D’Elbe à Waterloo : un autre regard sur la période 1814-1815

Auteur(s) : FONDATION NAPOLÉON
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Cette chronologie (non exhaustive) est le fruit de la rubrique hebdomadaire « Il y a 200 ans » de la Lettre d'information de napoleon.org. Pour les événements qui précèdent le retour de Napoléon Bonaparte d'Elbe, on pourra consulter l'article De la campagne de France au départ pour l'île d'Elbe, pas à pas.

Printemps 1814 : après la campagne de France. Exils, retours, installations et réinstallations

Le destin des maréchaux après le départ de Napoléon pour Elbe 
Napoléon était devenu souverain d'Elbe en mai 1814… mais qu'en était-il de ses maréchaux ? Murat à Naples et Bernadotte en Suède travaillaient dur pour garder leurs trônes. Gouvion Saint-Cyr avait été fait prisonnier après la capitulation de Dresde et était détenu dans Carsbad par les Autrichiens. Suchet était de retour en France, à Narbonne, après avoir protégé le retour de Ferdinand VII en Espagne. Soult était en négociation avec Wellington, après sa défaite à Toulouse, puis revenu en région parisienne. Davout était assiégé à Hambourg, refusant de se rendre aux Russes. Bessières, Lannes et Poniatowski étaient morts… Les autres (en dehors de Kellerman, Sérurier et Brune, qui n'étaient plus actifs, et Pérignon, qui revenait de Naples), c'est-à-dire Augereau, Moncey, Jourdan et Masséna, tenaient des rôles militaires en France. Autour de Fontainebleau, après avoir pris part à la campagne française se trouvaient Berthier, Grouchy, Lefebvre, Macdonald, Marmont, Mortier, Ney, Oudinot et Victor. Après l'abdication, aucun d'entre eux n'avait suivi l'Empereur à l'île d'Elbe, préférant servir la France plutôt que Napoléon. Augereau, Berthier, Gouvion, Kellerman, Lefebvre, Macdonald, Marmont, Moncey, Mortier, Ney, Oudinot, Pérignon, Sérurier, Soult, Suchet et Victor allaient d'ailleurs tous être nommés maréchaux et pairs par Louis XVIII le 4 juin 1814. Masséna et Jourdan ne furent pas inclus dans cette « promotion » car considérés comme suspects. Brune, en disgrâce depuis 1807 et rallié aux Bourbons qui l'avaient fait chevalier de Saint-Louis, fut pourtant écarté. Tout comme Davout, qui, en raison de sa résistance à Hambourg, fut considéré comme hostile. 
À son retour de l'île d'Elbe, Napoléon devait appeler à nouveau douze maréchaux parmi tous ces noms : les quatre derniers maréchaux, les « exclus » de la Première Restauration, et huit des moins « compromis ». Quant à Augereau, Berthier, Marmont, Pérignon et Victor, ils allaient tout bonnement êtres rayés de la liste.
 
Le retour de Pie VII à Rome
Le 24 mai 1814, Pie VII faisait une entrée triomphante dans Rome qu'il avait « quittée de force » en 1809, lorsque Napoléon avait annexé les États pontificaux. Devenu un prisonnier encombrant à Fontainebleau pour l'Empereur lors de la campagne de France, avec le risque qu'il tombe entre les mains des alliés, le Pape avait été conduit avec de longs détours censés préserver son anonymat à travers la France et devait finalement arriver à Parme fin février 1814. En relâchant Pie VII, l'Empereur ne se débarrassait pas seulement d'un poids politique en France : après avoir appris la trahison de Murat, il comptait sur le retour du Souverain Pontife à Rome pour gêner les velléités d'annexion des États romains par le roi de Naples. De fait, l'envoyé spécial du Pape Consalvi allait obtenir peu de temps après l'entrée de Pie VII à Rome, la restitution des États pontificaux ainsi que la reconnaissance des pouvoirs temporels du Pape.

Le traité de Paris
Représentant le roi Louis XVIII dès le 23 avril 1814 pour signer l'armistice, Talleyrand apposa sa signature au bas du traité de Paris, le 30 mai 1814. La France rentrait, à peu près, dans ses frontières antérieures à 1792 : elle conservait Avignon, le Comtat, Montbéliard, Mulhouse, une partie de la Savoie, deux places en Belgique – Philippeville et Marienbourg –, deux autres en Allemagne – Sarrelouis et Landau. Les indemnités de guerre furent annulées, à l'exception d'une indemnité de 25 millions pour payer l'évacuation du territoire français par les troupes alliées. Cette clémence, bien que différemment endossée selon les Alliés (la Prusse avait exigé un temps 170 millions d'indemnités), témoignait d'une volonté globale de ne pas nuire au nouveau régime des Bourbon. Enfin, le traité de Paris préfigurait dans son article 32 la tenue d'un congrès, à Vienne, pour réorganiser les territoires que l'Empire déchu laissait sans organisation nette. La France n'était pas censée y prendre une part active mais 1815 allait prouver le contraire.

Célébration de la « paix glorieuse »
Après une procession triomphale à Londres organisée pour Louis XVIII (de Hyde Park à l'Hôtel Grillon) le 20 avril 1814, la capitale britannique célébra ce qui fut appelé « la paix glorieuse ». Le tsar Alexandre, Guillaume III de Prusse, le prince de Liechtenstein et le prince Léopold, les généraux Blücher, Yorck von Bülow et des personnalités militaires russes comme Platov, Barclay de Tolly mais aussi politiques comme Metternich, et bien d'autres encore, furent somptueusement accueillis par le prince régent. Les réjouissances allaient se tenir du 7 au 28 juin : Guillaume III, avec Castlereagh et lord Liverpool, furent faits chevaliers de l'Ordre de la Jarretière le 9 juin ; les invités d'honneur furent conviés à une course de chevaux à Ascot le 10 juin, et un opéra à Covent Garden fut donné le 11 juin. Alexandre, Guillaume et Blücher devaient recevoir des diplômes honorifiques de l'Université d'Oxford le 15 juin. Il y eut aussi des dîners officiels dans la ville de Londres les 16 et 18 juin (ce dernier coûta la somme énorme de 25 000 livres). Les vainqueurs de la campagne de France furent également emmenés à une revue de troupes et une reconstitution de Trafalgar le 20 juin. Avant de mettre les voiles à nouveau à destination de la France, ils participèrent tous à une revue navale à Portsmouth le 22 juin.

Printemps-hiver 1814 : Napoléon à Elbe. Visites, rumeurs et complots

Les débuts d'une administration impériale di Mulini
Après un voyage tumultueux, raison d'un épisode dépressif pour l'empereur déchu, l'arrivée à Elbe sous l'acclamation des autochtones rendit Napoléon un peu plus joyeux les 4 et 5 mai 1814. Fidèle à son tempérament, il se « remit au travail » dès le 7 mai en réglementant ses nouveaux domaines. Le 10 mai, il conçut l'organisation militaire de son territoire, créa son administration de la Guerre et un hôpital. Le 22 mai, il finalisa la création de la Garde et de la marine, et régla leur approvisionnement le 5 juin. En savoir plus sur Napoléon et son exil à l'île d'Elbe…

Au cours de l'été 1814, Madame Mère et Pauline rejoignirent Napoléon à Elbe. Pour en savoir plus sur le devenir des autres membres de la famille Bonaparte après la première abdication…

La venue de Marie Walewska à Elbe
Inquiétée par la confiscation par le roi de Naples du majorat de son fils naturel avec l'empereur, Marie Waleswka cherchait à l'été 1814 à se rapprocher de Napoléon afin d'assurer l'avenir du petit Alexandre. Elle fit envoyer son frère à Elbe, en « éclaireur », fin juillet, pour plaider sa cause. Contrairement au refus qu'elle avait essuyé à Fontainebleau au printemps précédent, cette nouvelle tentative fut reçue positivement par son ancien amant. Il prit la plume dès le 9 août pour l'inviter. Mais n'ayant pas perdu espoir de voir son épouse officielle, il décida de rendre discrète cette rencontre, pour éviter que la population de l'île ne se fasse une « fausse joie » en croyant voir arriver Marie-Louise, dont il avait annoncé l'arrivée peu avant. Par ailleurs, sa mère Letizia était arrivée à Elbe ce mois d'août et ne pouvait qu'accepter à contre-coeur une telle entrevue. Parmi le peu de gens au courant se trouvait Bernotti. Ce dernier, en sa qualité d'espion, fit part de cette visite au consul Mariotti, qui le rapporta à son tour à Talleyrand. C'est l'ermitage de la Madonna del Monte qui fut choisi, lieu reculé et difficilement accessible depuis le village en contrebas de Marciana. Napoléon y arriva le 21 août ; Madame Mère arriva le 25 août, afin de faire diversion et donner l'impression que l'Empereur passait ce court séjour avec elle ; Marie Walewska arriva dans la nuit avec son fils, son frère et sa soeur, le 1er septembre. Près de l'ermitage et de la chapelle attenante (voir le plan), Napoléon avait fait monter une tente qui devait  « officiellement » lui servir de lieu de repos, tandis que son « épouse polonaise » et sa famille devaient dormir dans l'ermitage. Cependant, la rumeur courait que l'Impératrice et le roi de Rome étaient à Elbe. Si Marie Walewska, veuve depuis peu, avait caressé l'idée de rester aux côtés de l'Empereur, Napoléon la détrompa sans doute le lendemain, espérant toujours voir Marie-Louise le rejoindre et oublier sa liaison avec Neipperg. Par discrétion, Marie repartit deux jours après son arrivée, de nuit. Le lieu de départ ayant été changé, le clan Walewski prit la mer à Porto-Longone. 

Des rumeurs d'enlèvements de Napoléon
Même à Elbe depuis des semaines, Napoléon continuait à agiter l'esprit de ses vainqueurs, en particulier dans la France de la Restauration et en Autriche (cette dernière mue par la crainte de le voir agiter l'Italie où l'influence des Habsbourg n'avait jamais été aussi forte qu'après la chute de l'Empire). Des rumeurs commençaient à circuler. Catherine de Wurtemberg, l'épouse de Jérôme Bonaparte, notait ainsi dans son journal le 18 septembre : « On dit cependant qu'au Congrès, il sera question d'éloigner l'empereur Napoléon de l'île d'Elbe, où l'on le trouve trop proche des côtes de l'Italie ». Napoléon avait-il eu vent de ces rumeurs ? Ce fut en tout cas durant ce mois de septembre qu'il décida, depuis Porto-Longone, de renforcer sa sécurité : « Toute ma cavalerie sera sous les ordres de mon premier officier d'ordonnance. Il m'accompagnera constamment à cheval, avec deux pistolets, il commandera des escortes et prendra les mesures de sécurité convenables en se concertant avec le commandant de gendarmerie pour le placement des gendarmes sur mon passage. Il y aura tous les jours, pour suivre ma voiture, cinq hommes de service à cheval avec leurs carabines et pistolets chargés. »
 
Projets d'enlèvements de Napoléon confirmés à Paris
Un rapport du 28 septembre du consul Mariotti à Talleyrand prouvait que l'idée d'organiser un enlèvement était envisagée concrètement : « Tous les renseignements que j'ai reçus de Portoferraio et que j'ai l'honneur de porter à la connaissance de Votre Altesse ne présentent pas beaucoup de facilités pour faire enlever Napoléon. Les précautions extraordinaires qu'il a prises contre les étrangers […] ; les changements continuels de sa résidence et l'espérance qu'il entretient dans les militaires d'un changement heureux après le congrès sont des obstacles qui me mettent dans l'impossibilité de rien tenter contre lui à présent […] ». Ces précautions tenaient-elles du fait que Napoléon était au courant de ces rumeurs ? Le ministre de la Guerre de Louis XVIII le confirmait à Talleyrand, le 15 octobre : « D'après tous les rapports reçus de Portoferraio, il serait très difficile d'enlever Napoléon qui a pris une foule de mesures de précaution, et peut compter sur ses troupes ». Louis XVIII, au final, ne s'intéressa que de loin à ce projet, tout comme la plupart de ses ministres, à l'exception de Talleyrand. Avaient-ils tort ? Le ministre de la Marine Ferrand l'exprima, rétrospectivement à la lumière des Cent-Jours, dans ses mémoires : « Le séjour de Bonaparte à l'île d'Elbe devait donner de l'inquiétude, et je dois dire que le gouvernement n'en prit point assez. »

Un (des) attentat(s) contre l'Empereur ?
Un agent espion de Mariotti attesta le 26 septembre qu'on avait donné à l'entourage de l'empereur en exil « le signalement d'un prêtre vêtu en séculier, qui a[vait] juré sur l'Évangile de venir à l'île d'Elbe assassiner [l'empereur] et qui [devait] être en route. » Plusieurs de ces rumeurs d'assassinats eurent cours, à Elbe, à cette période. Une certaine paranoïa régnait :  Napoléon craignait aussi bien les enlèvements que pire : un assassinat, dont il ne doutait pas qu'il fît des heureux parmi ses ennemis en France comme à l'étranger. Une figure autre que celle d'un ecclésiastique vengeur de Pie VII inquiété Napoléon : le bruit avait couru qu'un obscur « Juif borgne », vendeur de livres à Leipzig et tueur à gages à ses heures, cherchait à tuer l'Empereur d'Elbe ! La suspicion était à son comble, si bien que le maire de Rio-Montagne, borgne lui-même, avait été inquiété : sa fonction de chambellan de l'Empereur le sauva de la cabale…
 
Mésaventures d'un espion à Elbe en novembre 1814
Domenico Ettori fut envoyé à Elbe afin d‘espionner Napoléon pour le compte du gouverneur autrichien d'Italie Bellegarde. Débarqué sur l'île le 1er novembre, ce moine n'y resta qu'une semaine sous l'identité d'un marchand d'estampe, sa mission ne rencontrant pas grand succès. Son retour fut plus mouvementé : après avoir essuyé une tempête sur le retour vers Livourne, il perdit toute pièce d'identité et tout bien lui permettant de s'assurer une fin de mission sereine. Arrivé à Livourne le 12 novembre, il passa de mains autrichiennes en mains toscanes, affabulant sur ses rencontres avec Napoléon pour obtenir la reconnaissance de ses geôliers. Ettori finit par attirer l'attention du feld-maréchal Bellegarde qui reconnut son agent… et sa mythomanie patente. L'espion de fortune finit assigné à résidence à Vienne.

Lettres d'espion et pétition de grenadiers
Bernotti, l'agent du consul Mariotti à Elbe, tenait son employeur régulièrement au courant de la vie de Napoléon mais aussi de celle de son entourage. Dans une de ses lettres du 15 novembre, il fit état de l'humeur des officiers d'ordonnance de l'empereur d'Elbe (ce qui révélait par ailleurs la complicité de certains d'entre eux). Les grenadiers se plaignaient de ne pas recevoir leurs pensions de la Légion d'honneur : les revendications avaient même été jusqu'à être couchées sur papier, dans une pétition qui avait été remise à Napoléon sur la route de Portoferraio le menant à sa maison de campagne. Les pensions avaient finalement été versées non sans que la tête du mouvement soit réprimandée. Mais les rapports des espions exagéraient le mécontentement des soldats : les défections ne furent pas si nombreuses que ne l'avait espéré Mariotti puisque le séjour à Elbe allait voir 53 départs dans les troupes de l'Empereur qui comptaient 1 000 hommes.

Un Nouvel An 1815 à Elbe
La fin de l'année 1814 avait été marquée par les rumeurs d'enlèvement de Napoléon. Elle étaient parvenues jusqu'au principal intéressé, si bien que l'Empereur d'Elbe avait renforcé les dispositifs de défense du palais d'I Mulini durant l'automne et avait fait surveiller la côte de crainte d'un débarquement de ses ennemis. Bien qu'occupés aux affaires du congrès de Vienne, les alliés continuaient à le surveiller de près : début janvier, le délégat du pape à Civitavecchia Tiberio Pacca parvint à mettre la main sur des lettres échangées entre Napoléon et son oncle, le cardinal Fesch. Cette correspondance, cachée parmi deux caisses de livres, ne révélait pas grand-chose si ce n'est ce que soupçonnaient depuis un moment les espions des alliés, de Louis XVIII et de Talleyrand réunis : Murat et Napoléon avaient renoué contact, un de ces plis du 27 décembre le prouvait… D'autres rumeurs grandissaient en cette fin d'année 1814 : une partie de la population française, notamment militaire, était mécontente et semblait inquiéter les alliés qui voyaient grossir les rangs des bonapartistes et la possibilité d'un complot pour ramener l'empereur déchu en France. Fin décembre, l'inquiétude ne semblait plus du côté de l'exilé mais de ses geôliers. Napoléon paraissait plus serein que quelques semaines auparavant, comme lorsqu'il donna un banquet organisé par sa soeur Pauline, le 1er janvier 1815 : les notables d'Elbe et les sujets britanniques de passage furent invités, le déguisement était de rigueur et Pauline, costumée en Napolitaine, s'était particulièrement illustrée pour amuser son frère. L'appréhension des alliés vis-à-vis des projets de l'Empereur aurait presque pu paraître déraisonnable.
 
Consul, marin, soldat… espion ?
En 1815, alors que les négociations au Congrès de Vienne continuaient, sur l'île d'Elbe Napoléon était surveillé par un vaste réseau d'espions du consul français Mariotti. Le 12 janvier 1815, alors que les pourparlers secrets sur la crise polonaise-saxonne occupaient les dirigeants à Vienne, l'Inconstant, le brick commandé par le capitaine Taillade, s'échouait à l'île d'Elbe. Or Taillade et l'Inconstant étaient au centre de l'un des plans de Mariotti contre Napoléon. Dans une lettre à Talleyrand du 28 septembre 1814 (découverte par des espions autrichiens), Mariotti décrivait les fréquents voyages de Napoléon sur le brick à la petite île voisine de Pianosa, et la possibilité que cela offrirait de le kidnapper pour l'emmener à l'île Sainte-Marguerite – la maison de la célèbre prison de l'Homme au masque de fer, d'où il n'aurait aucune chance de s'échapper.
Pour Mariotti, Taillade était parfait pour cette mission : « …il est pauvre et Napoléon a réduit sa solde de moitié ; il n'a pas un moment de repos et n'est pas content de son sort ; tout me port à croire qu'il serait facile à gagner. » Ainsi, cet accident de navigation dans des circonstances peu bizarres, dans des eaux connues pour être dangereuses par mauvais temps, pourrait suggérer des motifs cachés… et nous savons que Napoléon remplaça Taillade après une enquête sur cet accident. Après toutes ces spéculations, cependant, les historiens récents s'accordent à penser que Taillade n'avait pas été compromis. Et à l'insu de Mariotti, Talleyrand et leurs co-conspirateurs, Napoléon allait bientôt reprendre les choses en mains.

Octobre 1814-juin 1815 : Pendant ce temps, à Vienne, lors du congrès…

Premières passes d'armes au congrès de Vienne
Le 23 septembre, l'ambassadeur extraordinaire de Louis XVIII, Talleyrand, s'installa au palais Kaunitz à Vienne, pour représenter la France dans les négociations du congrès de Vienne. Arrivé depuis une semaine à Vienne, il posait déjà problème aux quatre grands réorganisateurs du continent européen, l'Autriche, la Russie, la Grande-Bretagne et la Prusse. Dès la conférence ministérielle du 30 septembre, le prince du Bénévent s'était évertué à protester contre les plans des grandes puissances ayant défait Napoléon. Cette conduite exclusive des négociations était pourtant inscrite dans l'article 5 du traité de Chaumont de mars 1814, stipulant que « les hautes parties contractantes se réservaient de se concerter entre elles […] sur les moyens les plus propres à garantir à l'Europe et à se garantir réciproquement le maintien de cette paix ». Talleyrand était épaulé par le marquis de Labrador, représentant l'Espagne, autre pays qui n'entendait pas se conformer aux désirs des grands vainqueurs. Si l'Espagnol n'avait pas le Français en grande estime, ils s'étaient néanmoins entendus pour rehausser la position de leurs pays dans ces tractations. « Ils ont protesté contre la forme que nous avions adoptée ; ils nous ont bien tancés pendant deux heures ; c'est une scène que je n'oublierai jamais », comme le rapporta Gentz, le secrétaire du congrès.
 
Talleyrand, espion espionné
Tandis qu'il remportait un premier succès dans ses premières interventions au congrès de Vienne au point d'imposer un report du congrès le 12 octobre 1814, le prince du Bénévent ne se doutait pas (assez ?) que sa correspondance était espionnée par l'empereur d'Autriche. François Ier de Habsbourg avait ordonné au préfet de police de Vienne, Hager, de disposer des espions auprès de toutes les délégations étrangères rassemblées au congrès. Vers la fin du mois d'octobre, un de ces espions devait ainsi mettre la main sur des courriers datés de fin septembre qui évoquaient un possible enlèvement de Napoléon à Elbe. C'était là la preuve pour le souverain autrichien que la France de Louis XVIII était prête à désavouer le traité de Fontainebleau par tous les moyens, et pas uniquement en plaidant publiquement pour un éloignement plus grand de Napoléon… Une information d'importance pour François Ier qui ne pouvait être dupé par les positions officielles de Talleyrand quant au respect des traités signés.
 
Réactions au report du congrès de Vienne
Les vainqueurs de Napoléon avaient peu goûté le report du congrès de Vienne obtenu par Talleyrand. Dans une lettre du 9 octobre 1814 à Wellington, Castlereagh fustigeait ainsi l'ingratitude du roi de France : « Ce n'était pas aux Bourbon, qui ont été restaurés par les Alliés, de perturber les arrangements pris par les Alliés ». Du côté français, ce délai contentait grandement Louis XVIII. Le 14 octobre 1814, il écrivait au prince de Bénévent que ce retard servait parfaitement son dessein d'« empêcher le succès des projets ambitieux de la Russie et de la Prusse ». La Russie semblait, de fait, cristalliser le mécontentement de la délégation française à la mi-octobre : était-ce, au-delà des positions géopolitiques, parce qu'Alexandre Ier était à l'origine du choix d'Elbe dans l'exil de Napoléon, et montrait une tendresse évidente pour la famille Beauharnais ? Le Tsar était dans tous les cas un des symboles vivants de la victoire à ce congrès. Chacun de ses déplacements dans la capitale autrichienne était l'occasion de le vérifier, comme ce 18 octobre, lors de l'incroyable commémoration de la bataille de Leipzig au Prater. Lors de la somptueuse fête militaire et religieuse organisée par l'Empereur autrichien et Metternich, Alexandre Ier s'était illustré en portant un toast au peuple et à l'armée qui avait déclenché la liesse de la foule et les larmes des soldats, d'après une demoiselle d'honneur de la Tsarine. Cette popularité était sans doute une raison suffisante pour Talleyrand : faire une cible du Tsar populaire et tâcher de saper les puissants intérêts russes lors des négociations, ou échouer à cette tâche et trouver là prétexte pour quitter le congrès.
 
Voyage à Budapest des monarques alliés
Alexandre, François, Frédéric-Guillaume et le palatin de Hongrie se rendirent à Budapest du 24 octobre 1814 jusqu'à la fin du mois. François de Habsbourg, empereur d'Autriche, s'y rendait en tant que roi de Hongrie. Mais une certaine proximité du peuple hongrois avec le souverain russe était pourtant évidente, du fait de la conscience des Magyars de leurs origines communes dans l'Oural, du partage de la religion orthodoxe et d'une volonté grandissante d'émancipation ou du moins de reconnaissance vis-à-vis du pouvoir autrichien, la menace turque semblant désormais bien lointaine. Selon le baron de Méneval, ces proximités créaient « une influence que la politique ambitieuse du gouvernement russe pourra[it] rendre un jour dangereuse pour l'Autriche ». Le Tsar, revêtu d'un uniforme hongrois pour l'occasion, fit sensation lors de ce voyage (qui comprenait également un hommage à sa défunte soeur, épouse du palatin de Hongrie). La popularité du Tsar et des Russes était répandue parmi d'éminents officiers originaires de pays soumis à l'Autriche : Radetzky, d'origine tchèque, avait ainsi salué avec nostalgie le temps passé à collaborer avec l'armée russe contre Napoléon. Dans cette popularité, l'empereur de Russie correspondait presque à un miroir inversé de l'empereur d'Autriche, même dans l'esprit des plus fidèles aux Habsbourg parmi ces minorités assujetties à l'Autriche.

Inauguration officielle et organisation concrète du congrès de Vienne
Alors que le congrès de Vienne devait commencer ses travaux officiellement le 1er novembre 1814, son organisation avait pris forme concrète. Des comités territoriaux devaient se pencher sur la question de fond du redécoupage européen et des nouvelles frontières des royaumes et États (affaires d'Allemagne, sur la Confédération germanique, affaires de Suisse, de Gênes, de Toscane, du duché de Bouillon). D'autres comités spéciaux s'intéressaient à des questions plus spécifiques et/ou techniques (abolition de la traite des noirs, libre circulation des rivières, rangs et préséances, statistiques, rédaction). Dans tous les cas, tous ces comités étaient chapeautés par les quatre puissances victorieuses de Napoléon, l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie. Y étaient adjointes les autres délégations (France, Espagne, Portugal et Suède) selon les sujets, au bon vouloir des grands vainqueurs, ce qui ne manqua pas d'irriter souvent les pays concernés.

Bal masqué somptueux à Vienne et aventures périlleuses d'un espion à Elbe
Chez les Metternich, le 8 novembre 1814, un bal masqué accueillit 1 500 invités : remarquable, ce fut « la plus belle fête que, de l'aveu de tout le monde, on n'ait jamais vue », rapporta Friedrich von Gentz dans son journal où il confessait également en être rentré à 4h du matin, ce qui laissait présager une journée de travail compliquée pour le secrétaire du congrès de Vienne.
 
Un carrousel mémorable à Vienne
Le 23 novembre 1814, Vienne, alors en plein congrès, vibra devant un spectacle des plus impressionnants. Le manège impérial de l'école d'équitation de Vienne (aujourd'hui dit « manège d'hiver » de l'école d'équitation espagnole de Vienne, la plus ancienne au monde en activité) accueillit un grand carrousel. Vingt-quatre cavaliers pouvaient être admirés dans le superbe bâtiment construit entre 1729 et 1735. Les galeries du manège étaient occupées par les ambassadeurs étrangers d'un côté et les dignitaires de l'empire autrichien de l'autre. Des tribunes temporaires avaient été installées à même la piste pour accueillir les familles impériales, royales et princières. En face, habillées à la mode des XVIe et XVIIe s., se trouvaient vingt-quatre jeunes femmes, « dames des vingt-quatre paladins qui allaient prouver qu'elles étaient belles entre les belles », d'après La Garde-Chambonas. Sur la musique des orchestres les plus raffinés de Vienne, les cavaliers avaient commencé par s'exercer dans un jeu « historique », déjà pratiqué du temps de Marie-Thérèse : le jeu des bagues, sorte de tournoi où il s'agissait de retirer des anneaux ou de fausses « têtes de turcs » fichées sur des piliers du manège à l'aide d'une lance. D'autres jeux d'adresse, des simulations de combats à l'épée ou de charge de cavalerie avaient suivi et, n'était-ce la chute du prince de Lichtenstein, resté inconscient, la soirée s'était conclue gaiement par un bal masqué. Entre 1 000 et 1 200 personnes avaient assisté à ce spectacle qui fut reproduit les 1er et 5 décembre suivants.
Panorama du manège de l'École espagnole d'équitation de Vienne
Estampe mise en couleur du Grand Carrousel de 1814 (auteur : inconnu, conservée au musée de Vienne)
 
Urticaire agaçante et érysipèle mortel à Vienne
La fin du mois de novembre et le début du mois de décembre furent une période néfaste à la santé des grands réunis à Vienne. Après le tsar, ce fut au tour du ministre autrichien d'être malade ! Metternich souffrait d'urticaire et ne put conduire les réunions prévues du congrès de Vienne, ce qui eut le don d'agacer fortement Talleyrand, qui n'y voyait que de la mauvaise volonté : « pour ne rien finir, il appelle son état actuel : convalescence ». Cette maladie n'agaçait pas que le représentant de Louis XVIII. D'aucuns avaient du mal à comprendre que Metternich pût garder le lit lorsqu'il s'agissait des réunions du congrès, mais trouvât le temps de mettre en scène une comédie, le 9 décembre 1814, à la demande de l'impératrice d'Autriche. Le Pacha de Suresnes, dirigé par le peintre Isabey et l'architecte Moreau, permit à la jeunesse féminine de la noblesse viennoise de s'illustrer dans l'art dramatique en français. Pendant ce temps, le prince de Ligne, grande figure des réjouissances du congrès, se mourait réellement de son érysipèle : son décès allait survenir le 13 décembre suivant. « Sa vie sera la première affaire que le congrès ait terminée », notera le marquis Astolphe de Custine.

Un concert de Beethoven à Vienne
Après avoir été repoussé deux à trois fois, le concert de Ludwig van Beethoven eut bien lieu à Vienne, dans la salle des redoutes, le 29 novembre 1814. Le concert débuta par sa 7e symphonie, créée entre 1811 et 1812, suivie de sa Victoire de Wellington à Vitoria, composée un an auparavant, et en conclusion son Glorieux Moment, daté du 24 novembre même. Beethoven s'était produit ce soir-là devant 6 000 personnes et était sans conteste une des vedettes des festivités. Il allait d'ailleurs se produire à nouveau le 2 décembre (pour son propre bénéfice), le 25 décembre à la Hofburg (au profit de l'Hôpital Saint Marx) et encore le 25 janvier 1815, où le maître fut si bien accueilli par le Tsar et la Tsarine qu'il allait composer une polonaise en l'honneur de l'épouse d'Alexandre Ier. En effet, grâce au généreux don de 200 ducats de la Tsarine, Beethoven gagna par ses concerts en 1814 plus que toutes les autres années confondues.

La dernière lettre de Marie-Louise à Napoléon
Après l'abdication de Napoléon Ier, Marie-Louise s'était montrée déterminée à rester fidèle à son époux. Rapatriée et surveillée à Schönbrunn avec l'Aiglon, la jeune femme restait entourée d'une suite française, mais la pression familiale et viennoise sapa peu à peu ses projets de rejoindre Elbe. Alors que Napoléon lui exprimait l'attente de leur réunion, dans les lettres secrètes qu'il lui faisait parvenir, Marie-Louise se consolait dans les bras de Neipperg ; après tout, son époux n'avait-il pas reçu sa maîtresse polonaise ? L'information ne lui avait pas été épargnée à la cour de son père, lequel persuadait chaque jour un peu plus sa fille d'oublier son mari. La duchesse de Parme était par ailleurs consciente que la possession de ses terres italiennes, gagnées à la faveur des conquêtes napoléoniennes, était suspendue aux décisions des alliés réunis au congrès et sensibles à son comportement vis-à-vis de l'empereur déchu. Les mois passant, Marie-Louise se fit de plus en plus évasive sur sa venue à Portoferraio, écrivant même à l'empereur d'Autriche : « Soyez assuré, très cher papa, que maintenant j'ai moins que jamais envie d'entreprendre ce voyage ». Finalement, le 3 janvier 1815, elle écrivit sa dernière lettre à Napoléon : « J'espère que cette année sera plus heureuse pour toi, tu seras au moins tranquille dans ton île et tu y vivras heureux de longues années pour le bonheur de tous ceux qui t'aiment et te sont attachés comme moi. » Trois jours après, elle donna un goûter à Schönbrunn pour fêter l'Épiphanie. Le petit roi de Rome gagna la fève. 
 
Accord sur l'avenir de la Saxe et de la Pologne
Parmi tous les sujets abordés durant le congrès de Vienne, les alliés, ne pouvaient faire l'économie d'une séance sur le devenir de deux territoires jusqu'alors sous la coupe de l'empire français, la Saxe et la Pologne, désormais convoités par les protagonistes autrichiens, prussiens et russes. Cette séance eut lieu le 28 janvier 1814, et l'Autriche, l'Angleterre, la Russie et la Prusse (la France était également présente) aboutirent à un accord sur la Saxe, accord confirmé par le mémoire ultérieur du diplomate prussien Hardenberg, signé le 8 février suivant. L'Autriche acceptait qu'une partie seulement de la Saxe revînt à la Prusse qui recevait en complément des territoires de la rive gauche du Rhin et du Hanovre. Le territoire de la Saxe restant revenait à Frédéric-Auguste de Saxe, le roi « légitime ». Quant à la Pologne, jusque-là sous administration russe pendant le congrès, il était entendu que la Prusse en conserverait la Posnanie, l'Autriche, la Galicie, le reste du territoire étant réparti entre Moscou (via sa tutelle sur le nouveau royaume de Pologne) et Berlin. De l'ancien duché de Varsovie émergeait une seule entité autonome polonaise : la république de Cracovie… placée sous la « protection » des alliés autrichien, prussien et russe.
 
Faut-il détrôner Murat ?
Au début de l'année 1815, cette question brûlait les lèvres de certains alliés, après la confirmation quelques semaines auparavant de la reprise des échanges épistolaires entre l'empereur de l'île d'Elbe et son beau-frère, le roi de Naples Joachim Murat. Un an après l'armistice qu'il avait signé avec l'Autriche puis la Grande-Bretagne pour préserver son royaume, le roi de Naples n'était plus aussi ferme dans sa trahison envers Napoléon. Pour aider les alliés dans leur réflexion, Talleyrand n'hésita pas à forger de faux documents visant à prouver la connivence entre Murat et Napoléon. L'attaché à la délégation suisse Jean-Gabriel Eynard notait ainsi dans son journal, que le 9 février 1815 se serait tenue une réunion secrète entre les alliés pour acter le détrônement de l'un et l'enlèvement de l'autre. 
 
Les questions polonaise et allemande en voie de résolution
Huit ans jour pour jour après la bataille d'Eylau qui avait vu Napoléon faire céder les Russes sur le territoire polonais, le partage de la Pologne et un accord sur la Saxe, entre la Prusse, l'Autriche et la Russie, étaient couchés sur le papier par le diplomate prussien Hardenberg le 8 février 1815. L'Allemagne était également concernée par ces réorganisations : une nouvelle forme de confédération était en vue, sous l'égide de l'Autriche et de la Prusse, ainsi qu'une réorganisation des territoires germaniques au nord. Ces discussions aboutirent à un premier projet écrit de constitution de confédération le 10 février 1815. Les tractations entre les deux puissances, autrichienne et prussienne, et les petits royaumes germaniques allaient se poursuivre sur cette base jusqu'en mai. Le congrès de Vienne venait de prendre deux de ses décisions les plus concrètes en ce début d'année 1815.

Concertations pour une Allemagne confédérée
Après les longues discussions de début 1815 pour régler les questions de la Pologne et de la Saxe, le congrès de Vienne pouvait aborder le devenir du reste de l'Allemagne, notamment de la confédération du Rhin de Napoléon. Le comité pour les Affaires d'Allemagne, sous la houlette de l'Autriche, la Prusse, la Grande-Bretagne et la Russie, avait présenté un premier projet de réorganisation des territoires germanophones en février 1815, mais les petits états concernés, s'estimant mis à l'écart, s'y opposèrent. Une fois les revendications de ces états étudiées, l'Autriche présenta un projet de constitution pour une confédération germanique début mai 1815. Le projet fut étudié les 25 et 26 mai par une conférence élargie à tous les futurs membres de la future confédération. Leur accord le plus manifeste résidait dans la volonté d'éviter le retour de l'empereur des Français, ainsi que d'assurer une égalité entre les états membres sans création d'une instance de degré supérieur (d'où l'absence d'empereur à la tête de cette confédération, malgré une présidence de sa diète par l'empereur d'Autriche). Dès lors, la rédaction de la constitution de la confédération fut rapide : commencée le 1er juin, elle fut approuvée par les plus grands alliés directement concernés, l'Autriche et la Prusse, le 5 et signée officiellement le 8 (lire le texte intégral), en réalité le 10, par l'ensemble de ses 38 membres. 
 
L'acte final et la clôture du congrès de Vienne
Le 9 juin 1815, les puissances principales du congrès de Vienne – Autriche, Grande-Bretagne, Russie, Prusse, France, Portugal et Suède – signèrent son acte final, rédigé en français. Seule l'Espagne rechigna, contestant certains des articles qu'elle estimait dictés sans négociation par les quatre plus grandes puissances. Une grande cérémonie fut organisée à la Hofburg et, deux jours plus tard, le congrès était officiellement clôt. Les pays de moindre échelle allaient tous signer au fur et à mesure. Quel que serait le résultat du conflit imminent avec Napoléon Bonaparte, l'Europe avait déjà fait ses choix pour le siècle à venir.

Au tournant 1814-1815 : un aparté sur la naissance du Nain jaune

Reprenant le nom d'un jeu de cartes et de stratégie populaire au XVIIIe siècle, mais également celui de l'anti-héros repoussant d'un conte de la fin du XVIIe, Le Nain jaune naquit le 15 décembre 1814, à la faveur de l'impopularité grandissante de Louis XVIII et de la Restauration. Tandis que le nombre de pamphlets antinapoléoniens diminuait avec l'assurance que l'exil de l'empereur sur l'île d'Elbe serait définitif, les fondateurs de cet hebdomadaire clandestin – le libéral Louis François Auguste Chauchois-Lemaire et le bonapartiste Charles-Guillaume Étienne (ancien directeur de la division littéraire de la police de Napoléon Ier, et donc chargé de la censure sous l'Empire !) – entendaient railler le pouvoir qui semblait bien installé. La Gazette de France, fidèle au roi, se chargeait de lui répondre. Les premiers brocardaient les ralliements de circonstance à Louis XVIII, en créant « l'ordre de la girouette », dont le grand maître était évidemment Talleyrand ; les seconds renommaient leur adversaire pamphlétaire Le Nain de l'île d'Elbe. Louis XVIII semblait peu s'inquiéter de ces scribouilleurs hostiles sous la première Restauration ; il allait en être autrement une fois l'aventure des Cent-Jours terminée, même si Le Nain jaune semble n'avoir tenu aucun rôle dans un quelconque complot bonapartiste visant à remettre Napoléon sur le trône.

Janvier 1815-mai 1815 : Le départ d’Elbe et le retour à Paris

Les préparatifs d'une évasion
Il est difficile de savoir quand Napoléon Bonaparte décida fermement de partir d'Elbe. Certes, le commandant Poli raconta après coup dans ses mémoires qu'un soir de février, l'empereur d'Elbe lui aurait fait part de son projet de quitter l'île, devenue encore plus étroite du fait du non respect des accords financiers du traité de Fontainebleau. Louis XVIII ne lui avait toujours pas remis les millions escomptés… Comme le souligne Pierre Branda dans La guerre secrète de Napoléon. Île d'Elbe 1814-1815 : « Il semble bien pourtant que Napoléon n'ait pas préparé longtemps à l'avance son départ comme en témoigne sa relative indifférence pour l'entretien de son navire principal, l'Inconstant. Tout porte à croire qu'il se soit décidé vite, à l'instinct en quelque sorte. » L'Inconstant était la seule embarcation valable de Napoléon pour une telle entreprise, mais le deux-mâts qui possédait dix-huit canons était mal entretenu. Il avait failli s'échouer en janvier 1815, ce qui coûta sa place à son commandant Taillade. Ses avaries ne pouvaient être réparées que lors d'une absence du commissaire anglais, le colonel Campbell, très présent en ces semaines de début 1815. L'occasion se présenta le 16 février : apprenant que Campbell déclinait une invitation de Pauline à un bal prévu le 26 février, Napoléon en déduisit qu'il avait une dizaine de jours pour réparer, réarmer et maquiller son bateau. Après le départ de Campbell, il en donna l'ordre immédiatement à Drouot.
 
Une surveillance esquivée
Profitant de l'absence de Campbell, Napoléon avait fait ordonner le début des travaux sur L'Inconstant le 17 février 1815 : l'intendant Balbiani n'eut pas de mal à recruter les quelques dizaines d'ouvriers nécessaires, le chantier semblant normal au vu des avaries qu'il avait subies. Le seul Inconstant ne pouvait transporter le millier d'hommes, les vivres et les chevaux nécessaires au projet de Napoléon ; l'Étoile, le chébec de la taille d'une goélette que l'empereur d'Elbe avait acheté, fut également armé en toute discrétion, et plusieurs autres embarcations furent réquisitionnées sans résistance de la part de la population, bien au contraire. Les équipements militaires furent chargés sur les navires entre le 17 et le 21 février. Le 19 février, Napoléon continuait à jouer la comédie en approuvant le recrutement d'une troupe d'opéra, ordonnait la tenue le 6 mars d'une première réunion de la cour d'appel qu'il venait de former, et ordonnait des travaux à Portoferraio… tout en élaborant son plan d'évasion, et un éventuel plan de repli en Corse en cas d'interception avant le débarquement en France. Son proche entourage n'était pas au courant de ces préparatifs. Seuls les espions chargés de la surveillance de Napoléon semblaient plus méfiants et notaient une effervescence suspecte autour de Portoferraio. Le temps les prit de court pour informer leurs maîtres, même si la rumeur d'un départ de Napoléon parvint tout de même à la flotte royaliste française qui rôda d'autant plus autour d'Elbe. Les Britanniques avaient également été touchés par les bruits qui couraient : le retour inattendu dans la nuit du 23 février, du capitaine Adye, sur ordre de Campbell, faillit ainsi mettre à mal l'évasion de Napoléon. Le capitaine anglais, malgré le rapport de son espion Ricci, s'assura par deux fois (il était reparti le lendemain pour revenir le 25) de la présence de l'empereur dans l'île, mais reprit le chemin de Livourne sans se douter – ou sans comprendre l'importance – des préparatifs en cours…
 
D'Elbe à Golfe-Juan puis Gap
Les préparatifs pour le voyage terminés, Napoléon n'allait certainement pas attendre le retour du colonel Campbell pour partir. Le matin du 26 février 1815, il prévint son entourage de son départ sans en dévoiler sa destination, pour se prémunir des espions dont il se savait entouré. Dans l'après-midi, ce fut au tour des notables de l'île d'être mis au courant. Le bruit de cette fuite se répandit rapidement dans l'île et provoqua la joie de la majorité des troupes, comme des autochtones. Les espions, soupçonneux depuis quelques jours, cherchèrent en vain à quitter Elbe : Napoléon avait fait interdire tout départ des ports. Vers 19h, il s'embarqua à bord de l'Inconstant, pour quitter l'île deux heures plus tard avec six autres navires. Les trois jours suivants n'eurent rien d'une balade en mer : le temps clair, le poids des canots qui retardait la marche, la proximité inquiétante du brick de Campbell comme de la flotte française furent autant de pièges déjoués grâce à un mélange mystérieux d'effet de surprise, de détermination de la part de l'expédition de Napoléon… et d'hésitation du côté anglais, voire de complicité du côté français. Au matin du 1er mars, les navires en provenance d'Elbe entraient dans la baie de Golfe-Juan, sans déclencher de réaction hostile, et Napoléon descendit à terre dans l'après-midi, une fois débarqués ses hommes et leur matériel. Première ombre au tableau, après cette traversée et ce débarquement idyllique : l'Empereur ne réussit pas à rallier à sa cause le 87e régiment en garnison à Antibes, malgré les proclamations qu'il avait rédigées dès le 25 mars pour convaincre le peuple et l'armée de le rejoindre. Le temps pressait : il fallut laisser la délégation envoyée à Antibes, prisonnière des royalistes. L'Empereur prit la route de Cannes pour arriver à Gap le 5 mars, par la route tortueuse qui devait prendre le nom de « Route Napoléon » 117 ans plus tard.

La rencontre à Corps et la réaction des alliés au congrès de Vienne
Napoléon poursuivit sa remontée vers Grenoble depuis Gap qu'il laissa le 5 mars pour rejoindre Corps le lendemain. Apprenant que son avant-garde et les troupes royalistes ne s'étaient pas affrontées à La Mure, il les rejoignit le 7 mars à la prairie de Laffrey, depuis appelée « prairie de la Rencontre ». Malgré les ordres de faire feu de Lessart aux troupes de Louis XVIII, Napoléon s'avança vers les soldats : « Soldats du 5e de Ligne, je suis votre Empereur, reconnaissez-moi ! S'il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son Empereur, me voici ! ». Gagnés à sa cause, les soldats abandonnèrent les rangs royalistes pour se joindre à lui sur la route de Grenoble.
La veille, dans la nuit du 6 au 7 mars, les grandes puissances alliées et la délégation royaliste au congrès de Vienne avaient appris le départ de Napoléon d'Elbe. Les réunions qu'ils tinrent le 7 mars au matin et en soirée n'aboutirent à rien de concret : seule fut proclamée une union de principe contre Napoléon, qu'ils croyaient sur la route de l'Italie. Une des mesures annexes prises à l'annonce de cette fuite fut le confinement de Marie-Louise et du roi de Rome à Vienne.

Le « Prince » à Grenoble puis Lyon, redevenu Empereur à Paris 
Arrivé à Grenoble le 8 mars, Napoléon poursuivit son périple vers Lyon, qu'il atteignit le 10 pour y rester deux jours afin d'élaborer le retour de l'Empire : ses décrets du 13 mars en furent le résultat. La semaine suivante, il allait se rapprocher jour après jour plus près de la capitale où il parvint le 20 au soir. Il constitua alors, depuis le palais des Tuileries, son nouveau gouvernement. Pendant les jours suivants jusqu'au mois d'avril, l'Empereur s'attacha à rétablir les principales institutions impériales dans Paris et toute la France.

Impossibles négociations avec Vienne

Le 2 avril 1815, Napoléon avait fait parvenir à Vienne une demande de négociations via Caulaincourt, à qui il avait confié le ministère des Affaires étrangères dès son retour à Paris. Cette tentative n'eut aucun effet sur le congrès de Vienne et dès le 4 avril, Castlereagh signifia à Caulaincourt l'union des souverains européens contre Napoléon.

L'acte additionnel du 22 avril et sa présentation publique le 1er mai
À son retour au pouvoir à Paris, Napoléon devait respecter les proclamations qu'il avait faites à Lyon, avant le 20 mars 1815. Elles l'engageaient à se démarquer de Louis XVIII et de sa Charte : une nouvelle constitution devait asseoir le pouvoir du « nouveau Napoléon ». Une commission spéciale, composée en grande partie de modérés – Cambacérès, Maret, Carnot, Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, Boulay-de-la-Meurthe, Merlin-de-Douai et Defermon, mais aussi Benjamin Constant, l'ennemi juré du régime impérial – fut créée pour élaborer le nouveau texte fondateur. Ce fut Constant qui rédigea le texte. Son premier projet, daté du 15 avril 1815, proposait un mélange entre la Charte de Louis XVIII et la constitution britannique. Seul Carnot s'opposa à cette approche : pour lui, seule la séparation complète des corps intermédiaires, sans transmission héréditaire et sous l'égide de l'empereur, permettrait d'éviter l'instabilité des années révolutionnaires 1790-1799 et donc la menace des pays voisins. Cette idée était cependant minoritaire au sein des hommes de pouvoir, notamment Fouché. De fait, la commission finit par suivre « la Charte améliorée », selon les mots de Chateaubriand, proposée par Constant, avec ses chambres délibératives élues par le plus grand électorat possible, sa pairie héréditaire, et ses droits et libertés garantis. Napoléon eut cependant le dernier mot sur de nombreux points, en particulier sur la confiscation des biens de ceux qui avaient suivi Louis XVIII en exil et dans le choix du titre du document : « Acte additionnel aux constitutions de l'Empire », malgré les réticences de la commission et de Constant. Cette expression devait, selon lui, marquer la continuité entre les deux régimes qui l'avaient connu. Par cette exigence, Napoléon s'exposait à la suspicion : son comportement qui avait conduit la France à la chute et la première abdication avait-il changé ? L'Acte additionnel fut finalement adopté le 22 avril, et publié le jour suivant. Sa présentation publique eut lieu le 1er mai au champ de Mars et devait être un moment de renaissance de la relation entre les Français et l'Empereur. Il fut soumis à un plébiscite le 1er juin.
En savoir plus sur l'Acte additionnel et le champ de mai, dans un article de Jean Tulard

Le Journal universel et le manifeste de Gand de Louis XVIII
Après avoir quitté Paris le 19 mars à l'approche de Napoléon, Louis XVIII s'installa le 30 mars à Gand, alors sous l'influence du tout nouveau royaume des Pays-Bas. Rassemblant un gouvernement de fidèles, Louis XVIII comptait sur le Journal universel, journal de quatre pages payé sur la cassette du roi et publié la première fois le 14 avril, pour contrebalancer le Moniteur universel redevenu bonapartiste. Ce « moniteur de Gand » publia ainsi jusqu'au 21 juin. Les frères Bertin, journalistes et co-directeurs jusqu'en 1811 du Journal des débats, le dirigeaient dans l'idée constante de nuire à Napoléon. Hors de cette ligne éditoriale, les tensions et contradictions internes entre libéraux et ultraroyalistes empêchaient une unité plus grande dans sa rédaction à laquelle Lally-Tollendal et Chateaubriand participèrent notoirement. Dans la même optique, Louis XVIII fit paraître le 2 mai 1815 un manifeste (texte intégral sur Gallica) signé le 24 avril à l'attention des Français. il y rappelait les bienfaits de son retour en 1814, en particulier comme rempart aux répressions des pays étrangers et pour la création de la charte et de la nouvelle constitution. Il exhortait les Français, en mentionnant spécifiquement les gardes nationales, à se rallier à lui contre « l'usurpateur ». Louis XVIII esquissait des promesses de réforme : « Français, le Roi qui a toujours été près de vous, sera bientôt avec vous. Sa Majesté, le jour où elle posera le pied sur son territoire et le vôtre vous fera connaître en détail ses intentions salutaires et toutes ses dispositions d'ordre, de justice et de sagesse. Vous verrez que le temps de la retraite n'a pas été un temps perdu pour vos intérêts. » Pourtant, l'optimisme affiché dans cette déclaration était en décalage avec la réalité : en cette fin d'avril 1815, la marge de manoeuvre du gouvernement en exil était bien mince ; l'absence de Talleyrand à Gand en était un indice flagrant…

Juin 1815 : campagne de Belgique et dernier exil

Un triste prélude : la mort du maréchal Berthier
Le 1er juin 1815 le maréchal Berthier s'éteignait dans les circonstances restées obscures d'une défénestration. Il avait été l'un des serviteurs les plus fidèles de Napoléon Bonaparte, et le chef d'état-major de son armée. 
 
15-18 juin 1815 : la campagne de Belgique et la bataille de Waterloo
Le 15 juin, Napoléon décida d'envahir la Belgique avec son armée du Nord pour surprendre les alliés qui n'attendaient pas un mouvement de sa part si tôt. La ville de Charleroi tomba aux mains des Français. Le 16 juin, la bataille de Ligny fut une nouvelle victoire française face à la Prusse tandis que celle des Quatre-Bras ne parvint pas à être décisive et fragilisa l'avancée sur Bruxelles. Le 17 juin, l'empereur des Français se concentra sur la préparation de la bataille à venir le lendemain au Mont-Saint-Jean, du côté de Waterloo. Les troupes françaises furent défaites à Hougoumont comme à Plancenoit. La débacle française fut incontestable dans la soirée du 18 juin. Pendant ce temps et jusqu'au 19 juin, les hommes de Grouchy gagnaient en vain la bataille de Wavre… La campagne de Belgique était néanmoins un échec cuisant.

La presse française du 18 juin 1815
Le 18 juin 1815, le Journal de l'Empire apportait avec décalage les nouvelles de la campagne de Belgique, et ses rédacteurs ne savaient rien encore de la bataille en cours à Waterloo. En ouverture, on pouvait lire « La nouvelle suivante, ne nous étant parvenue aujourd'hui qu'à 4h du matin, n'a pu être insérée dans les exemplaires du journal qui étaient déjà imprimés. Nous répéton [sic] pour ceux de nos lecteurs qui ne l'auraient pas reçue ». Le journal décrivait alors la prise du 15 juin de Charleroi par Napoléon, avec ses « 1 500 prisonniers », ses « 4 régiments prussiens écrasés » et le « peu d'hommes » imprécis perdus par l'Empereur. « L'enthousiasme des habitants de Charleroi, et de tous les pays que nous traversons, ne peut se décrire ». Le journal rajoutait à la date même du 18, 6h du matin, que cent coups de canons à Paris avaient annoncée « une grande victoire remportée à Ligny sur les armées anglaises et prussiennes, commandées en chef par le lord Wellington. »
 
Retour à Paris et abdication
Après la défaite de Waterloo, Napoléon rentra à Paris dans la matinée du 21 juin. Le 22, il adressa sa lettre d'abdication aux Français, écrite depuis le palais de l'Élysée : « Je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils n'en avoir jamais voulu qu'à ma personne. » Cette abdication devait voir le roi de Rome accéder au trône. Le gouvernement provisoire fit en sorte qu'il n'y accède pas.
 
Départ pour Rochefort
Durant les quelques jours où Napoléon resta à Malmaison, dans l'attente de son sort et en caressant l'idée d'un exil volontaire vers l'Angleterre puis vers les États-Unis, la commission provisoire qui gouvernait la France depuis le 22 juin, date de son abdication, hésita sur la marche à suivre. Fouché, en particulier, redoutait que Napoléon ne tente un nouveau coup d'État (la rumeur enflait à Paris) mais abhorrait également l'idée que les Prussiens puissent mettre la main sur lui tandis qu'ils approchaient dangereusement de la Malmaison. La commission s'en remit, après des jours de tergiversation, aux Britanniques. Finalement, le 29 juin, Napoléon quitta Malmaison en direction de Rochefort ; il y arriva le 3 juillet et s'installa dans la maison du Roy, alors préfecture maritime. L'attente s'y poursuivit… 
 
De Rochefort au Bellerophon
N'ayant toujours pas obtenu les sauf-conduits qu'il attendait pour aller en Amérique, Napoléon quitta Rochefort pour l'île d'Aix, au large en face du port. Le 10 juillet, il fit savoir par l'intermédiaire de Savary et de Las Cases au capitaine du Bellerophon, Maitland, qu'il demandait asile au peuple anglais. Maitland lui garantit sa protection jusqu'aux côtes britanniques sans préjuger du sort qui l'attendrait par la suite. 
 
Des côtes britanniques à Sainte-Hélène
Le 15 juillet, Napoléon embarqua avec une suite d'une quinzaine de personnes à bord du Bellerophon. Le bateau prit alors la direction de la Grande-Bretagne et rejoignit Torbay puis la rade de Plymouth le 26, où l'on fit attendre Napoléon le temps que le gouvernement britannique se mette d'accord sur son lieu d'exil (Castlereagh plaida pour l'Ecosse pour une durée provisoire). Le 31 juillet, la décision tomba : ce serait l'île de Sainte-Hélène. Le Bellerophon quitta Plymouth avec Napoléon à son bord le 4 août ; le Northumberland allait prendre le relais pour le transporter jusqu'à Sainte-Hélène le 7.

Après Waterloo et le 18 juin 1815 : le destin de quelques membres de la famille Bonaparte

Réunion et mésaventures dans la famille Bonaparte : Pauline, Élisa, Letizia, Jérôme et le cardinal Fesch
Lorsque Napoléon quitta l'île d'Elbe, l'entreprise était trop périlleuse pour que sa mère et sa soeur, qui lui tenaient compagnie dans son exil, l'accompagnent. Ce n'est que le 10 mars, une fois arrivé à Lyon, que l'Empereur donna l'autorisation à sa mère de le rejoindre en France. Letizia embarqua début avril à bord du Joachim que le roi et la reine de Naples lui ont envoyé. À Porticci, sur le chemin de Naples, elle fut rejointe par le cardinal Fesch puis Jérôme qui avait fui Trieste et la surveillance des Autrichiens. La famille fit alors voile le 20 avril vers Gaète pour embarquer à bord de La Dryade à destination de la France. Des manoeuvres pour éviter la Royal Navy retardèrent ce voyage vers Golfe-Juan, qui n'aboutit que le 22 mai. Une relâche à Bastia, le 13 mai, permit entre-temps à la mère de Napoléon de revoir la Corse, pour la dernière fois de sa vie. Elle arriva à Paris les 1er/2 juin.
Pauline n'avait pas attendu le signal de Napoléon pour s'enfuir d'Elbe. Le 4 mars, elle embarqua sur une felouque avec des dames de compagnie et débarqua le 6 mars à Viareggio pour rejoindre le château de Campignano, propriété de sa soeur Elisa, ex-grande-duchesse de Toscane. Or Elisa s'était elle-même réfugiée à Bologne où elle serait bientôt arrêtée puis envoyée prisonnière en Moravie. Saisie par les Autrichiens sur les ordres du nouveau grand-duc de Toscane Ferdinand, Pauline eut plus de chance que sa soeur : grâce aux injonctions médicales liées à sa santé fragile, elle fut consignée à Campignano et eut même le droit de prendre les eaux à Lucques. Sur l'ordre de Napoléon, les ministres Decrès et Caulaincourt devaient plaider la cause de Pauline auprès du grand-duc et envoyer La Dryade vers Livourne pour ramener en France la soeur de l'Empereur. Les événements de juin 1815 en décidèrent autrement : Pauline allait rester à Lucques jusqu'en octobre ; le cardinal et Madame Mère allaient retourner à Rome après la bataille de Waterloo ; Élisa s'installait en septembre à Vienne ; Jérôme rejoignait sa femme chez son beau-père, le roi de Württemberg, qui lui imposa pendant un an de rester sur ses terres.
 
L'échec de la chevauchée de Murat
Avant même le début de la campagne de France, Murat avait choisi de négocier avec l'Autriche pour conserver son trône à Naples. Les alliés regardaient avec circonspection ce souverain dont beaucoup doutaient de son ralliement. En France, en particulier, Talleyrand attendait un faux-pas du beau-frère de Napoléon à la faveur duquel il espérait voir Ferdinand IV revenir sur le trône de Naples. Un an après, en décembre 1814, les échanges épistolaires entre Murat et Napoléon, prouvant une réconciliation, achevèrent de convaincre les alliés, y compris l'Autriche, d'adopter cette position. Avant même le retour de Napoléon, Metternich avait mis en garde Murat : la présence d'un seul soldat napolitain hors des frontières du royaume serait considérée comme acte de guerre. Informé par le chambellan de Madame Mère arrivé d'Elbe, Colonna d'Istrie, des projets de l'Empereur, Murat fit envoyer un agent à Vienne pour plaider la cause de Napoléon. Mais l'enthousiasme du retour de Napoléon en France, que la reine Caroline partageait peu, poussa Murat à aller plus loin que les recommandations de l'Empereur de s'en tenir à des actions diplomatiques. Le 10 mars, lorsqu'il apprit que son beau-frère était à Grenoble, Murat décida de partir pour Ancône avec son armée et pénétra le 21 mars dans les États pontificaux, déclenchant la fuite de Pie VII à Florence. Mais l'Autriche n'avait pas de troupes disponibles pour arrêter une potentielle avancée du roi de Naples. Contre toute attente, Murat ne profita pas de cet avantage et décida étrangement de rester à Ancône une dizaine de jours, sans doute convaincu que sa seule présence permettrait le soulèvement des Italiens contre les Autrichiens. Décidé à défier les Autrichiens, il envoya 40 000 de ses hommes à la fois sur le Pô et sur Florence. Arrivé le 30 mars à Rimini, Murat appela la population à se soulever pour son indépendance dans une proclamation (en italien) considérée comme précurseuse de l'unité italienne. Stoppé avec les 30 000 hommes qui lui restaient le 7 avril, à Occhiobello, Murat fut forcé de se replier sur Bologne. Dès lors, le roi de Naples battit en retraite et la désertion parmi les rangs de son armée s'accélèra. La bataille entre Macerata et Tolentino, du 2 au 4 mai sonna un échec quasi final. Le 11 mai, son armée ne comptait plus que 9 000 hommes.
   
La fin du règne des Murat sur Naples
Lorsque les premiers échecs de sa « campagne » furent manifestes, le roi de Naples donna les pouvoirs à sa femme Caroline, restée à Naples, afin qu'elle en contienne les rumeurs et défende la cité. Devenue régente le 18 avril, Caroline n'eut pas seulement à craindre de la population napolitaine : les deux vaisseaux et les deux frégates britanniques du capitaine Robert Campbell, parvenues près de la rade de Naples le 26 avril, Campbell ordonna à la soeur de Napoléon de se rendre. Consciente de ne pouvoir résister à l'avancée des Autrichiens et au siège des Britanniques, Caroline sut négocier la promesse de Campbell que les membres de sa famille – Madame Mère, le cardinal Fesch, Jérôme et ses propres enfants -, qui avaient été rattrapés dans leur fuite de Naples vers Toulon, puissent se réfugier à Gaète. Le 12 mai, une convention entre Campbell et le prince de Cariati, le représentant de Caroline, fut signée : la flotte et les arsenaux de Naples seraient soumis aux assiégeants, tandis que Caroline pourrait se réfugier sous protection britannique dans les propriétés de son choix, et rejoindre ses enfants pour être conduite dans un port de Provence à sa convenance. Face à la rumeur de la débandade des troupes de Murat, Caroline fit preuve de sang froid et empêcha la prise du palais. Le 16 mai, les Autrichiens écrasèrent Francesco Macdonald, le ministre de la guerre de Murat, à San Germano. Dans cette atmosphère chaotique, Murat put passer discrètement durant sa retraite par Naples, le 19, pour faire ses adieux à son épouse. Le lendemain, deux de leurs envoyés négociaient avec l'Autriche la reddition du royaume, tandis que la reine de Naples déchue se réfugiait sous pavillon britannique sur Le Tremendous. Le 22, le commandant autrichien Neipperg entra dans Naples et exigea que Caroline lui soit remise, malgré ses accords préalables avec les Britanniques et les Autrichiens. Faite prisonnière, la soeur de Napoléon n'allait jamais revoir son époux.

Lucien à Rome
Alors que Napoléon entrait dans Paris le 20 mars 1815, Lucien, devenu prince romain, s'intéressait surtout au devenir des États pontificaux que Joachim Murat avait envahis il y a peu. Le Pape quittant Rome pour Gênes devant l'avancée du roi de Naples, Lucien prit la route lui-même vers une destination restée obscure. Ce fut depuis la Suisse qu'il se décida, devant la stabilisation du retour de Napoléon, à aller à Paris pour promouvoir un retour au régime consulaire, dira-t-il plus tard dans sa brochure sur les Cent-Jours. Il arriva à Charenton, dans le Val-de-Marne, le 4 avril. Il est difficile de déterminer si Lucien revit directement Napoléon, mais il était porteur dès le 8 avril de lettres pour Rome, notamment pour le cardinal Fesch que l'Empereur nommait son ambassadeur là-bas. Lucien devait passer par la Suisse pour ce faire ; devant la menace d'une arrestation orchestrée par les alliés, il s'installa de l'autre côté du Lac Léman, guettant les mouvements des alliés. Le 8 mai, il retournait à Paris, chez le cardinal Fesch. Dès le 9 mai, Napoléon le rétablit prince Lucien avec les honneurs dus à un prince français mais sans retrouver le rang protocolaire qui lui était dû parmi la famille Bonaparte, comme ce fut le cas lors de la cérémonie du champ de mai. Il participait au conseil des ministres avec Joseph pour président lors de la campagne de Belgique. On soupçonnait alors Lucien de prendre la tête d'une nouvelle république. Au retour de Napoléon après le désastre de Waterloo, Lucien soutint son frère devant la Chambre soulevée par La Fayette et alla jusqu'à préconiser sa dissolution, ce que refusa l'Empereur. Proposant une commission parlementaire pour siéger sur le maintien ou l'abdication de Napoléon, il ne parvint qu'à retarder l'inévitable. L'acte de renoncement au trône fut écrit par Lucien sous la dictée de son frère. Le 25 juin, Lucien s'éloigna de Paris, retrouva sa mère et Jérôme à Neuilly chez Pauline. Pensant dans un premier temps aller en Grande-Bretagne, il finit par prendre la route de Rome. À partir du 6 juillet, il fut escorté par l'armée autrichienne jusqu'à Turin où il fut  confiné. Le 22 septembre, après délibération des alliés sur le sort des Bonaparte, et grâce à l'appui tiède du Pape, Lucien fut libéré et put se rendre à Rome, où son épouse devait accoucher quelques semaines plus tard d'un septième enfant, Pierre-Napoléon Bonaparte.
 
Joseph aux États-Unis
Devant la menace d'être arrêté dans sa retraite suisse du château de Prangins à l'annonce du retour de Napoléon en France, Joseph, resté en contact permanent avec son frère, repassa la frontière française et se rendit à Dijon avec ses filles ; il parvint à Paris le 23 mars dans l'après-midi. L'Empereur lui rendit ses fonctions et son train de vie de Grand Électeur : il attendait de son aîné qu'il rassemblât l'ensemble du clan Bonaparte. Joseph contribua ainsi pour beaucoup à la réconciliation de Napoléon et Lucien début mai 1815, et au ralliement de Murat, à Naples. Il assista Napoléon dans la consolidation de l'Empire renouvelé tout au long de ces semaines précédant la bataille de Waterloo, notamment en suggérant des noms pour les nouveaux conseillers d'État. Quand la campagne de Belgique fut arrêtée, Joseph reçut de l'Empereur la présidence du Conseil des ministres, et s'installa aux Tuileries dès le départ de Napoléon. À l'annonce de la défaite de Waterloo, Joseph réunit les Chambres pour constater leur rébellion ; il aurait conseillé à son frère de retourner auprès de son armée. L'abdication devenait cependant inéluctable et le 22 juin, malgré les tentatives de Lucien et de Joseph de mettre sur le trône Napoléon II, les chambres allaient s'opposer à cette proclamation. Le 25 juin, Joseph fut un des grands promoteurs de l'idée d'un exil direct et discret vers les États-Unis, lors du dernier conseil de famille qui eut lieu entre les quatre frères Bonaparte. Napoléon hésitant encore, il fut convenu qu'une décision serait prise en dehors de Paris, une fois sur la façade atlantique. Joseph se mit en route le 29 juin, recroisa la route de Napoléon à Niort le 2 juillet, et arriva à Rochefort dans la nuit du 4 au 5 juillet où il tenta de convaincre son frère de ne pas se rendre aux Britanniques mais de prendre la tête de l'armée de la Loire. Joseph acheta un brick, Le Commerce, et proposa une dernière fois le 12 juillet à l'île d'Aix de convaincre Napoléon d'embarquer dessus pour les Amériques tandis que lui-même prendrait sa place. Devant son refus, il attendait une dizaine de jours avant de s'embarquer depuis l'estuaire de la Gironde dessus sous le nom de Bouchard. Il échappa à deux contrôles de la marine britannique. La traversée dura 32 jours. Le 26 août, Joseph découvrait Long Island et posait pied sur le sol américain deux jours après.

Marie de Bruchard, juillet 2015

 

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