David, le peintre de La Mort de Marat, que la réaction thermidorienne avait jeté en prison, était revenu aux sujets antiques avec Les Sabines, quand il trouva en Bonaparte le héros moderne que la peinture attendait. Après un portrait inachevé (1797-1798, Louvre) et une évocation équestre du passage du Saint-Bernard (1800, Malmaison), Le Sacre ouvrait une voie nouvelle pour l’artiste, qui trouva dans ce sujet « plus de ressources pour la peinture » qu’il ne s’y attendait. Il était d’ailleurs stimulé par le succès de son élève Gros, dont le Napoléon visitant les pestiférés de Jaffa, sujet contemporain haut en couleurs, triomphait au Salon de 1804.
« Peinture-portrait », comme il le nommait, Le Sacre fut exécuté avec l’assistance de Georges Rouget sur une vaste toile de 6,21 m. sur 9,79, plus grande croyait-il (à tort) que Les Noces de Cana de Véronèse. Commencé le 21 décembre 1805, dans un atelier installé dans l’église de l’ancien collège de Cluny, place de la Sorbonne, il fut achevé en novembre 1807 et retouché au début de 1808. Exposé seul au Louvre, puis au Salon de 1808, il fut montré encore en 1810 pour le Concours décennal, mais le remariage de l’Empereur cette année-là rendait impossible son installation dans un palais : le tableau le plus célèbre de l’Empire n’aura été vu par le public que pendant six mois au plus…
Signé et daté 1805, ce dessin capital est le plus abouti des trois connus offrant la composition entière, qui tous montrent encore l’empereur se couronnant lui-même. Le peintre tenait à ce geste hardi, d’ailleurs conforme à la réalité, mais qui donnait de Napoléon une image arrogante et provocatrice : Gérard, portraitiste bien en cour, lui suggéra de modifier sa figure et de montrer l’Empereur couronnant son épouse, ce que David fit sur la toile même. Napoléon, qui vit là « une petite intrigue de Joséphine avec David », devait féliciter le peintre d’avoir fait de lui un « chevalier français. » De César, il devenait Bayard…
Ici, on ne voit pas Madame Mère, notoirement absente le jour du sacre, qu’elle désapprouvait : Napoléon exigera qu’elle soit représentée. Le pape, mitre en tête, bénit : David renonça ensuite à ce geste, que Napoléon lui fit rétablir en janvier 1808. C’est à ce stade que la composition fit l’objet d’une esquisse peinte sur panneau, récemment détectée sous le Portrait de Pie VII et du cardinal Caprara du musée de Philadelphie.
Sylvain Laveissière, 2004 – mise à jour : février 2022
Sylvain Laveissière est conservateur en chef du département des Peintures au Louvre
Ce tableau fait partie des chefs-d’œuvre de la Collection de la Fondation Napoléon à découvrir ici.
► Il était présenté du 21 mars au 31 juillet 2015 à l’exposition Napoléon et Wellington : destin croisés, au musée Wellington de Waterloo.
► Il est actuellement à voir jusqu’au 15 mai 2022 à l’exposition au Jacques Louis David: Radical Draftsman Metropolitan Museum de New York