Une chronique d’Élodie Lefort : enquête sur le portrait de Joséphine du Briars historic homestead

Auteur(s) : LEFORT Élodie
Partager

Il y a quelques jours le média en ligne Konbini relayait une nouvelle qui devait réjouir le monde napoléonien. Parmi une dizaine d’œuvres volées en 2014 au musée The Briars historic homestead, situé au sud de Melbourne en Australie, l’une d’entre elles venait de retrouver ses collections. Un marchand d’art australien, Leigh Capel, a en effet réussi à acquérir, puis à rendre au musée un portrait de l’impératrice Joséphine. Bien que cette information soit enthousiasmante, il semble pertinent de revenir sur l’histoire de cette œuvre et apporter quelques nuances à l’article de Konbini.

Une chronique d’Élodie Lefort : enquête sur le portrait de Joséphine du Briars historic homestead
© Fondation Napoléon/Rebecca Young

Aujourd’hui transformé en musée, The Briars historic homestead est, à l’origine, la demeure familiale d’Alexander Balcombe. Né à Sainte-Hélène en 1811, il est le dernier enfant de William Balcombe, administrateur britannique qui a sympathisé avec Napoléon lors de l’exil de l’Empereur déchu. Alexander acquiert la propriété dans les années 1840 et décide de lui donner le nom de Briars, en souvenir de la demeure qu’il occupait avec sa famille à Sainte-Hélène. La passion pour l’époque napoléonienne perdure chez les Balcombe avec les descendants d’Alexander. En effet, la collection du musée correspond principalement à celle constituée par Dame Mabel Brookes, petite-fille d’Alexander. Parmi les œuvres cédées par Madame Brookes, certaines sont remarquables : on y trouve notamment une mèche de l’Empereur prélevée à Sainte-Hélène, visible lors de l’exposition organisée à la National Gallery of Victoria en partenariat avec la Fondation Napoléon en 2012 (cf. catalogue de l’exposition Napoleon Revolution to Empire, p. 288-289). Malheureusement, deux ans plus tard, en 2014, dix œuvres de la collection des Briars ont été volées, dont cette mèche de cheveux, mais également le portrait qui nous intéresse ici.

Portrait sur porcelaine de l’impératrice Joséphine Bonaparte, attribué à René Théodore Berthon. © The Mornington Peninsula Shire

Ce dernier est bien une représentation de l’impératrice Joséphine. Cependant, il ne s’agit pas d’un portrait classique, comme l’article de Konbini le sous-entend. L’encadrement en métal doré incrusté dans un bois sombre est assez typique du XIXe siècle et du type d’œuvre : tout laisse à penser qu’il s’agit d’une miniature, probablement sur porcelaine. Joséphine y est représentée avec une robe de couleur rouge, une parure de perles dont le diadème est complété par des émeraudes et rubis. Ce qui est davantage remarquable, c’est le voile qui la pare : ce type de représentation de la première épouse de Napoléon est assez connu. Elle est largement diffusée, notamment par le biais des estampes de François-Séraphin Delpech qui publie en 1832 (de manière posthume) une Iconographie des contemporains. Un exemplaire de cette gravure est conservé dans les collections du château de Malmaison. Pour chacun de ses portraits, Delpech se serait inspiré de grandes peintures du XIXe siècle. Malheureusement, dans le cas de Joséphine, nous n’avons pas retrouvé le portrait originel, mais il est certain que le style s’inspire largement de ce que pouvait réaliser Jean-Baptiste Isabey : l’utilisation du voile et la présence des bijoux rappellent les portraits de l’artiste. De la même manière, on retrouve dans les collections des musées français des représentations de Madame Mère, de Marie-Louise ou encore de la maréchale Lannes arborant ce genre de drapé. La différence de facture et de détails entre l’estampe et la miniature australienne nous permet d’affirmer que cette dernière est une copie de la première.

Par ailleurs, Konbini, reprenant les informations d’autres sites, explique qu’il est probable que l’œuvre soit celle du peintre René Théodore Berthon (1776-1859). Pour cela, le journal en ligne s’appuie sur la signature que l’on distingue à droite du portrait : on y distingue le nom « René ». Or, au XIXe siècle, et même encore aujourd’hui, il est extrêmement rare que les artistes signent leurs œuvres uniquement par leur prénom. De plus, René Théodore Berthon est un peintre connu du début du XIXe siècle. Elève de David, il a exposé au Salon et certaines de ses œuvres sont aujourd’hui conservées au château de Versailles, mais également au musée des Beaux-Arts de Caen. Il est donc possible de comparer sa signature sur les peintures identifiées. Et de constater que l’artiste a davantage l’habitude d’authentifier ses œuvres par la mention de son nom de famille « Berthon ».

Signature de René Théodore Berthon sur le tableau La Redoute de Monte-Lesino près Montenotte, le 10 avril 1796 - coll. château de Versailles © RMN-GP (Château de Versailles) / © Gérard Blot / Jean Schormans
Signature de René Théodore Berthon sur le tableau La Redoute de Monte-Lesino près Montenotte, le 10 avril 1796 – coll. château de Versailles © RMN-GP (Château de Versailles) / © Gérard Blot / Jean Schormans

 

Signature de René Théodore Berthon sur le Portrait de Madame Charles Delamalle née Angélique Arnauld et sa fille Agathe, future madame Ferdinand de Lesseps © DR
Signature de René Théodore Berthon sur le Portrait de Madame Charles Delamalle née Angélique Arnauld et sa fille Agathe, future madame Ferdinand de Lesseps © DR

 

Or, nous venons de dire que le portrait de Joséphine fraîchement retrouvé est une miniature. Aucun miniaturiste portant le nom de René n’est mentionné dans les ouvrages de référence. Il est donc fort probable que cette miniature ait été réalisée par un peintre en miniature dont le nom de famille serait René, peu connu, et qu’il ne s’agit en aucun cas de René Théodore Berthon. Ce miniaturiste secondaire a réalisé d’autres œuvres qui circulent sur le marché de l’art. Ainsi, le 24 mai 2021, le portrait de Miss Croker, d’après Thomas Lawrence, est passé en vente chez Winter Associates. On retrouve la même signature que sur le portrait de l’impératrice Joséphine dans la partie médiane droite. Afin d’apprécier la différence de style entre la miniature et le portrait d’origine, comparons les deux versions ci-dessous.

Portrait de Miss Croker par René © DR
Portrait de Miss Croker par René © DR

 

Miss Croker par Thomas Lawrence ©Collection Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, New York
Miss Croker par Thomas Lawrence ©Collection Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, New York

On reconnait facilement la coiffure, le collier, la broche ainsi que la position de la main de Miss Croker. Il ne fait aucun doute que le portrait de Thomas Lawrence est la source d’inspiration de la miniature.

La datation du XIXe siècle pour la réalisation de la miniature de Joséphine est tout à fait envisageable. En revanche, à l’inverse de ce qu’affirme l’article de Konbini, il n’est pas possible de la dater avec précision, faute d’informations complémentaires. Cette œuvre semble correspondre aux miniatures, de faible facture, réalisées quasi de façon industrielle et diffusées largement dans le second quart du XIXe siècle.

La redécouverte de cette miniature volée n’en demeure pas moins une très bonne nouvelle. Peut-être va-t-elle inciter les autres œuvres volées aux Briars australiens à refaire surface. Tâchons d’ouvrir l’œil et gardons espoir !

Élodie Lefort
Avril 2022

Élodie Lefort est responsable des collections de la Fondation Napoléon.

Partager