Fils du peintre Claude-Marie-Paul Dubufe, un élève de David, Édouard-Louis Dubufe (1819-1883) avait déjà produit des portraits célèbres comme celui de l’actrice dramatique Rachel en 1850 ou le portrait de l’impératrice Eugénie en 1854, avant cette commande prévue pour Versailles.
Un tableau hautement politique
Ce tableau fut néanmoins une gageure pour le peintre officiel, plus habitué aux compositions intimistes qu’aux grandes représentations politiques. Outre sa taille, le tableau devait figurer l’ordre protocolaire des participants de ce congrès international qui mettait fin à la guerre de Crimée, dont la France était sortie victorieuse avec la Grande-Bretagne contre la Russie. Ces ministres plénipotentiaires des pays impliqués – Autriche, France, Grande-Bretagne, Russie, Sardaigne, Turquie et Prusse (invitée malgré sa non-participation au conflit à partir de la deuxième séance dans un souci de représentation correcte du concert européen) – sont figurés selon leurs rangs, de gauche à droite : Cavour (Sardaigne), Cowley (Grande-Bretagne), Buol-Schauenstein (Autriche), Orloff (Russie) ; au second plan, Bourqueney (France), Hübner (Autriche), Manteuffel (Prusse), Walewski (France, président du congrès), Mehemmed Djemil Bey (Empire ottoman), Benedetti (France, chargé de la rédaction des protocoles), Clarendon (Grande-Bretagne) et Mehmed-Emin Âli Pacha (Empire ottoman).
Dubufe présenta son oeuvre au Salon de 1857 qui consacrait une salle entière à la guerre de Crimée ; une photographie montre son Congrès en bonne position. Napoléon III est représenté sur la toile par un buste sur la cheminée du salon du Quai d’Orsay depuis rebaptisé « salon du congrès ». Napoléon Ier y est également présent grâce au portrait de 1838 de Delaroche reproduit à droite. Outre le rappel de la filiation des deux souverains de la famille Bonaparte, cet écho au Premier Empire permet de comparer le congrès de Vienne de 1815 et celui de Paris. La composition même du tableau de Dubufe reprend celle du magistral Congrès de Vienne dans la disposition de la table, des personnages jusqu’aux portraits des deux empereurs français qui répondent à ceux de François Ier et Marie-Thérèse chez Isabey.
Si le concert européen fut bien le centre commun des deux négociations, les événements furent antinomiques : le congrès de Vienne s’était matérialisé par une Europe se reconstruisant contre Napoléon Ier, exilé ; le congrès de Paris fut voulu par Napoléon III qui venait de vaincre le pays dont l’invasion par la Grande Armée lors de la campagne de 1812 avait induit la chute de Napoléon Ier. Qui plus est, cette victoire s’était faite avec l’appui de l’ennemi juré de son oncle : la Grande-Bretagne. En multipliant les références au congrès de Vienne, Dubufe fait de Napoléon III le successeur qui répare les outrages faits à la France 50 ans plus tôt et, même, améliore – avec déférence – la situation de l’Empire dont il est héritier.
Le congrès de Paris, un « printemps des diplomates »* (Y. Bruley)
En 1856, Napoléon III était en effet investi d’une sorte d’autorité morale sur l’Europe. Il avait freiné les velléités d’expansion de la Russie dans la mer Noire mais n’avait pas cherché à humilier le Tsar. Yves Bruley souligne l’originalité de ce rendez-vous international : « Ce qui était en jeu, à Paris au printemps 1856, c’était la capacité des représentants des puissances européennes à inventer une diplomatie multilatérale qui ne soit pas seulement apte à traiter des questions techniques ou à régler des crises ponctuelles, mais qui permette de traiter les principaux problèmes de l’Europe et du monde. » La Russie ayant déjà accepté la neutralité de la mer Noire, l’indépendance et l’intégrité de l’Empire ottoman (qui acceptait de protéger les chrétiens en retour), le congrès pouvait se concentrer sur autre chose que les tributs de guerre. Même l’épineuse question italienne, qui avait initialement été mise de côté, allait être abordée (lors d’une seule séance) en avril.
L’une des principales réussites de cet événement fut la création de la Roumanie (les principautés de Moldavie et Valachie devaient être consultées sur leur volonté d’être réunies en un état indépendant de l’empire ottoman, la Russie et l’Autriche) mais d’autres sujets, qui n’étaient pas prévus au programme, furent également abordés : les problématiques frontières de la Bessarabie et du Caucase entre la Russie et la Porte ottomane, la libre navigation sur le Danube ou encore, sur proposition française, la révision du droit maritime en temps de guerre. Le congrès fut finalisé en avance, dès le 18 mars, et la paix qu’il entendait organiser allait durer jusqu’en 1859 avec le retour de la question italienne. Ce tableau vient donc illustrer une des plus grandes victoires diplomatiques du Second Empire.
Une esquisse de ce tableau a rejoint depuis février 2014 le parcours permanent du musée de l’Armée.
Marie de Bruchard, janvier 2016
* La diplomatie du Sphinx, Yves Bruley, CLD Éditions, 2015