Une chronique d’Olivier Aubriet : Sarah Bernhardt, l’inoubliable interprète de l’Aiglon

Auteur(s) : AUBRIET Olivier
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Figure emblématique du tournant des XIXe et XXe siècles, la « Divine » Sarah Bernhardt (1844-1923), actrice tout autant qu’artiste, décédait il y a cent ans, pratiquement jour pour jour, le 26 mars 1923.
Elle était « la Voix d’or » de Victor Hugo, elle a collaboré avec les plus grands artistes de son époque, joué les plus grands rôles sur les scènes du monde entier (elle était la première actrice à avoir fait des tournées sur les 5 continents) : Sarah Bernhardt est l’une des plus grandes artistes françaises du XIXe et du XXe siècle.
Un siècle après sa mort, Sarah Bernhardt est à l’honneur : le Petit-Palais organise une exposition exceptionnelle, du 14 avril au 27 août 2023. Cette rétrospective fait revivre toute la vie et la carrière prodigieuse de cette artiste aux multiples talents, à travers de nombreux objets exposés : costumes de scène, photographies, tableaux, affiches, accessoires… Chaque élément raconte une histoire, une rencontre de ce « monstre sacré » (terme inventé pour elle par Jean Cocteau).

Une chronique d’Olivier Aubriet : Sarah Bernhardt, l’inoubliable interprète de l’Aiglon
Olivier Aubriet © Damien Bresson

L’exposition met également en lumière des aspects moins connus de la vie de Sarah Bernhardt, en dévoilant ses créations en peinture, en sculpture, et en littérature. Elle a exploré tous les genres, même le cinéma encore balbutiant au début du siècle. Pas moins de 400 œuvres redonneront un temps son éclat juste à l’immense actrice.
Parmi les nombreux objets prêtés par le Musée Edmond Rostand pour cette exposition figure un tableau de Théobald Chartran (1849-1907). Cent ans après la mort de l’actrice, ce tableau nous rappelle combien Sarah Bernhardt a sublimé de sa personnalité lumineuse les plus grands rôles sur les scènes du monde entier.

Fille bâtarde d’une courtisane, Sarah Bernhardt vit une enfance solitaire en Bretagne chez une nourrice. Sa mère l’envoie ensuite en pension à Auteuil puis au couvent de Grand-Champs à Versailles. Là-bas, elle découvre sa vocation pour le théâtre en jouant le rôle de l’ange Gabriel pour une pièce écrite en l’honneur de l’archevêque.  En 1859, elle entre au Conservatoire d’Art dramatique où elle fait ses armes. En 1862, elle intègre la Comédie-Française où elle triomphe dans les grandes tragédies. Mais son caractère de feu embrase et embarrasse ses membres. En 1866, l’artiste gifle une sociétaire et se retrouve renvoyée de la prestigieuse institution. Ce scandale achève de faire connaître son nom du grand public. Sarah Bernhardt signe un contrat avec le Théâtre de l’Odéon. Elle triomphe dans le rôle de la reine de Ruy Blas de Victor Hugo. Le chef de file du romantisme surnomme son actrice « La Voix d’or » et lui permet de devenir une star. D’autres surnoms viendront ensuite, comme « la Divine » ou « la Scandaleuse ». En 1880, elle monte sa compagnie et décide de sillonner les cinq continents dans des tournées qui lui rapportent des millions, vite engloutis dans une vie tapageuse et excentrique. De Londres jusqu’à Sydney, en passant par Constantinople, Moscou, Washington, Rio ou encore Le Caire, l’actrice remplit les salles et construit sa légende. « Plutôt mourir que de ne pas devenir la plus grande actrice du monde ! ». Le répertoire est toujours le même : ses grands succès, comme PhèdreHernaniThéodora, ou bien un florilège de ses meilleures scènes que l’on vient applaudir dans le texte.

Interprète sublime de L’Aiglon (1900), elle est surtout et avant tout une admiratrice sincère et passionnée d’Edmond Rostand. Elle a toujours cru en lui, bien avant que Cyrano de Bergerac  révèle le talent de son auteur au monde entier. En effet, Sarah Bernhardt inspire à Edmond Rostand deux pièces en vers, qu’elle décide de jouer en interprétant à chaque fois le rôle-titre : La Princesse lointaine (1895) puis La Samaritaine (1897).

Devenu connu à son tour, Edmond Rostand la célèbre par un sonnet aux vers éclatants :

En ce temps sans beauté, seule encore tu nous restes,
Sachant descendre, pâle, un grand escalier clair,
Ceindre un bandeau, porter un lis, brandir un fer,
Reine de l’attitude et princesse des gestes. 

En ce temps sans folie, ardente, tu protestes !
Tu dis des vers. Tu meurs d’amour. Ton vol se perd.
Tu tends des bras de rêve, et puis des bras de chair.
Et, quand Phèdre paraît, nous sommes tous incestes.

 Avide de souffrir, tu t’ajoutas des cœurs ;
Nous avons vu couler – car ils coulent, tes pleurs ! –
Toutes les larmes de nos âmes sur tes joues.

 Mais aussi tu sais bien, Sarah, que quelquefois
Tu sens furtivement se poser, quand tu joues,
Les lèvres de Shakespeare aux bagues de tes doigts !

Au crépuscule de sa vie, ce sera un autre Rostand, Maurice Rostand, fils ainé d’Edmond Rostand qui lui apportera son dernier succès. Il a toujours porté une profonde admiration à la tragédienne, qui, lorsqu’il l’a vue sur scène enfant, a fait de lui « un enfant poète qui voulait écrire des pièces pour Sarah Bernhardt et se coiffer comme elle ». À la mort d’Edmond Rostand en 1918, Maurice Rostand et sa mère se lient étroitement avec Sarah Bernhardt, chez qui ils vont souvent dîner. À sa demande, il lui écrit La Gloire, qu’ils montent ensemble en 1921. La pièce, écrite sur mesure pour elle, est un immense succès et sera sa dernière apparition sur la scène française. L’actrice décède en 1923.

« Personnage fabuleux légendaire, incomparable actrice absolument géniale, je dirais même plus, géniale à volonté », comme l’a si bien décrite Sacha Guitry, Sarah Bernhardt a laissé, derrière elle, une légende bien vivante un siècle plus tard.

Olivier Aubriet
Mars 2023

Docteur en Pharmacie, Maîtrise en Sciences biologiques et médicales, HEC, Sciences Po, Olivier Aubriet travaille depuis 25 ans dans l’industrie pharmaceutique à différentes fonctions. Passionné et collectionneur de l’œuvre et de l’univers d’Edmond Rostand, grand donateur pour le Musée Edmond Rostand et la Fondation Napoléon, membre du cercle des Ambassadeurs de la Fondation Napoléon, il s’investit depuis de nombreuses années pour un patrimoine culturel partagé et accessible à tous.
Olivier Aubriet interviendra à la Fondation Napoléon le 9 mai 2023 à 18h. Le sujet de sa conférence sera : « L’Aiglon d’Edmond Rostand, les raisons d’un succès ».

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