- Napoleon.org : Qu’est-ce que l’INPS et son laboratoire de Marseille ? En somme, qui êtes-vous ?
Le laboratoire de Marseille de l’INPS : L’Institut national de Police scientifique (INPS), établissement public administratif placé sous la tutelle du Ministère de l’Intérieur, est la plus importante structure française publique de criminalistique analytique. L’Institut couvre en effet la quasi-totalité du spectre, avec des compétences en génétique (ADN nucléaire et mitochondrial), traces papillaires, documents/écritures, balistique, y compris lésionnelle, résidus de tir, stupéfiants, toxicologie (volets médico-légal et sécurité routière), incendies-explosions, micro-traces. L’INPS compte 850 agents répartis sur 5 laboratoires (Lille, Lyon, Marseille, Paris et Toulouse) et un Service Central (Lyon). L’établissement porte des projets nationaux et internationaux au rang desquels figure notamment le développement du Portrait Robot Génétique.
Le laboratoire de Marseille, créé en 1927, est fort de 150 agents dont 40 experts. Il agit majoritairement sur son ressort géographique naturel couvrant l’arc méditerranéen, les départements limitrophes dont la Corse mais, comme l’ensemble des autres laboratoires, a compétence nationale pour contribuer à la résolution d’enquêtes provenant de tout le territoire. À ce titre il répond aux demandes des enquêteurs de la Police et de la Gendarmerie Nationales et des magistrats.
Il a compétences particulières pour tout ce qui relève de la caractérisation de l’ADN ancien, mais également en matière de recherche de diatomées (NdR : algue microscopique vivant dans les eaux douces et salées, particulièrement adaptée pour caractériser un milieu aquatique spécifique.), d’expertise en entomologie médico-légale (NdR : étude des insectes nécrophages qui, selon l’étape de leur cycle de développement sur un cadavre et les conditions de l’environnement, permet d’évaluer la date de décès d’un individu.) et d’analyse toxicologique de cheveux dans le cadre de la soumission chimique (NdR : administration de substances psychoactives à l’insu de la personne à qui elles sont administrées. Par exemple, la « drogue du viol ».). Le laboratoire est pilote dans le domaine de la recherche des résidus de tir.
À noter que ses activités en ADN nucléaire et mitochondrial et en traces papillaires sont couvertes par des accréditations COFRAC selon la norme ISO17025. Les disciplines des résidus de tir et de la toxicologie sécurité routière sont en voie d’accréditation.
En 2019, près de 20.000 dossiers délictuels et criminels, représentant 45.000 scellés judiciaires analysés, ont été traités par le laboratoire.
- Napoleon.org : Quel est le parcours pour devenir responsable d’un laboratoire de la police scientifique ?
Le laboratoire de Marseille de l’INPS : Les membres de direction des laboratoires de police sont issus :
– du corps des ingénieurs de la filière des policiers techniques et scientifiques, filière dont les recrutements sur concours sont assurés par le Ministère de l’Intérieur.
– de corps d’encadrement supérieur d’autres administrations.
Les directeurs et leurs adjoints sont détachés sur des emplois fonctionnels, régis par le décret 2013-1135 du 9 décembre 2013.
Les responsables d’unités au sein des laboratoires sont ingénieurs de police technique et scientifique. Leurs formations – écoles d’ingénieurs ou universités – couvrent les disciplines scientifiques représentatives du champ de la criminalistique (biologie génétique, chimie analytique, toxicologie, physique, informatique, traitement du signal, balistique…).
Au sein du laboratoire, les experts sont des agents désignés selon des critères d’expérience, de technicité et de connaissances de haut niveau. Leurs compétences font l’objet d’évaluations et d’un maintien permanents.
- Napoleon.org : Y a-t-il une différence entre une expertise scientifique pour une expertise « historique » et une expertise « judiciaire » ?
Le laboratoire de Marseille de l’INPS : Il n’y a aucune différence d’approche du point de vue de la technicité mise en œuvre. Les mêmes conditions de travail, tant pour le suivi et les précautions nécessaires que pour les méthodes d’analyse de routine, sont appliquées dans les deux types d’expertise.
Dès la création de l’équipe « ossements » en 2003, les méthodes d’analyse de l’ADN ancien développées lors du parcours universitaire de A. STEVANOVITCH (doctorat d’immunologie-biologie ayant pour thème « l’étude de l’ADN mitochondrial des populations anciennes et actuelles du pourtour méditerranéen » et notamment la population du site archéologique de Taforalt au Maroc, daté de 12.000 ans) ont été fidèlement transposées à l’approche criminalistique. Ces méthodes ont été ensuite optimisées au fil du temps et des évolutions techniques afin que l’équipe reste à la pointe du domaine (comme constaté lors des congrès scientifiques auxquels l’INPS participe activement).
Les méthodes de routine du laboratoire sont donc parfaitement adaptées aux cas les plus sensibles et permettent d’avoir un taux de réussite avoisinant les 100 % sur les dossiers « judiciaires » et d’être pleinement efficaces sur les dossiers « historiques ».
La différence de traitement entre les deux types d’expertise repose donc exclusivement sur le cadre juridique : purement judiciaire et sous contrôle de l’autorité requérante pour les saisines provenant des services de Police/Gendarmerie ou des Tribunaux et extra-judiciaire pour les missions d’identification de personnes historiques décédées non identifiées (décret de 2012 relatif aux procédures extra-judiciaires).
Les contraintes des missions judiciaires sont les mêmes que pour les affaires historiques : matériel d’étude en faible quantité, contexte médiatique, nécessité de conservation des échantillons et besoin de fiabilité absolue. De même, si l’identification de personnages historiques reste une fierté, l’identification d’anonymes, au quotidien, est toute aussi valorisante tant les résultats attendus sont sensibles et importants pour les familles des disparus, qu’ils soient connus ou non. Ces identifications sont toujours un moyen d’écrire la fin d’un chapitre, que ce soit de l’Histoire ou d’une histoire familiale.
- Napoleon.org : On parle d’ADN mitochondrial… Pourquoi cette différence et quel intérêt ?
Le laboratoire de Marseille de l’INPS : Il existe deux types d’ADN dans une cellule : l’ADN nucléaire et l’ADN mitochondrial.
L’ADN nucléaire est l’ADN le plus connu, celui transmis conjointement aux enfants par le père et la mère sous la forme de chromosomes présents dans le noyau des cellules. Cet ADN est, à l’exception des vrais jumeaux, propre à chaque individu et unique. Pour des études de filiation directe (lien parent/enfant), l’ADN nucléaire permettra une identification de l’individu avec une probabilité finale très élevée (largement supérieure à 99,9999%).
L’ADN mitochondrial est, quant à lui, un petit ADN circulaire localisé à l’extérieur du noyau et présent dans les organites cellulaires nommées « mitochondries » (servant de centrales énergétiques pour les cellules) lui conférant ainsi son appellation. Cet ADN est présent en grand nombre dans chaque cellule (environ 10.000 copies contre 2 pour l’ADN nucléaire) et n’est transmis aux descendants que par la mère. De fait, il présente un pouvoir discriminant moindre que l’ADN nucléaire (ce n’est pas une identification individuelle mais une identification de lignée maternelle) mais s’avère très utile pour confirmer des liens de parenté ne pouvant pas être fiablement évalués en ADN nucléaire (fratrie, neveu, petits-enfants, etc.). De plus, le nombre élevé de copies cellulaires permet d’obtenir des résultats dans les cas où la totalité de l’ADN nucléaire est dégradé.
Dans le cadre du dossier « Général GUDIN », l’équipe du laboratoire a travaillé à la fois en ADN nucléaire et en ADN mitochondrial. L’analyse de l’ADN nucléaire a permis de confirmer avec une probabilité extrêmement élevée le lien entre les ossements découverts en Russie et le père, la mère et le fils du Général GUDIN. L’analyse de l’ADN mitochondrial a confirmé le lien entre les ossements, la mère et le frère du Général.
C’est donc la combinaison des deux types d’ADN qui a permis d’obtenir une réponse complète pour les liens familiaux existant entre les ossements retrouvés à Smolensk et ceux inhumés dans le caveau loirétain de la famille GUDIN.
- Napoleon.org : Dans quelles autres circonstances pour des analyses historiques a-t-on fait appel à vos services ?
Le laboratoire de Marseille de l’INPS : Depuis une quinzaine d’années, l’équipe a eu l’occasion de traiter plusieurs dossiers historiques, notamment :
– Analyse de deux squelettes découverts dans une memoria, objet de vénération, lors de fouilles archéologiques d’une église du Vᵉ siècle, rue Malaval à Marseille. L’ADN mitochondrial de l’un des deux squelettes a été caractérisé, mais l’état de conservation du second n’a pas permis de faire de comparaison (squelette très dégradé, en conditions très humides) et d’établir de lien de filiation entre ces deux individus, toujours non identifiés à ce jour. Ces restes sont exposés au Musée d’Histoire de Marseille.
– Analyse et comparaison de trois ossements présents dans des reliques, conservés dans différentes églises lyonnaises et identifiés comme provenant de Saint-Irénée. Une datation au C14 (Carbone 14. Pour en savoir + sur la datation par cet isotope radioactif du carbone, élément largement répandu dans la nature, sur le site du Commissariat à l’énergie atomique) (par un autre laboratoire) a exclu 2 des 3 reliques comme étant contemporaines de Saint-Irénée, mais un profil génétique mitochondrial a été obtenu pour la relique datant bien du IIᵉ siècle et donc provenant potentiellement du Saint.
– Identification de plusieurs combattants de la seconde guerre mondiale :
• Soldat Lawrence Gordon (soldat canadien, engagé dans l’armée américaine, tué en Normandie en 1944 et inhumé par erreur dans un cimetière allemand).
• Prince Alexis Fürst von Bentheim und Steinfurt (pilote allemand abattu en 1943 dont le squelette, découvert sur une île au large de Marseille avait initialement été considéré comme celui d’un pirate du Moyen Âge).
• Georges Coran (résistant français, fusillé par la Gestapo en 1944 et non identifié à l’époque). Ses restes, inhumés à la Nécropole Nationale de la Doua à Lyon, ont été identifiés par une stratégie similaire à celle utilisée pour le Général Gudin. Faute de descendants compatibles, l’exhumation, pour comparaison de la mère et de la sœur du disparu, a en effet été nécessaire.
– Identification d’un combattant de la première guerre mondiale :
• Charles Lavocat (poilu tué en 1914 près de Verdun et dont le corps a été exhumé lors de fouilles d’un cimetière militaire temporaire, redécouvert lors de travaux de voirie).
- Napoleon.org : Pour l’identification de Gudin, y a-t-il eu des difficultés particulières (sol acide, etc.) ?
Le laboratoire de Marseille de l’INPS : La principale contrainte rencontrée dans cette affaire résidait dans l’état de conservation des ossements eux-mêmes. L’os de 207 ans provenant de Smolensk, extrêmement friable et très sec, a représenté pour l’équipe un vrai défi technique, et notamment le prélèvement de matière (nécessaire à l’analyse) en quantité suffisante sans dégrader le support. La dent soumise à examen n’a pas posé de difficulté particulière quant à elle, si ce n’est sa petite taille et la faible quantité de matière présente.
Pour les membres de la famille (éléments de comparaison) inhumés dans le Loiret, la difficulté concernait le nettoyage d’os bicentenaires eux aussi mais qui, à l’inverse des ossements « russes », étaient humides et totalement recouverts de terre (sachant que pour conserver le maximum d’ADN le lavage à grande eau n’est pas souhaitable). Eu égard à l’expérience du laboratoire, un séchage préliminaire des ossements suivi d’un grattage méticuleux de la terre amalgamée sur les supports, en veillant à ne pas les dégrader, s’est avéré un choix technique judicieux.
- Napoleon.org : Pourquoi privilégier l’analyse sur des restes contemporains et non les descendants ? Y a-t-il de la déperdition ?
Le laboratoire de Marseille de l’INPS : Génétiquement parlant, à chaque génération seul 50 % de l’ADN nucléaire d’un parent est transmis à son enfant. Ainsi, le petit fils d’un individu n’a qu’au mieux 25 % de l’ADN de ces grands-parents. Dans l’exemple schématisé ci-dessous, l’enfant n’a qu’un caractère commun avec son grand-père et aucun avec sa grand-mère. Plus on rajoute de générations, plus cette dilution du patrimoine génétique est importante. D’un point de vue statistique, il devient alors très compliqué d’obtenir des probabilités permettant de conclure formellement à une identification dès la 2ᵉ génération sur la seule base de l’ADN nucléaire.
En ce qui concerne les marqueurs de lignée (maternelle par le biais de l’ADN mitochondrial ou paternelle par la lignée du chromosome Y), les transmissions directes d’un même caractère entre chaque génération permettent de remonter sur de nombreuses générations. Toutefois, ces lignées doivent être impérativement continues à partir des ancêtres pour être utilisables (voir l’exemple ci-dessous où les lignes maternelles et paternelles sont interrompues respectivement à la 4ᵉ et 3ᵉ générations).
Ainsi, selon les schémas explicatifs qui précèdent, le descendant vivant du Général Gudin trop éloigné du patrimoine génétique de son ancêtre pour une étude de l’ADN nucléaire et appartenant par ailleurs à des lignées maternelles et paternelles différentes, ne constituait pas un élément de comparaison informatif. Les restes contemporains de parents directs (père, mère, frère et fils) étaient plus propices pour une identification formelle.
En savoir + sur les fouilles menées à l’été 2019 pour retrouver le général Gudin