BONAPARTE Lucien (1775-1840), frère de Napoléon Ier

Partager

Lucien Bonaparte naît le 21 mai 1775 à Ajaccio. Il est le troisième fils de Charles Bonaparte et de Letizia Ramolino. D’abord destiné à servir dans l’infanterie, il suit ses frères Joseph et Napoléon au collège d’Autun puis à l’école militaire de Brienne-le-Château. À la mort de son père en 1785, il est orienté vers les ordres et entre ainsi au séminaire d’Aix-en-Provence en 1786. Son indiscipline persistante, conjointe à l’embrasement de la Révolution française, le pousse à regagner une Corse alors en pleine effervescence. Inspiré par les idées nouvelles et l’homme fort de l’île, Pascal Paoli, duquel il devient un temps le secrétaire particulier, Lucien fréquente le club jacobin d’Ajaccio dès 1791, alors qu’il est à peine âgé de 16 ans.

BONAPARTE Lucien (1775-1840), frère de Napoléon Ier
Lucien Bonaparte (1775-1840), 2ème des quatre frères de Napoléon Bonaparte © Fondation Napoléon

Très vite, il se distingue par ses talents d’orateur, son éloquence politique, mais aussi déjà par sa méfiance envers son frère Napoléon qu’il n’hésite pas à décrire comme « penché à être un tyran » dans sa correspondance avec son frère aîné Joseph. Signe aussi de son fort caractère, Lucien est encore le seul à dénoncer publiquement la trahison de Paoli auprès des Anglais en 1793.

Réfugié ensuite sur le continent en raison de la brouille des Bonaparte avec les paolistes, Lucien participe activement à la vie politique dans le Midi, milite pour le compte des Jacobins sous le nom de « Brutus Bonaparte, citoyen sans-culotte » et se lie d’amitié avec Augustin de Robespierre, frère cadet de Maximilien, ce qui lui vaut quelques temps d’emprisonnement lors de la chute ce dernier en juillet 1794.

Libéré grâce à l’intervention décisive de Napoléon, il repart en Corse en avril 1798 et se fait élire député du Liamone au Conseil des Cinq-Cents, sans avoir l’âge requis pour être éligible. Parallèlement à son activité de parlementaire, Lucien développe de fructueuses affaires maritimes qui lui assurent d’importants revenus. Fréquentant Barras, il se place également sous l’influence de Sieyès, ce qui lui permet une avancée rapide le menant à se faire élire président du Conseil des Cinq-Cents en octobre 1799, et le plaçant à un rôle clé pour le coup d’État qu’il prépare secrètement aux côtés de son frère revenu d’Égypte.

Le 18 Brumaire, il participe à la distribution d’un pamphlet dans lequel il est dit que les Jacobins fomentent un complot mortel contre la République, justifiant au passage le transfert des assemblées à Saint-Cloud. Le lendemain, il peine cependant à faire régner l’ordre chez les députés ; il est contraint de quitter la salle sous les huées que les entrées intempestives de son frère ont générées. Alors que Napoléon, complètement assommé par la violence de ces assemblées en fusion, tient des propos incohérents, tombant même en syncope, Lucien garde quant à lui son sang-froid et parvient à exhorter théâtralement les troupes en jurant de « percer le sein de son frère s’il tente de porter atteinte aux libertés des Français ». Entendant que les députés enragés sont armés de stylets et qu’ils ont tenté d’assassiner leur général, les soldats n’attendent que l’ordre de Bonaparte pour intervenir : Lucien est ainsi à l’origine de la légende des « représentants du poignard ». Très sagace jusqu’au bout de la journée, il parvient à faire voter les principes du plan de Sieyès et d’ainsi faire de ce coup d’État un éclatant succès.

C’est néanmoins à l’issue de ces journées que la relation entre les deux frères va considérablement se détériorer : le rôle de Lucien est sensiblement réduit au profit de Napoléon, pourtant défaillant pendant une grande partie des instants cruciaux, par le récit officiel, contribuant à faire émerger un important sentiment de frustration chez le frère cadet du général.

Il est pourtant rapidement nommé ministre de l’Intérieur, ce qui lui permet de disposer d’une importante influence, notamment sur le choix des premiers préfets ou dans le droit de regard de son ministère sur la police parisienne par l’intermédiaire du préfet de police, au grand dam du ministre de la Police, Joseph Fouché. Si son rapport accablant sur l’état de l’instruction en France marque d’abord les esprits, le jeune ministre montre des failles que Fouché sait ensuite exploiter. Ce dernier parvient à le faire écarter pour plusieurs raisons : dépenses exorbitantes, critiques à l’encontre de la politique du Premier consul et surtout de son épouse Joséphine ou encore favoritisme de concessions publiques. Le coup de grâce lui est porté lorsque Fouché parvient à remonter jusqu’à lui lors de l’enquête sur le Parallèle entre César, Cromwell, Monck et Bonaparte, brochure qui glorifie le Premier Consul Napoléon Bonaparte tout en s’inquiétant de son absence d’héritier.

Lucien, considérablement fragilisé, est contraint à la démission. Nommé ambassadeur de France en Espagne, il doit s’éloigner quelques temps de la capitale. Chargé de poursuivre la politique du « Pacte de la Famille » visant à établir une alliance franco-espagnole, il obtient un premier succès en obtenant la signature de Godoy, secrétaire d’État espagnol, lors du traité d’Aranjuez le 21 mars 1801 qui entérine la cession de l’Étrurie en échange de l’île d’Elbe.

Cependant, dès octobre 1801, il refuse de suivre les instructions du ministre des Affaires étrangères Talleyrand et s’en trouve rappelé à Paris.

Se mettant quelques temps en retrait, il accepte la nomination de rapporteur de deux projets considérables, à savoir le Concordat avec le pape Pie VII et la création d’une nouvelle institution, la Légion d’honneur. Il mène alors une vie très confortable : sénateur, disposant d’importantes mannes financières reposant surtout sur la course en Méditerranée, il peut réunir une « cour » d’intellectuels, d’artistes et de savants autour de lui, devenant le protecteur de François-René de Chateaubriand, Germaine de Staël ou encore Pierre-Jean Béranger. Si ses nominations successives l’ont conduit à s’éloigner de Paris et de son frère, les tensions n’en sont pas pour autant redescendues : la rupture est définitivement consommée lorsque Napoléon s’oppose avec virulence à son remariage avec Alexandrine de Bleschamp, le Premier Consul ne tolérant pas que son jeune frère fasse preuve de désobéissance alors qu’il avait prévu de lui faire épouser la reine d’Étrurie.

Refusant tout divorce, Lucien se retrouve tenu à l’écart des fastes du sacre du 2 décembre 1804 et est même exclu du processus de succession de l’Empereur. La rupture est telle que Lucien lâche cette phrase terrible : « Je l’honore, je le respecte, je l’admire comme chef de gouvernement, je ne l’aime plus comme un frère ». Il décide de partir pour les États pontificaux où le pape, également brouillé avec l’Empereur, l’accueille. Le Saint-Père lui octroie la châtellenie de Canino et 60 000 francs annuels.

Se tenant à distance de la politique française, Lucien s’attelle désormais à ses études d’archéologie et sa nombreuse famille (le couple ayant sept enfants à charge), ne manquant toutefois pas une occasion de critiquer la politique de son frère. Les États pontificaux annexés à l’Empire et devenus départements français, Lucien tente de s’embarquer pour les Amériques. C’était sans compter les Britanniques qui, refusant de lui fournir le passeport nécessaire à son embarcation en raison de sa réputation de farouche républicain, le font prisonnier et le placent en résidence surveillée en Angleterre en 1810. Seules l’abdication de Napoléon et la chute de l’Empire lui permettent de retourner à Rome où il se voit conférer le titre de prince de Canino pour son attachement « loyal et sincère » au souverain pontife. Napoléon, de retour de l’île d’Elbe, chasse le roi Louis XVIII et proclame l’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire.

Ce tournant constitutionnel incite Lucien à retourner à Paris où, après un peu plus de dix ans de brouille, les deux frères se réconcilient, l’Empereur le faisant prince français et pair de France. Lucien préconise encore la dissolution de la Chambre et la proclamation de la Patrie en danger à l’issue de la désastreuse bataille de Waterloo du 18 juin 1815. Néanmoins, il ne parvient pas à empêcher la débandade parlementaire menant à la déchéance de l’Empereur. N’ayant pu sauver la couronne de son frère, Lucien croit encore pouvoir sauver la dynastie : brève illusion que les royalistes ne manquent pas d’achever en appelant Louis XVIII à remonter sur le trône vacant.

Proscrit par le roi, il reprend une fois encore la route menant à Rome et s’y installe définitivement en dépit d’importants problèmes financiers le contraignant à louer son palais de Canino.

Titré prince de Musignano en mars 1824 par le pape Léon XII, Lucien Bonaparte meurt le 29 juin 1840.

Eymeric Job
Juillet 2019 – Mise à jour : janvier 2024

Pour aller plus loin

  • Dictionnaire Napoléon, vol.2, Jean Tulard
  • La Révolution de Brumaire, Lucien Bonaparte
  • Mémoires de Lucien Bonaparte, prince de Canino, Lucien Bonaparte
  • 1775-1840 Lucien Bonaparte un homme libre, sous la direction de Maria Teresa Caracciolo
  • La saga des Bonaparte, par P. Branda, Perrin, 2018, chapitre « Lucien l’éphémère », p. 101-134
Partager