Qu’est-ce qu’un Salon ?
Le Salon est une exposition des œuvres qui sont approuvées officiellement au nom du monarque français par l’académie de peinture et sculpture. Cette institution a été créée sous la régence d’Anne d’Autriche (1601-1666), la mère de Louis XIV (1638-1715), pour réglementer l’enseignement et la vente des peintures et des sculptures. L’Académie est renommée académie des Beaux-Arts et continue tout au long du XIXe s. à organiser les Salons.
Ces expositions ont lieu régulièrement à Paris au palais du Louvre, demeure royale qui n’est plus habitée par le souverain depuis le règne de Louis XIV mais abrite l’académie ainsi que des logements d’artistes.
Le Salon crée de l’émulation en mettant en concurrence les artistes, et permet de montrer à toute l’Europe la richesse des talents qui se trouvent en France.
Les peintures et les sculptures reflètent souvent les événements politiques et sociaux du pays.
Avant Napoléon III
Après la chute de Napoléon Ier en 1815, les œuvres du Salon se calquent sur les goûts du roi Louis XVIII et de la nouvelle Cour mais le Salon change peu dans sa forme.
Les peintres les plus engagés en faveur de l’Empire sont écartés, s’autocensurent, ou s’exilent. De nouveaux talents (Delacroix, Delaroche, Vernet, pour la peinture ; Barye, Pradier pour la sculpture …) apparaissent et explorent le genre romantique. Ce genre privilégie l’expression des sentiments de l’individu au sein des œuvres, y compris ses instincts violents ou ses sentiments les plus sombres (cruauté, peur, colère).
Certains peintres profitent du Salon pour faire passer des messages politiques. C’est le cas par exemple de Théodore Géricault, avec son Radeau de la Méduse qui se veut une attaque frontale du régime. Le tableau représente les soldats napoléoniens exilés en 1816 en mer sur le bateau La Méduse. Lorsque le navire fait naufrage, les royalistes qui le commandent abandonnent ces soldats qui fabriquent alors un radeau avec des restes de La Méduse. Les soldats vétérans de la Grande Armée ont pratiquement tous péri dessus. Géricault peint une scène morbide et violente pour mieux critiquer les royalistes qui ont laissé mourir leurs compatriotes. Exposé au Salon de 1819, le tableau est renommé par la censure afin qu’il passe moins pour un message politique. Il s’appellera, pendant le temps de l’exposition, Scène de naufrage.
La nouvelle génération de peintres conteste de plus en plus la censure politique de l’Académie lors des Salons. L’avènement de la monarchie de Juillet en 1830 engage le régime sur une voie plus libérale et cet assouplissement se répercute dans le choix par l’Académie des tableaux pouvant être exposés au Salon. Le nouveau roi, Louis-Philippe, pense que les acquis de la Révolution sont un héritage bénéfique pour la France. Dans le même esprit de réconciliation des Français entre eux, il favorise la relecture positive du premier Empire. Sous l’impulsion du roi, l’Académie redécouvre la peinture napoléonienne qui fait son grand retour au Salon de 1833 avec le tableau allégorique (qui représente une idée sous forme humaine. ici, le Temps sous les traits d’un vieil homme ailé) de Jean-Baptiste Mauzaisse. La critique d’art se libère aussi de la censure dans les journaux, les auteurs de critiques s’expriment plus facilement et deviennent même un jury parallèle.
Cette volonté de renouveau atteint des sommets en 1848, quand les journées de révolte de février aboutissent à la création de la Deuxième République. On voit dans les trois Salons de 1848, 1850 et 1851 un rejet de la peinture historique au profit de la peinture de paysage et de scène de la vie de province (Gustave Courbet et Honoré Daumier s’y exercent remarquablement) et du portrait. Tout en utilisant un trait académique (réalisme et esthétisme sont les grands piliers de la peinture préconisée par l’Académie), Courbet se détourne des sujets habituels (à l’Antique ou orientalisant, par exemple) pour peindre la réalité bourgeoise ou provinciale anodine. C’est le cas de sa Rencontre, qui est aussi un autoportrait.
L’avènement du Second Empire clôt cette période de transition.
Sous le Second Empire
Dès le début de son règne, Napoléon III se fixe comme objectif de faire de Paris la capitale des arts. Le Salon a donc toute son attention et l’Empereur en fait la vitrine parfaite de la vitalité de l’art en France. Il fait réformer son jury, désormais composé d’artistes élus et de personnalités choisies par lui seul.
Mené d’une main ferme par le comte de Nieuwerkerke, directeur général des Musées impériaux qui sont installés au Louvre, le Salon est à la pointe de l’innovation. La photographie fait son apparition au Salon dès 1853. Elle sert d’abord de support publicitaire pour diffuser les tableaux présentés.
La caricature s’empare également des artistes du Salon au début des années 1860 et contribue à les faire connaître au public, en bien comme en mal.
Dès le Salon de 1853, l’opposition entre les artistes et le jury est à son paroxysme. La mode est au nu expressif contrairement au nu académique à l’antique et les artistes ne supportent pas de voir le jury classer ce type de peinture comme mineur dans sa conception de « l’art du Beau ». Ces guerres internes n’empêchent pas le succès public de l’exposition des Beaux-Arts de 1855 au sein de l’Exposition universelle. Un peu plus tard, les peintres répondent par la provocation à cette vision étroite du nu : Manet en 1863 avec son Déjeuner sur l’herbe.
L’année 1863, quand Manet peint ce tableau, est un tournant pour le Salon. La libéralisation du règne de Napoléon III permet un grand coup d’éclat. Encouragé par l’Empereur lui-même, un « contre-Salon » est créé, qui prend le nom de Salon des Refusés. On y trouve les œuvres de peintres qui n’ont pas été sélectionnées par le jury d’admission du Salon de 1863. Manet y expose trois tableaux, dont son fameux Déjeuner sur l’herbe (à l’origine titré Bain) qui fait scandale à cause de la nudité de l’unique femme présente sur le tableau, au milieu d’hommes complètement habillés… À la fois témoins de l’éclatement des styles artistiques et de l’apogée de l’événement qu’est devenu le Salon, les années 1863-1864 marquent un nouveau tournant dans l’histoire de l’art.
Les années 1860, années de décadence du Salon
À partir du milieu des années 1860, le public se désintéresse du Salon. Pourtant, le jury devient moins sévère et permet à de jeunes artistes d’exposer, même quand ils n’ont pas étudié à l’Académie ou auprès d’un Maître des beaux-arts. Frédéric Bazille, Edgar Degas, Claude Monet, Berthe Morizot, Camille Pissarro, Pierre-Auguste Renoir font alors leur entrée au Salon.
Par ailleurs, de nouveaux lieux de vente, les galeries des marchands d’art, permettent de diffuser les œuvres sans besoin d’un accord officiel de l’État. Les années 1860 sont marquées par les débuts d’un nouveau mouvement capital : l’impressionnisme… mais ces années achèvent aussi l’âge d’or des expositions d’art voulues par le pouvoir lui-même. Bientôt les écoles de peintures, libérées de la direction de l’État, s’exposeront indépendamment dans des rendez-vous, spontanés et multiples, d’initiative privée.
L’Académie ne disparaît pas avec la fin des Salons. Au contraire, certains peintres défendront avec nostalgie ses valeurs et son esthétisme. On les appellera les peintres académistes : Alexandre Cabanel, Jean-Léon Gérôme et Horace Vernet en sont les plus grands représentants entre les années 1850 et 1880.
Marie de Bruchard, février 2017