700 millions de dollars.

En cette nouvelle année, on peut donc souhaiter qu’il nous soit donné de voir une production tout aussi ambitieuse, mais qui soit davantage appréciée.

Bonne et heureuse année à tous.

Pierre Branda, directeur scientifique de la Fondation Napoléon (4 janvier 2023)

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