La Bataille de Montereau

Artiste(s) : VERNET Horace
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La peinture d’Horace Vernet (1789-1863) représente une scène de la bataille de Montereau, qui eut lieu le 18 février 1814, lors de la campagne de France. Napoléon est peint de dos, la main posée sur un canon, ses soldats sont placés tout autour de lui. Une large fumée blanche, symbolisant la bataille en cours, recouvre l’arrière-plan.

Alaïs Coupry, responsable des collections de la Fondation Napoléon (février 2025)

La Bataille de Montereau
Horace VERNET (1789-1863), "La Bataille de Montereau", circa 1830, huile sur toile © Galerie Imperial Art

► Voir le tableau en grand format sur le site des collections de la Fondation Napoléon

Une scène emblématique de l’épopée napoléonienne

Célèbre scène de la bataille de Montereau, lors de la campagne de France de 1814, illustrant une des plus belles pages de la Légende napoléonienne. « Retrouvant les bottes de 93 », Napoléon combattait à la tête des armées qu’il avait réorganisées pour faire face à l’arrivée des Prussiens dans la vallée de la Marne et des Austro-Russes du côté de la Seine. L’Empereur est partout, au plus proche des combats parmi ses soldats, échappant de peu aux Cosaques. Le 18 février 1814, lors de l’attaque du pont de Montereau, mis en défense contre les troupes du prince de Wurtemberg, il pointe lui-même une pièce de 12 de l’artillerie à cheval. C’est le baron Fain, secrétaire de Napoléon, qui rapporte l’anecdote dans ses Souvenirs de la campagne de France. Manuscrit de 1814, publiés en 1823 : c’est alors que Napoléon arrive pour décider la victoire. Par ses ordres, on s’empare des hauteurs de Surville (…) On y place en batterie l’artillerie de la garde qui foudroie les Wurtembourgeois dans Montereau. Napoléon pointe lui-même les pièces, commande lui-même les décharges ; l’ennemi fait de vains efforts pour démonter nos batteries, ses boulets sifflent sur le plateau de Surville comme les vents déchainés ; mais le soldat murmure que Napoléon, cédant à l’attrait de son ancien métier, reste ainsi exposé aux coups de l’ennemi ; c’est dans cette circonstance qu’il leur dit gaiement ce mot que tous les canonniers de l’armée ont retenu : « Allez, mes amis, ne craignez rien : le boulet qui me tuera n’est pas encore fondu ». La bataille de Montereau fut une des dernières victoires de l’armée napoléonienne, freinant pour un temps l’offensive des Alliés par le Sud. Cependant ce succès n’empêchera pas l’inéluctable encerclement de la capitale et l’abdication forcée de l’Empereur deux mois plus tard au château de Fontainebleau. Il n’en demeure pas moins que la représentation de Napoléon pointant lui-même le canon contre les Autrichiens lors de ce combat est devenu iconique dans l’histoire populaire, et fut largement diffusée par la gravure pour servir à la mémoire de l’Empereur.

Avec la mort de Napoléon en 1821 et sous l’influence des milieux bonapartistes, l’iconographie populaire glorifiant les souvenirs du Premier Empire va considérablement se développer par le biais de la gravure et la mise au point de la lithographie. Horace Vernet fait partie de ces artistes qui vont contribuer à ancrer la légende napoléonienne dans l’imaginaire collectif, en mettant en avant leurs œuvres ou en répondant aux nombreuses commandes d’éditeurs qui souhaitent illustrer les traits héroïques de l’Empereur et de ses soldats.

D'après Charlet, 1826
D’après Charlet, 1826
D'après Raffet, circa 1827
D’après Raffet, circa 1827
D'après Bellanger, 1828
D’après Bellanger, 1828

Une des premières représentations montrant la scène historique de Montereau date de 1826 ; elle est due à l’un des plus grands illustrateurs de l’époque, Nicolas-Toussaint Charlet (1792-1845) qui réalise une suite de gravures pour la publication à succès du comte de Chambure, Napoléon et ses contemporains. Deux élèves de Charlet vont par la suite illustrer la même scène, Auguste Raffet (1804-1860), vers 1827, et Hippolyte Bellangé (1800-1866), en 1828. Dans la même génération d’artistes, Eugène Lami (1800-1890), élève d’Horace Vernet, donne notre version du fameux épisode historique. Elle est certainement la plus connue ayant été diffusée dans un contexte très favorable (la Monarchie de Juillet) et en raison de son caractère artistique à part entière, n’étant pas insérée dans un corpus d’édition ; l’œuvre connaîtra deux tirages, le premier gravé par Jazet, le second par Blanchard. Signalons encore l’imagerie d’Epinal qui offre une vision intéressante vers 1835.

 

Imagerie d’Epinal, circa 1835, par François Georgin (1801-1863) © Musée de l’image, Epinal, D 996.1.3658 C
Imagerie d’Epinal, circa 1835, par François Georgin (1801-1863) © Musée de l’image, Epinal, D 996.1.3658 C

La question de l’attribution : Vernet ou Lami ?

Si notre toile porte la signature d’Horace Vernet, La Bataille de Montereau a toujours été attribuée au jeune peintre Eugène Lami (1800-1890), collaborateur de longue date de son atelier. L’œuvre est connue dès 1830 grâce au graveur-éditeur Jazet (1788-1891) qui en propose une aquatinte ou lithographie à 30 et 50 francs suivant l’état en noir ou en couleurs dans son catalogue des gravures. Elle sera de plus présentée par le graveur l’année suivante au Salon de 1831 sous le n°2355, au côté de plusieurs reproductions d’œuvres de Vernet et de Steuben, ayant pour thème principal, l’épopée napoléonienne. La critique est d’ailleurs éloquente et distingue le combat de Montereau par Lami : « Nous devons ici mentionner la suite des planches de M. Jazet. Le Retour, les Adieux et la Mort de Napoléon, les Batailles d’Arcole, d’Essling et de Montereau, la Revue du Roi, Mazeppa et le Giaour, sont des planches qui, en somme totale méritent de grands éloges. Elles étaient d’autant plus difficiles à rendre satisfaisantes sous le rapport de l’effet, que leur dimension est fort grande. L’échelle des tons est souvent bien graduée. Dans plusieurs planches, cependant, notamment dans la Bataille de Montereau, les tons sourds et opaques occupent trop d’espace, ou, pour mieux dire, sont trop multipliés (…). » [Journal des artistes : annonce et compte-rendu (…), 1831, pp. 84-85]. A la même époque, cette estampe de Lami est référencée par Beugnot dans la Bibliographie de la France ou Journal général de l’imprimerie, dans son édition de 1830, sous le n°1369, avec, sous la même référence, une autre aquatinte représentant Napoléon à Essling d’après Hippolyte Bellangé.

La signature authentique de Vernet sur notre toile pose néanmoins la question de l’attribution première de l’œuvre. Il n’est pas possible que Vernet, jaloux de sa production et de ses droits d’auteur, ait laissé son ancien élève faire apparaitre son nom à la postérité. De même l’imprimeur Jazet, principal collaborateur de Vernet, n’aurait pu se fâcher avec l’artiste sur une question d’attribution. Bien que la composition et le style se rapprochent de la manière du maître, il est indéniable que l’œuvre soit de la main d’Eugène Lami. Un errata de l’ouvrage d’Etienne Réveil, référençant en 1836 les sujets tirés de l’histoire de Napoléon, confirme bien l’attribution du Napoléon à Montereau qui avait été par erreur donné à Horace Vernet [Galerie des Arts et de l’Histoire, 1836, errata in-fine]. Une des explications les plus probables est que Lami ait exécuté le premier dessin pour la gravure de Jazet ; Horace Vernet aurait par la suite copié ou repris son élève pour garder un modèle du tableau dans son atelier. D’autre part, étant un souvenir personnel du maitre, l’œuvre n’apparait pas dans les comptes de l’artiste, ni à la vente, ni pour des droits auprès d’un éditeur. Aussi, le cas n’est pas isolé, Vernet se plaisant à copier pour son plaisir et pour l’étude, quelques succès contemporains [voir L’autoportrait de Guérin par Vernet, Renaudeau, n°686. Sont cités auparavant plusieurs tableaux peints en collaboration avec d’autres artistes]. On pourrait rapprocher notre tableau d’une autre œuvre de Vernet, le Napoléon méditant sur une carte à Charleroi ; datée de 1823, la toile avait été confiée au dessin à Louis-Stanislas Marin-Lavigne (1797-1860) pour être lithographiée par Charles Motte pour la collection de la galerie du duc d’Orléans. Dans ce cas précis, l’attribution est bien référencée dans le corpus d’Horace Vernet, contrairement au Napoléon à Montereau.

Eugène Lami, Esquisse du combat de Montereau, 1829. © Musée Condé au château de Chantilly n°DE611 [extrait de l’Album de 125 dessins et croquis (…)], collection P. de Bourgoing puis duc d’Aumale
Eugène Lami, Esquisse du combat de Montereau, 1829. © Musée Condé au château de Chantilly n°DE611 [extrait de l’Album de 125 dessins et croquis (…)], collection P. de Bourgoing puis duc d’Aumale
Lami, Napoléon à Montereau, par Jazet, graveur, 1830. © Château de Malmaison MM.58.3.61.
J.-P. Jazet, Combat de Montereau, d’après E. Lami, 1830. © Château de Malmaison MM.58.3.61.

Vernet mentor d’Eugène Lami

Il faut rappeler que dans l’atelier de Vernet, Eugène Lami avait été le principal collaborateur du maître dans plusieurs travaux dédiés aux commandes d’édition. Il fut ainsi dès les années 1819 (deux ans après son entrée dans l’atelier), associé comme dessinateur de la majorité des lithographies sur la cavalerie espagnole puis dans l’importante série des uniformes de l’armée française [Collection des Uniformes des Armées françaises de 1791 à 1814, Dessinés par H. Vernet et Eug. Lami, Paris, Gildes fils livraire, 1822-1825 puis Collection des armes de la cavaleries, édition 1830-1832]. C’est probablement Vernet qui présenta Lami au graveur Jazet qui lui commanda alors plusieurs scènes historiques pour la suite éditoriale du comte de Chambure, Napoléon et ses contemporains. Pour compléter la formation de son élève, Vernet n’avait pas hésité à l’envoyer dans l’atelier de Gros pour parfaire son coloris, avant de l’encourager à se présenter au Salon de 1824. Lami y fera ses débuts comme peintre militaire avec le combat du Puerto de Miravete et apportant quelques études de chevaux. C’est l’époque où le jeune artiste se lie d’amitié avec plusieurs peintres romantiques de sa génération dont Géricault, Paul Delaroche (futur gendre de Vernet), Bonington qui le présentera en Angleterre auprès des grands maitres Reynolds et Lawrence. En 1827, Eugène Lami présente quatre tableaux où l’on voit la forte influence de Vernet, mais qui confirment alors sa réputation de peintre militaire. Un temps convoité par la Cour de la duchesse de Berry, grâce à la protection du comte de Vogüe, Lami gagne la confiance du duc d’Orléans et futur Roi des Français, qui l’avait connu et apprécié dans l’atelier de Vernet. Entre 1830 et 1838, son activité comme peintre militaire est très prolifique, répondant à de nombreuses commandes d’État, pour plusieurs grandes scènes de batailles destinées au Musée historique de Versailles. Plus qu’une simple copie, la scène de bataille montrant Napoléon visant une pièce d’artillerie expose les liens très étroits qui unissaient les deux peintres, mais surtout la grande considération que portait Vernet envers son élève et associé ; Horace Vernet place ainsi ce tableau aux côtés des chefs d’œuvres qu’il a pu réaliser pour des collections privées, tels Napoléon à Montmirail (1822, collection du marquis d’Herfort), les Adieux de Fontainebleau (1828, collection du comte de Chambure) ; ces œuvres ont le point commun d’avoir été largement diffusées par la gravure mais restent de véritables redécouvertes lorsqu’elles sont montrées au public dans leur version originale.

Jérôme Cortade, collaborateur de recherche chez Imperial Art (février 2025)

Bibliographie

– Valérie Bajou (sous la dir. de). Horace Vernet – 1789-1863. Ed. Faton, 2023. Exposition au Château de Versailles, 14 novembre 2023 – 17 mars 2024.
– Claudine Renaudeau, Horace Vernet, chronologie et catalogue raisonné de l’œuvre peinte, thèse de doctorat sous la direction de Bruno Foucart, 2000.
– Paul-André Lemoisne, L’œuvre d’Eugène Lami (1800-1890). Lithographies, dessins, aquarelles, peintures, Paris, Champion, 1914. N°11.

Date :
1830
Technique :
Huile sur toile
Lieux de conservation :
Fondation Napoléon
Crédits :
© Galerie Imperial Art
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