Chantal Prévot, Le sexe contrôlé. Être femme après la Révolution (1800-1815) : « La suprématie masculine, un univers mental traditionnel largement partagé par la population » (avril 2024)

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Dans son dernier ouvrage, Le sexe contrôlé. Être femme après la Révolution (1800-1815) (éditions Passés Composés), Chantal Prévot, responsable des bibliothèques de la Fondation Napoléon, explore le rôle des femmes dans la société française sous le Consulat et l’Empire. Dans cette interview, nous avons eu l’opportunité de discuter avec Chantal Prévot de ses découvertes les plus surprenantes sur la situation des femmes dans la société de cette époque.

Propos recueillis par Claudia Bonnafoux, web-éditrice des sites de la Fondation Napoléon (4 avril 2024)

Chantal Prévot, <i>Le sexe contrôlé. Être femme après la Révolution (1800-1815)</i> : « La suprématie masculine, un univers mental traditionnel largement partagé par la population » (avril 2024)
Chantal Prévot © Fondation Napoléon / Rebecca Young

napoleon.org : Au cours de vos recherches, quels sont les récits ou les mémoires les plus surprenants que vous ayez découverts de la part de femmes à l’époque du Consulat et de l’Empire, et en quoi proposent-ils d’autres perspectives sur le rôle des femmes dans la société de l’époque ?

Chantal Prévot : Depuis une vingtaine d’années, le corpus de textes édités et commentés (lettres, mémoires, journaux intimes) s’est considérablement enrichi. Je citerais volontiers des études passionnantes comme, par exemple, l’essai d’Anne Verjus et de Denise Davidson basé sur les lettres échangées au sein de la famille Morand de Jouffrey, la chronique des Cavaignac par Pierre Givaudon (en particulier l’éclairage sur le rôle pivot de Juliette de Corencez), ou encore les lettres de Rosalie Jullien. Ces ouvrages récents offrent une proximité rare avec les courriéristes.

napoleon.org : Compte tenu de la nature androcentrique du Code civil de 1804, comment les lois qu’il contient ont-ils affecté la vie quotidienne des femmes et, à votre avis, certaines femmes ont-elles réussi à naviguer ou à subvertir ces contraintes de manière notable ?

Chantal Prévot : D’un côté, le Code civil poursuit l’œuvre législative de la Révolution en maintenant la majorité émancipatrice des deux sexes à 21 ans, l’égalité successorale entre tous les enfants, le divorce mais de manière beaucoup plus restrictive.

De l’autre côté, il réaffirme la suprématie masculine, un univers mental traditionnel largement partagé par la population, toutes classes sociales confondues mise à part quelques personnalités. Par sa longévité, il referme pour plus d’un siècle et demi, les fugitives avancées émancipatrices, mais jamais appliquées, évoquées notamment dans le premier projet de code, élaboré en 1793, où il était question d’une égalité de décisions administratives entre époux. Le code civil ne reconnaît pas aux femmes mariées de capacité juridique et civil, et encore moins civique. L’infidélité féminine est sévèrement réprimée. Juridiquement et administrativement, une femme mariée est mise sous tutelle.

Cependant, derrière l’implacable sécheresse du droit, à lire les correspondances, les mémoires, on s’aperçoit qu’au sein de certains couples, une relative égalité de gestion des biens, de décisions parentales peut s’établir. Par exemple, en terme pratique, il arrive que le mari octroie une délégation de signature. Une estime et un respect mutuel, un tendre amour même, naissent et se développent dans bien des couples, sans que cela, pas plus hier qu’aujourd’hui, soit une règle générale.

Dans les cas de séparations conflictuelles, qu’il s’agisse uniquement de séparations de biens ou de corps, ou de séparation définitive par un divorce, les femmes doivent mener des batailles rudes et impitoyables. Avec beaucoup de persévérance, une femme en rupture de couple peut obtenir des dérogations par un juge, pour par exemple la garde des enfants ou l’octroi d’une pension alimentaire.

Mais basiquement, la dépendance financière que certaines acceptent avec soulagement ou fatalisme, demeure un frein aux désirs d’émancipation. Il reste donc le célibat pour ne pas entrer dans les « fers maritaux ». Mais socialement, le statut est dénigré. Les vieilles filles sont des femmes non finies. Et il exige soit un héritage familial soit une activité qui apporte de quoi subvenir. Le veuvage, sans enfant, peut apporter la liberté d’action, à condition là encore d’une fortune personnelle.

napoleon.org : Votre livre traite des voix non représentées des paysannes dans les récits historiques. Selon vous, quelles méthodologies les futurs chercheurs pourraient-ils employer pour déterrer et reconstruire ces perspectives perdues des femmes des couches sociales inférieures, tant dans les villes que dans les zones rurales ?

Chantal Prévot : Je crains que les paysannes, ces silencieuses de l’histoire, restent méconnues encore longtemps. D’une part, parce qu’elles paraissent moins passionnantes que les intellectuelles, les artistes ou les ouvrières, et d’autre part, parce que les sources historiques, les archives, les mémoires, les statistiques les ignorent. Il faut les démasquer au détour d’un rapport administratif, au fil des récits par exemple de voyage, les découvrir par hasard dans un chapitre autobiographique d’un enfant, ou par bonheur quand une correspondance privée est éditée. C’est un travail long, appliqué, mais qui défricherait des terres peu labourées par les historiennes et les historiens.

En savoir plus sur le livre de Chantal Prévot, Le sexe contrôlé. Être femme après la Révolution (1800-1815).

Lire une précédente interview de Chantal Prévot : « Le monde rural sous Napoléon : une forme de fatalisme, des situations physiques et morales difficiles, mais du bon sens, voire de la malignité » (2010)

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