Napoleon.org : Vos vingt-cinq portraits font prendre la mesure du Second Empire : comment avez-vous choisi les personnalités qui allaient l’illustrer ?
Éric Anceau : On a trop tendance à résumer le Second Empire à Napoléon III, sous prétexte que le régime est personnel et vertical. Après avoir donné une biographie de l’empereur, voilà dix ans, je me suis lancé comme défi, avec ce livre, de montrer que l’on peut produire une histoire du pouvoir pendant la période en ne l’abordant pas directement par le souverain lui-même, mais par ses autres grandes personnalités, celles qui ont gravité autour de lui.
Certaines d’entre elles ont appuyé le régime, d’autres se sont opposées à lui, d’autres encore ont pu le combattre avant de le soutenir, ou bien encore en profiter avant de le décrier. J’ai donc réuni des personnalités françaises et étrangères, des membres de la famille impériale, des figures politiques, administratives et militaires, des hommes et femmes de lettres, de sciences, des arts et du monde de l’économie.
Au travers de ce kaléidoscope nécessairement arbitraire et incomplet, mais le moins possible j’espère, j’ai essayé de réfléchir au rapport au pouvoir et même à un très grand pouvoir, un pouvoir impérial et souvent impérieux – des femmes, de la religion, de l’armée, de la haute fonction publique, de la science, des arts et des lettres, des milieux d’affaires. Cette réflexion s’inscrit dans une époque, le XIXe siècle, et un régime, le Second Empire, mais j’espère aussi surprendre le lecteur en lui montrant certains invariants de la nature humaine et des relations de pouvoir.
Napoleon.org : Vous qui êtes un éminent spécialiste de cette période, un de ces personnages vous a-t-il surpris ? Y a-t-il une personnalité que vous auriez redécouverte à l’occasion de vos recherches pour cet ouvrage ?
Éric Anceau : Au moment de sélectionner les personnalités, je les connaissais intimement toutes et je les ai choisies en connaissance de cause, comme j’en connaissais d’autres qui répondaient au critère d’importance.
Je ne les ai pas retenues pour garder un format raisonnable à l’ouvrage, en me disant qu’il pourrait soit se lire d’une traite en un ou deux jours, soit se découvrir à petites doses, une biographie par soirée durant un mois, par exemple. Mais je ne les pas retenues non plus, car je voulais précisément que toutes les personnalités surprennent le lecteur. Or, je pense que les vingt-cinq retenues sont les plus à même de le surprendre, les peu connues sans nul doute, mais même les plus célèbres.
En inscrivant volontairement chaque biographie dans un cadre très classique, chronologique et systématiquement ternaire, j’ai voulu faire ressortir l’originalité de chaque personnage dans son rapport à Napoléon III, à son régime et au pouvoir : la manière très différente dont Napoléon III et Morny ont vécu l’infidélité de leur mère et dont le second a construit son rapport au pouvoir impérial, l’amitié rare et indéfectible d’Abd el-Kader et de Victoria avec le souverain français, la relation presque filiale d’Ollivier à Napoléon III, la fidélité dans l’adversité d’un Rouher, d’un Haussmann ou d’un Pasteur…
Napoleon.org : Quel est le personnage qui a eu les relations les plus complexes avec Napoléon III selon vous ? En d’autres termes, lequel vous a donné le plus de fil à retordre ?
Éric Anceau : Il s’agit sans nul doute possible de celui autour duquel ce livre est construit et qui, vous l’avez compris, est omniprésent tout en étant absent, Napoléon III lui-même (la couverture de l’ouvrage n’est pas anodine). Le souverain avait une personnalité extrêmement complexe et c’est un fait qu’il a entretenu des relations compliquées avec la plupart des personnages qui figurent dans cette galerie de portraits.
Sait-on que des adversaires du régime comme George Sand ou Léon Gambetta étaient beaucoup plus nuancés en privé sur l’homme et sur certains aspects de sa politique ? Sait-on que Persigny que l’on présente, à l’inverse, comme son plus grand fidèle a pu entretenir des relations tendues avec lui et a même été totalement désabusé dès le milieu des années 1860 ?
Sait-on que Napoléon III et Bismarck ont pu s’appuyer l’un sur l’autre avant de devenir les pires adversaires et que le jugement du second sur le premier mêlait l’incompréhension – c’est lui qui le surnommait le sphinx –, le mépris et l’admiration, au point qu’il a pu s’inspirer de certaines de ses idées après l’avoir vaincu et être devenu, indirectement grâce à lui, le chancelier de l’Empire allemand ?
Découvrir l’ouvrage Ils ont fait et défait le Second Empire d’Éric Anceau (parution le 11 avril 2019 aux éditions Tallandier).