Parmi les images de l’impératrice Eugénie qui nous sont parvenues, celle de la souveraine recueillie sur son prie-Dieu est une des plus iconiques. Ce portrait photographique, réalisée par Gustave Le Gray à l’été 1856 pour le peintre Thomas Couture, sera largement diffusé après son exécution.
Ce n’est pas la première fois que l’impératrice se fait représenter en prière. En effet, une petite sculpture de Marie Louise Lefèvre-Deumier (1816-1877) évoque le mariage impérial le 30 janvier 1853. L’impératrice y est également agenouillée sur un prie-Dieu, sur lequel repose un textile arborant les armes impériales. La tenue d’Eugénie est telle que décrite par les Mémoires des contemporains : on y retrouve la robe « en velours épinglé blanc, constellé de pierreries », le diadème de brillants et de saphirs, le voile de tulle retenu par un chignon agrémenté de fleurs d’oranger. En 1856, l’image qu’elle renvoie est celle de la mère parfaite, celle qui donne un héritier à la France, l’image que l’Empire souhaite diffuser. Ce cliché dévoile cependant un autre aspect de la personnalité d’Eugénie.
Dès son enfance, Eugénie, alors de Guzman de Palafox, dite de Montijo, comtesse de Teba, reçoit une éducation religieuse. Elle passe un an au couvent du Sacré-Cœur de Paris, où elle reçoit une éducation traditionnelle de l’aristocratie catholique du XIXe siècle.
Très pieuse, elle est déçue de ne pas recevoir le sacrement de la part du pape Pie IX lors de son mariage avec Napoléon III. Réparation est faite lors du baptême du Prince impérial en 1856 : à cette occasion, le Souverain Pontife lui fait cadeau d’une Rose d’or. Présent le plus précieux que peut recevoir une femme de la part du pape, il s’agit d’une fleur orfévrée de très belle facture (L’impératrice a toujours conservé ce présent avec elle, même lors de son exil anglais. Il était exposé dans l’abbaye de Farnborough, où il a été dérobé il y a quelques années.).
Impératrice, Eugénie est un personnage public et l’ensemble de sa personnalité, de ses traits de caractère, de ses valeurs sont exposés aux Français. Sa foi catholique s’exprime officiellement ainsi sous l’Empire par le biais de ce que ses contemporains appellent « un Ministère de la Charité (Lettre du 3 mars 1866, de Mgr Darboy à l’Impératrice.) ». Sur la caissette du ministère de l’Intérieur, elle décide le montant et la répartition des sommes qui doivent être concédées aux causes et aux institutions qu’elle juge importantes. Elle contracte aussi une assurance vie dont le montant s’élève à plus de 2 millions de francs, dans le but de poursuivre son œuvre charitable en cas de sa disparition. En plus de la distribution d’argent à des hôpitaux, des orphelinats ou des prisons, elle visite quotidiennement soit des parents souffrants soit des nécessiteux. Ses visites auprès des malades, notamment lors des épisodes d’épidémie de choléra en 1865, marquent ses sujets par ses preuves de douceur et de bienveillance. Eugénie apparaît ainsi comme la « bonne impératrice, source inépuisable de consolations et de charité (Michelet M., L’impératrice Eugénie. Une vie politique, Paris, Les Éditions du Cerf, 2020.) ».
Considérée comme bigote par ses détracteurs, Eugénie trouve un réconfort certain dans sa ferveur religieuse en particulier lors des épreuves qu’elle traverse. Cette foi personnelle s’exprime à travers des objets plus intimes, qui demeurent malgré tout très précieux et sont chargés d’émotion. La Fondation Napoléon en conserve deux : son chapelet et son livre de prières.
En apparence, son chapelet est simple, sans fioriture. Composé de boules de buis, d’une chaîne, d’une croix et d’une médaille ovale en argent doré, il est aisé à imaginer dans les mains de l’impératrice en train de l’égrainer sur un prie-Dieu dans la chapelle de l’un des palais. Conservé dans un coffret rectangulaire de bois recouvert de maroquin noir, on découvre la délicatesse de l’objet grâce à la présence de renforts de coins ouvragés ainsi que le chiffre d’Eugénie Napoléon en métal doré sur son couvercle. La médaille du chapelet permet d’identifier sa provenance et d’en reconstituer l’histoire. Dédié à Notre-Dame de la Trappe de Staouëli, il a probablement été offert au couple impérial lors de leur visite de ce monastère situé en Algérie, le 4 mai 1865 (Récit de la visite de l’empereur au monastère). Fondé en 1843 sur le site des batailles de juin 1830, qui précèdent la prise d’Alger le 5 juillet et donc la première étape de la conquête de l’Algérie, le monastère a pour but de participer à la vie agricole de la région et d’ancrer une communauté religieuse sur le territoire. La visite de l’empereur correspond à une concrétisation du travail accompli par les pères trappistes.
Le second objet est le livre de prières d’Eugénie. Ce missel a la particularité d’avoir été imprimé avec des décorations et des enluminures imitant celles d’ouvrages du XVe siècle. Sa reliure en veau grainé marron foncé est aux doubles chiffres de l’Impératrice sous couronne impériale. Des abeilles en argent niellé sont également incrustées aux quatre coins. Édité en 1858 par Gruel et Engelman, Le Paroissien romain connut une grande diffusion lors de sa parution. Cet exemplaire est conservé dans un coffret en velours violet orné de la couronne impériale, réalisé par Jenner et Knewstub. Produisant de superbes étuis et coffrets, et ayant présenté leur travail lors de l’Exposition universelle de 1862, ils font partie des fournisseurs officiels de la reine Victoria. Acheté probablement lors de l’exil d’Eugénie, cet objet est le témoin d’une tragédie pour elle, puisqu’une note manuscrite à l’intérieur du livre mentionne la date du 9 janvier 1873, celle du décès de Napoléon III. La présence de cette inscription demeure énigmatique. Est-elle de la main d’Eugénie ? Lisait-elle le missel à son mari lors de ces derniers instants ? Cette hypothèse est facilement envisageable.
Quelques années plus tard vers 1892, Eugénie reprend la même position en prière pour se faire photographier par Downey W&D. Vêtue d’une robe noire et tenant dans sa main un bouquet de violettes, l’ex-impératrice porte le deuil de son mari et celui de son fils, tué par les Zoulous en 1879.
Loin d’être dévote comme l’ont accusée de l’être ses ennemis, l’impératrice Eugénie apparaît comme une femme qui a su trouver du secours dans l’intimité de sa foi, loin des représentations publiques et politiques où il était de bon ton de se montrer pieuse et irréprochable. Ces deux objets, aujourd’hui conservés dans les collections de la Fondation Napoléon, témoignent de cette aspiration spirituelle.
Élodie Lefort, juin 2020
Chapelet de l’impératrice Eugénie
Second Empire
Buis, Argent, Verroterie, Métal doré
Hauteur: 7,5 cm (chapelet: 63 cm) ; Largeur: 6 cm ; Profondeur: 2,8 cm
INV 289, Fondation Napoléon, Paris
© Fondation Napoléon / Thomas Hennocque
Livre de prières de l’impératrice Eugénie : Le Paroissien romain d’après les imprimés français du XVe siècle
1858
Maroquin marron aux armes d’Eugénie, Argent, Velours
Hauteur : 16 cm ; Largeur : 13 cm
INV 290, Fondation Napoléon, Paris
© Fondation Napoléon / Thomas Hennocque