« Ce que la France a réclamé, ce que le peuple attend, ce que tous les yeux cherchent, le cercueil de Napoléon » déclare Victor Hugo, lors du retour des Cendres de Napoléon en 1840. Cette citation traduit bien l’intérêt suscité par le devenir du corps de l’ancien Empereur. Il est attendu, comme s’il allait revenir parmi « le peuple français [qu’il avait] tant aimé ». On l’imagine presque sortir de sa tombe, à Sainte-Hélène, comme l’a si bien représenté Horace Vernet.
Cependant, avant de parvenir au monument que nous connaissons et qui se trouve aujourd’hui sous le Dôme de la cathédrale Saint-Louis des Invalides à Paris, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts (de la Seine). Entre l’arrivée des Cendres et le déplacement du cercueil vers le tombeau, le 2 avril 1861, il faut attendre plus de vingt ans. Entre temps, le cercueil est placé dans la chapelle Saint-Jérôme, dans une sorte de chapelle ardente. Dès l’année suivant le retour de la dépouille de Napoléon, un concours national est lancé pour désigner l’architecte qui recevra l’honneur d’imaginer et de superviser la construction du tombeau de l’ancien empereur. Quatre-vingt projets sont présentés et, au final, c’est à l’architecte Louis-Tullius Visconti (1791-1853) que le gouvernement confie la tâche de construire le tombeau et la crypte qui l’accueillera.
L’artiste n’est pas étranger au lieu et au projet puisqu’il a réalisé les décors pour la cérémonie parisienne du retour des Cendres. Cet ancien élève de l’architecte de Napoléon Ier et Joséphine, Charles Percier (1764-1838), est également à l’origine de l’agrandissement du palais du Luxembourg. Il est proche du pouvoir et du roi Louis-Philippe. Par la suite, sous le Second Empire, Napoléon III le nomme architecte du château des Tuileries, qu’il doit réunir au palais du Louvre. Le projet sur les Tuileries et le tombeau de Napoléon demeurent ses deux plus grandes réalisations. C’est pourquoi, lorsque le peintre Théophile Vauchelet (1802-1873) exécute portrait posthume de l’architecte en 1854, il y fait figurer une élévation du château des Tuileries ainsi qu’une peinture représentant l’entrée monumentale du tombeau de Napoléon.
Pour édifier son projet, dix-huit années de travaux sont nécessaires. Visconti n’assistera donc pas au déplacement du cercueil de Napoléon vers le tombeau. À sa mort, les travaux sont repris par Jules-Frédéric Bouchet (1799-1860), puis par Alphonse-Nicolas Crépinet (1826-1892).
Cette reproduction du tombeau de Napoléon à échelle réduite reprend la forme ainsi que les matériaux utilisés pour l’original. Le sarcophage s’inspire de modèles antiques, adoptant une forme de parallélépipède, sobre et sévère, en harmonie avec l’église Saint-Louis des Invalides construite par Jules Hardouin-Mansart (1646-1708), et ressuscitant l’esprit du style Empire.
Le choix des matériaux est également étudié. Provenant de Finlande, la pierre utilisée pour le tombeau est du quartzite rouge, qui n’est pas sans rappeler la pourpre, couleur dédiée aux empereurs depuis l’Antiquité. L’ensemble repose sur un socle en granit vert des Vosges. Peu de décorations apparaissent sur le tombeau, si ce n’est des couronnes de lauriers (ici en bronze, alors qu’elles sont en quartzite sur l’original), ainsi que les motifs de rinceaux sur la corniche.
À l’intérieur du sarcophage, Napoléon repose en habit de colonel de chasseur à cheval de la Garde Impériale dans un cercueil, lui-même inséré dans d’autres cercueils successifs faits de différents matériaux : fer-blanc, acajou, deux en plomb, ébène.
En ouvrant la partie supérieure de la miniature, un aigle aux ailes déployées en laiton apparaît.
À la différence du tombeau original, sur cet modèle réduit reposent un chapeau ainsi qu’une épée. On pourrait s’étonner de ces éléments supplémentaires mais, à qui connaît l’histoire de la crypte abritant le tombeau, cela semble logique. En effet, dans le déambulatoire, à proximité de la dépouille de l’Empereur, se trouve la Cella où repose aujourd’hui la dépouille du fils de Napoléon, le duc de Reichstadt (1811-1832). Or, à l’origine, selon le projet de Visconti, cet espace a pour vocation de présenter des effets personnels de l’Empereur et de devenir ainsi une sorte de reliquaire. On parle alors de la Chambre de l’épée. En effet, parmi les objets exposés, l’épée d’Austerlitz figure en bonne place. Elle est accompagnée du chapeau porté par Napoléon lors de la bataille d’Eylau, du grand collier du Sacre, d’un grand cordon de la Légion d’honneur ainsi que des clefs du cercueil d’ébène (Aujourd’hui, toutes ces pièces font partie des collections du musée de l’Armée). Ces reliques étaient posées sur un piédestal en porphyre et un coussin en bronze. Cette installation a disparu en 1969 au profit de celle que nous connaissons aujourd’hui.
La réduction du tombeau de Napoléon est donc bien plus qu’une reproduction : pour nos yeux contemporains, elle rappelle des étapes aujourd’hui disparues de la mise en valeur de la dépouille de Napoléon et consignent la minutie du travail de l’architecte Visconti dans la crypte. Tous les éléments et symboles sont réunis sur ce petit objet pour former un ensemble à la gloire du bonapartisme et bien sûr de Napoléon ! Mais souvenir du tombeau ou objet de propagande, peu importe : cette miniature est avant tout un témoin à part entière de l’Histoire.
Élodie Lefort, avril 2020
► Un ouvrage à lire sur l’histoire du tombeau,
► En complément : Thierry Lentz présente Louis Visconti
(vidéo © Fondation Napoléon – 2023, durée 7 min.)