Une chronique d’Yves Bruley : « Août 1855, à l’invitation de Napoléon III, la reine Victoria triomphe à Paris »

Auteur(s) : BRULEY Yves
Partager

Tandis que Charles III fait ses premiers pas en France en tant que souverain de Grande-Bretagne, Yves Bruley revient sur le premier séjour historique de l’une de ses ancêtres sur le sol français, le premier d’une longue liste de voyages faits par la famille royale depuis plus de 150 ans.

Une chronique d’Yves Bruley : « Août 1855, à l’invitation de Napoléon III, la reine Victoria triomphe à Paris »
Yves Bruley, photo © Sebastien Soriano/Le Figaro

Fallait-il que la reine Victoria arrive sur le sol de France le 18 août, jour de la Sainte Hélène ? La coïncidence n’a pas inquiété les organisateurs d’un voyage historique à tous égards, qui doit consacrer la réconciliation de deux grandes nations et sceller l’alliance de deux grandes puissances.

Napoléon III fait le voyage jusqu’à Boulogne-sur-Mer pour accueillir Victoria, son époux le prince Albert et leurs deux aînés – « Vicky » la jeune Victoria, future reine de Prusse et impératrice allemande, et « Bernie » le prince de Galles, futur Édouard VII. Puis le chemin de fer conduit les souverains jusqu’à la Gare de l’Est, d’où l’on traverse un Paris illuminé, décoré, pavoisé, sous les acclamations d’une foule immense. La famille royale résidera au château de Saint-Cloud. Dimanche 19, repos et promenade. Lundi 20, réception du corps diplomatique à l’Élysée, visite de l’Exposition universelle puis de Notre-Dame. Mardi 21, direction Versailles : grandes eaux, Grand-Trianon, Petit-Trianon, Hameau de la reine. Puis soirée à l’Opéra de Paris où toute l’assistance, debout, acclame la reine et reprend en chœur par deux fois God save the Queen. Le 22 est consacré à la partie industrielle de l’Exposition universelle, le 23 au Musée du Louvre. Vendredi 24 août, grande revue au Champ-de-Mars : depuis le balcon de l’École-Militaire, la reine, son époux, la jeune Victoria et le prince de Galles voient défiler 40 000 hommes. Puis l’on se rend aux Invalides, pour un acte dont la force symbolique impressionne les contemporains. Introduits par le neveu de l’Empereur, la petite fille de George III et le futur Édouard VII s’inclinent devant le tombeau de Napoléon. L’orgue joue God save the Queen. Dehors, un orage gronde dans le ciel d’été. « Ce jour restera un grand jour dans l’histoire, commente Viel-Castel, le bon sens des deux nations fait justice aux vieilles haines ».

Le 25, après une visite à Saint-Germain-en-Laye et au château de la Malmaison, on se rend à Versailles pour le sommet festif de la visite royale, une soirée féérique chez le Roi-Soleil. Feux d’artifices dans les jardins, puis grand bal dans la galerie des glaces avec deux cents musiciens répartis en quatre orchestres. Parmi les invités de cette soirée unique, un diplomate prussien, Otto von Bismarck. Il reviendra en ces mêmes lieux quinze ans plus tard, avec un autre empereur, dans une autre Europe.

Dimanche 26, connaissant l’attachement de Victoria pour la famille d’Orléans, Napoléon III conduit la reine à la chapelle édifiée sur le lieu de l’accident de voiture qui coûta la vie au duc d’Orléans, en 1842. Et le lundi 27 est le jour du départ. Du château de Saint-Cloud à la gare de l’Est, en passant par l’Arc de triomphe, toujours autant d’enthousiasme populaire. Jamais souverain étranger n’avait reçu pareil accueil à Paris. Déjà, la visite à Londres de Napoléon III et d’Eugénie du 16 au 21 avril 1855 n’avait été qu’une longue acclamation.

Un tel succès s’explique par le contexte international de la guerre d’Orient, autrement appelée la « guerre de Crimée ». La France et la Grande-Bretagne y combattent ensemble, à la tête d’une alliance élargie à d’autres puissances, afin de faire barrage aux ambitions russes et préserver le système international. Après avoir écrasé la Pologne en 1831 et la Hongrie en 1849, le tsar Nicolas s’est emparé des principautés roumaines en 1853 et tente de placer l’Empire ottoman sous sa tutelle. Pour y parvenir, il compte sur la division des puissances européennes. Il se trompe. Refusant de voir l’Orient et l’Europe subir la loi de l’Empire russe, la France et le Grande-Bretagne se sont alliées. Les Russes ont reculé. Les tentatives diplomatiques n’ont pu arrêter la guerre, qui s’est concentrée sur la Crimée. Dix jours après le triomphe parisien de Victoria, Sébastopol tombait.

Yves Bruley
Correspondant de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques)

septembre 2023

► Voir en images la visite de la reine Victoria et le prince Albert en aout 1855 :

• À Noël 1855, la reine Victoria reçut de Napoléon III un album contenant dix aquarelles en souvenir de sa visite à Paris, 4 mois auparavant. Elle en fut tellement ravie qu’elle en commanda quinze autres pour compléter la séquence, notamment des vues des appartements où elle avait séjourné au palais de Saint-Cloud (aujourd’hui disparu). Un album de dix-neuf scènes d’un bal spectaculaire à l’Hôtel de Ville le 23 août lui a été envoyé par le préfet de la Seine, le baron Haussmann. La reine Victoria, elle-même une aquarelliste de talent, a réalisé un certain nombre de dessins au cours de sa visite à Paris. Voir quelques-uns de ces images aujourd’hui dans la collection du roi Charles III.

• Un autre album lui fut offert en souvenir du trajet que la famille royale avait parcouru en train entre Boulogne-sur-Mer et Paris, en compagnie de Napoléon III. Commandé par le baron James de Rothschild, président et principal actionnaire de la Compagnie du chemin de fer du Nord qui reliait la Manche à la capitale, cet album contient 50 tirages, réalisés en trois jours seulement, par le photographe Édouard Baldus : Itinéraires et vues du Chemin de fer du Nord – Visite de sa Majesté la reine Victoria et de son Altesse Royale le prince Albert, 18-27 août 1855.

Partager