L’aube d’une nouvelle ère : l’évolution technique de l’éclairage parisien
Au début du XIXe siècle, l’éclairage public parisien reposait encore sur des aménagements effectués sous l’Ancien Régime. En 1807, la ville comptait 4 355 lanternes à huile suspendues à des potences. Ce système rudimentaire laissait la majeure partie de la capitale dans une obscurité quasi-totale. En 1828, l’éclairage au gaz fait son apparition sur la voie publique de façon permanente. Cette innovation marque le début d’une nouvelle ère pour l’illumination nocturne de Paris.
Pour répondre aux besoins en éclairage public et privé, la puissance publique a dû faire face à des compagnies privées opérant dans l’ancien Paris et les communes périphériques. Jamais auparavant elle n’avait eu à assumer une telle responsabilité. Un service homogène et unitaire a été mis en place en 1855 dans la capitale, avant d’être étendu à l’ensemble du territoire en 1860. En centralisant la gestion de l’éclairage, la puissance publique a pu garantir une distribution plus équitable et efficace de la lumière, tout en veillant à la conservation de l’environnement urbain. Ce changement a également eu un impact positif sur l’économie locale, en favorisant le développement des activités nocturnes et en renforçant l’attrait des espaces publics. En 1855, la création d’une société anonyme issue de la fusion des compagnies gazières existantes a enfin permis l’établissement d’un monopole de distribution du gaz et de chauffage dans une grande partie de Paris. Ce changement organisationnel a eu des répercussions majeures sur l’efficacité et l’uniformité de l’éclairage public. L’annexion des communes suburbaines en 1860 a en effet posé de nouveaux défis : les zones nouvellement intégrées souffraient d’un éclairage déficient, voire inexistant dans certaines ruelles. Le baron Haussmann (1809-1891) souligne dans ses Mémoires l’urgence d’étendre un système d’éclairage homogène à l’ensemble du nouveau territoire parisien.
Gabriel Davioud (1824-1881) : l’architecte qui a transformé le paysage urbain de Paris
Gabriel Davioud, né en 1824, est l’un des architectes qui ont radicalement changé le visage de Paris dans la seconde moitié du XIXe siècle. Sa carrière, étroitement liée à l’évolution urbanistique de la capitale française sous le Second Empire, est marquée par une ascension progressive et une contribution significative à l’aménagement de l’espace public parisien. Davioud entre au service de la ville de Paris à l’âge de 19 ans, en 1843. Cette période initiale est consacrée à l’apprentissage des projets de percement des nouvelles rues, constituant ainsi sa formation pratique. En 1855, Davioud intègre le tout nouveau Service spécial des Promenades et Plantations, créé par le baron Haussmann pour répondre au souhait de Napoléon III de doter Paris d’une administration dédiée à la gestion du végétal urbain. C’est dans ce service que Davioud fera l’essentiel de sa carrière :
• 1855 : Ingénieur en chef du Service spécial des Promenades et Plantations
• 1856 : Ingénieur en chef du Service municipal des Promenades et Plantations
• 1867 : Directeur du Service de la Voie publique et des Promenades et Plantations
Ses responsabilités incluent la gestion et la création d’espaces destinés à la promenade, ainsi que la conception du mobilier urbain pour les parcs, jardins et espaces publics. Davioud participe activement à la transformation de Paris en une ville moderne. Son travail s’inscrit dans une vision globale de l’urbanisme, visant à rendre la ville plus fluide et plus saine. Ses réalisations concernent :
• La conception du mobilier urbain, notamment les lampadaires et les grilles qui ornent les grandes avenues parisiennes.
• La participation à la construction de la place de l’Étoile, pour laquelle il dessine les grandes grilles de l’avenue de l’Impératrice (aujourd’hui avenue Foch).
• La contribution à l’aménagement des espaces verts, participant ainsi à la création d’un « réseau interstellaire » d’espaces plantés pour « faire respirer la ville ».
À partir de 1859, Davioud s’apprête à concevoir une gamme de mobiliers destinés au Bois de Boulogne, tels que des portes, des grilles et des bancs. Son objectif est de créer des éléments qui s’harmonisent avec l’environnement naturel tout en répondant aux besoins des promeneurs. Au-delà de ce projet spécifique, il souhaite démontrer sa capacité à imaginer des mobiliers urbains qui s’intègrent parfaitement dans une vision moderne de la ville, où la nature est étroitement liée à l’idée de progrès et de mise en scène de nouveaux monuments. Le travail de Davioud s’inscrit dans un contexte plus large de modernisation des infrastructures françaises, comme lors de la construction du théâtre Impérial du Châtelet, aujourd’hui théâtre du Châtelet (1860-1862).
Bien que sa carrière au sein de l’administration parisienne prenne fin en 1871, l’impact de Davioud sur le paysage urbain de Paris reste considérable. Son travail a contribué à façonner l’image de la capitale française telle que nous la connaissons aujourd’hui, alliant fonctionnalité et esthétique dans l’aménagement de l’espace public.
► Voir un projet de grilles des entrées du Bois de Boulogne : la Porte de Passy et l’élévation d’une lanterne sur la grille par Davioud
► Voir un projet de candélabres sur les pilastres en fonte pour les grilles de la porte de Picpus (bois de Vincennes) par Davioud
La nuit apprivoisée : mutations sociales et culturelles
L’amélioration de l’éclairage public engendre une véritable révolution sociale. La nuit, autrefois domaine de l’obscurité et du danger, devient un espace-temps socialisé et artificiellement diurne. Cette transformation permet l’extension des activités diurnes dans la soirée et crée de nouvelles formes de sociabilité nocturne. L’éclairage transforme la géographie nocturne de Paris : les rues, autrefois désertes après le coucher du soleil, deviennent des lieux de promenade et de parade. Les boulevards illuminés attirent une foule élégante, créant de nouveaux espaces de mixité sociale. Parallèlement, l’éclairage met en lumière les contrastes sociaux, rendant plus visible la présence des marginaux dans l’espace public.
Au-delà de ses aspects pratiques, l’éclairage public devient un symbole de la modernité parisienne et du prestige de la capitale française. La transition vers le gaz, puis plus tard vers l’électricité s’inscrit dans une volonté d’ostentation et d’affirmation d’une société résolument moderne. Paris, en devenant la « Ville lumière » affirme son statut de capitale mondiale de la culture et du progrès. Au-delà des avancées, cette évolution a engendré de nouvelles formes de sociabilité et a redéfini les frontières entre public et privé, tout en participant à la reconfiguration de l’espace urbain. L’histoire de l’illumination parisienne illustre comment un changement apparemment technique peut avoir des répercussions profondes sur la structure sociale et culturelle d’une ville. Elle souligne également les liens étroits entre urbanisme, technologie et contrôle social. Gabriel Davioud apparaît enfin comme une figure clé de la transformation de Paris sous le Second Empire. Son œuvre, qui s’étend du mobilier urbain à la conception d’espaces verts, témoigne d’une vision globale de l’urbanisme, contribuant à faire de Paris une ville moderne, fonctionnelle et esthétique.
Pour aller plus loin
► Découvrir les photographies des appareils d’éclairage au gaz établis sur la voie publique par Charles Marville (1861-1877) présentées lors de l’Exposition Universelle de 1878 à Paris.
► Lire un article sur l’invention de l’éclairage public en Europe aux XVIIe-XVIIIe siècles
Claudia Bonnafoux, web-éditrice (septembre 2024)