napoleon.org: En apprenant la parution des Douze morts de Napoléon, on pourrait penser qu’il s’agit de la continuité de votre précédent ouvrage, L’insulaire. Les neuf vies de Napoléon (Éditions du Cerf, 2015), paru il y a cinq ans presque jour pour jour avant celui-ci. Les douze morts, est-ce la suite logique de votre réflexion ? A-t-on affaire à un diptyque ?
David Chanteranne : Il s’agit en effet du même procédé d’écriture que pour le précédent ouvrage. Avec un « focus » sur certains des aspects de sa vie, ce qui permet de mieux se concentrer sur un fait, une action, une relation avec l’un des membres de son entourage. Avec Napoléon, avouons-le, la somme des documents dont nous disposons est telle que l’on se trouve face à un mur de papier, des liasses tellement compactes que l’on se sent submergé par les informations. Et cette impression ne doit jamais être ressentie par le lecteur. Au contraire. Ces Douze morts sont donc là pour offrir, en clin d’œil aux Vies des douze Césars de Suétone, une panoplie d’événements, d’analyses sans trop le laisser paraître au lecteur. Il faut avant tout que cela reste un plaisir de découvertes. C’est ce que j’ai tenté de faire ici.
napoleon.org : La structure de l’ouvrage est inattendue. Chaque chapitre est en deux parties : le fil rouge est consacré à la « vraie » disparition de Napoléon, à Sainte-Hélène ; la seconde partie, un épisode de sa vie où il a plus ou moins frôlé la mort. Pourquoi avez-vous adopté cette chronologie originale ?
David Chanteranne : L’idée des allers et retours, entre narrations et rappels historiques, permet de mieux comprendre les conditions des derniers mois de vie de Napoléon. Un peu à la manière des instants passés sur les îles auparavant, il m’a semblé que, pour ces Douze morts, cela autorisait à proposer des éclairages particuliers. Évoquer la naissance en 1769, les tentatives d’assassinat de 1800 ou de 1809, les blessures lors des combats de Toulon ou de Ratisbonne, puis le dernier carré de 1815 pouvaient, évidemment, être faits de façon autonome. Mais de la sorte, il me semble qu’on peut mieux comprendre les dispositions de l’Empereur à la fin de son existence, les réactions de ses compagnons d’exil et surtout les choix effectués dans le testament d’avril 1821. Pourquoi cet homme qui était parvenu, tant de fois, à échapper au danger, a-t-il connu pareille fin ? Comment a-t-il « accepté » cette épreuve ? Et quels furent ses derniers espoirs ? C’est tout le sens de ce livre.
napoleon.org : S’il y avait une expérience à retenir parmi les moments où Napoléon a vraiment fait face à la mort, quelle serait-elle selon vous ?
David Chanteranne : Sans conteste, ce serait la tentative de suicide en 1814. Napoléon se trouve à cet instant sans ressource, ni espoir. Il vient d’abdiquer une semaine auparavant, à Fontainebleau. Il se trouve alors toujours dans le château. Ses derniers soutiens – et ils sont peu nombreux – l’entourent encore mais, lui, songe à en finir. Dans sa jeunesse, il avait écrit ces mots (prémonitoires), qui résonnent sans doute dans son esprit en ces terribles instants : « Toujours seul au milieu des hommes, je rentre pour rêver avec moi-même et me livrer à toute la vivacité de ma mélancolie. De quel côté est-elle tournée aujourd’hui ? Du côté de la mort. […] La vie m’est à charge parce que je ne goûte aucun plaisir et que tout est peine pour moi. Elle m’est à charge parce que les hommes avec qui je vis […] ont des mœurs aussi éloignées des miennes que la clarté de la lune diffère de celle du soleil. » Il se trouve donc dans des dispositions qui ne peuvent que l’inciter à mourir. Tel un grand héros de l’Antiquité, il prend donc un poison (qu’il garde près de lui, depuis la campagne de Russie, dans une petite fiole préparée par son chirurgien Yvan), et en boit. Mais les deux ans de conservation ont éventé le produit. Et il en est quitte pour un lavage d’estomac. Sans cela, songeons un peu : pas de Waterloo, donc pas de Sainte-Hélène, ni de légende. À quoi peut tenir, parfois, le destin…