Napoleon.org : D’où vous vient votre passion pour Napoléon III ?
Xavier Mauduit : Je ne sais pas s’il s’agit d’une passion pour Napoléon III, sinon au sens de l’enthousiasme, de l’exaltation et parfois de l’émotion de suscite la recherche historique : l’enthousiasme de comprendre un moment particulier de notre histoire, le Second Empire et plus largement le XIXe siècle ; l’exaltation de suivre un destin et la construction d’une pensée ; l’émotion d’être au contact des archives à la rencontre de ceux et celles qui nous ont précédés, mais dont l’écho est toujours présent. Étudier Napoléon III, c’est traverser un siècle, et quel siècle ! Fils de roi et neveu d’empereur, il naît en 1808. Il meurt en 1873, empereur en exil. Entre ces deux dates, une vie d’aventures, d’audaces, de décisions qui ont profondément marqué la France. Napoléon III a souffert d’une « légende noire », sans doute parce qu’il s’est trouvé face à un ennemi au talent considérable, Victor Hugo. Quant au Second Empire, il a longtemps été réduit en une expression forgée à postériori, la « fête impériale ». Pourtant, Napoléon III mérite mieux que d’être réduit à des clichés et à des stéréotypes. C’est ce à quoi s’évertuent les spécialistes depuis maintenant plusieurs décennies, avec les biographies écrites par Éric Anceau ou, plus récemment, par Thierry Lentz. La démarche est la même : suivre le destin d’un homme pour comprendre son règne, un moment essentiel de notre histoire, avec des résonances aujourd’hui encore.
Napoleon.org : Auteur d’un remarquable Ministère du faste. La Maison de l’Empereur Napoléon III, vous développez l’idée que Napoléon III, « ne pouvant pas revendiquer de grandes victoires militaires, comme l’avait fait son oncle », il se dirige vers la diplomatie et suprématie par l’apparat. N’y a-t-il rien à retenir des campagnes du Second Empire ?
Xavier Mauduit : S’il ne peut pas présenter de grands combats militaires suivis de victoires quand il devient empereur, Napoléon III, une fois au pouvoir, a lancé, et parfois conduit, des campagnes qui demeurent présentes dans nos paysages urbains, par la toponymie : Magenta, Malakoff, ou encore Solferino. La campagne de Crimée redonne à la France une place primordiale en Europe, qu’elle avait perdue en 1815 après la chute de Napoléon. Aujourd’hui encore, le Second Empire est évoqué dans d’autres histoires nationales : celle du Mexique, avec une campagne désastreuse et l’exécution de l’empereur Maximilien, ou encore celle de la Chine, avec le pillage du Palais d’été. Bien sûr, l’intervention de Napoléon III en Italie est au fondement de l’identité nationale italienne, et il est possible de dire la même chose pour l’Allemagne : c’est de la guerre de 1870 qu’est née l’unité allemande. Avant la Grande Guerre, c’est sans cesse celle de 1870 qui sert de référence, par sa violence et ses conséquences dramatiques.
Napoleon.org : Face à un Bismarck ou un Garibaldi, Napoléon III était-il hors de son temps ?
Xavier Mauduit : Napoléon III est un homme de son temps, un destin du XIXe siècle. Il est de cette génération née durant l’épopée napoléonienne, mais trop jeune pour s’en souvenir. Pour Napoléon III et pour les gens de son âge, le Premier Empire représente une construction intellectuelle, à partir de lectures, dont le Mémorial de Sainte-Hélène, de souvenirs familiaux, et de rencontres. Qu’il s’agisse de Garibaldi, né en 1807, de Bismarck, né en 1815, et bien sûr de Louis-Napoléon Bonaparte, le futur Napoléon III, né en 1808, le monde qu’ils ont connu enfant est bouleversé par l’industrialisation et ses conséquences sociales, par les mouvements politiques, tels que les nationalismes et la quête de liberté. Cette génération assiste aux transformations du monde qui s’opèrent à toute vapeur, avec l’incertitude de ce que sera l’avenir et avec la nécessité de répondre aux évolutions sociales : tout est à inventer. Les choix sont différents, en raison des parcours de vie, des caractères aussi, mais ils demeurent ancrés dans leur temps, un siècle de changements où tout semble possible.
Napoleon.org : Quel trait de caractère vous fascine aujourd’hui le plus chez Napoléon III ?
Xavier Mauduit : Le trait de caractère qui me semble le plus fascinant chez Napoléon III est sa complexité : ce n’est pas pour rien qu’Émile Zola l’a surnommé le Sphinx ! Il est porteur d’une histoire personnelle, depuis son enfance dans les palais impériaux jusqu’à son d’emprisonnement au fort de Ham, en passant par son long exil, sa jeunesse aventureuse ou encore ses échecs lors des tentatives de prises de pouvoir, à Strasbourg puis Boulogne. Cette image de comploteur lui a collé à la peau. Toutefois, avant de devenir le premier président de la république de notre histoire en 1848 puis empereur en 1852, Napoléon III a déjà construit une pensée politique conséquente, celle qui le conduit dans ascension. Le régime impérial qu’il propose se veut en accord avec les attentes de son temps, du moins telles qu’il les perçoit. Entre ses idéaux et la réalité de l’action politique, entre l’autoritarisme et le libéralisme, Napoléon III a dû trouver sa voie. Elle est sinueuse, à l’image de l’histoire du XIXe siècle, mais aussi à l’image de la complexité d’un homme et de ses tiraillements.
Xavier Mauduit, agrégé et docteur en histoire, est producteur sur France Culture pour l’émission Le Cours de l’histoire et chroniqueur sur Arte dans l’émission 28 minutes. Il est notamment l’auteur de Flamboyant Second Empire (2016), Le Ministère du faste (2016) et de Vidocq, une vie épique, 1775-1857 (2018).
4 janvier 2023