La gendarmerie du Consulat et de l’Empire

Auteur(s) : LENTZ Thierry
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Dénommée « gendarmerie » depuis la loi du 16 février 1791, l’ancienne maréchaussée royale est un corps militaire, présent sur l’ensemble du territoire et qui assiste les autorités civiles dans certaines de leurs tâches. Par l’arrêté du 8 germinal an VIII (29 mars 1800), la gendarmerie est placée sous la triple tutelle des ministres de la Police générale, pour ce qui touche à la sûreté des personnes et la « tranquillité de l’État », de la Justice, pour les affaires judiciaires, et de la Guerre, pour la conscription et la discipline militaire. Dans les départements, elle est juridiquement à la disposition des préfets, ce que Napoléon rappelle fermement en 1805, à la suite de disputes entre la police et la gendarmerie : « La gendarmerie doit obéir à quelqu’un ; si elle est à la fois dans la dépendance de l’armée et de l’administration, elle forme un état particulier. Elle doit être à la disposition des préfets, comme supérieurement chargés de la police des départements ». Aux armées, la gendarmerie exerce des fonctions prévôtales, sous l’autorité des commandants en chef. À côté de cette force « territoriale » ou prévôtale, Napoléon crée plusieurs forces spécialisées : gendarmerie de l’armée d’Espagne, Gendarmerie maritime, Gendarmerie d’élite, Gendarmerie impériale de Paris… et même un corps d’opérette avec les gendarmes d’ordonnance. Les effectifs de « ces » gendarmeries passent de 15 689 hommes en 1801 à 30 600 hommes en 1813.

La gendarmerie du Consulat et de l’Empire
Étendard de la compagnie du Golo (ancien département de la Corse, de 1793 à 1811) - 1795/1803
© Musée de la gendarmerie nationale (Melun)

L’organisation territoriale dans l’Empire

L’institution gendarmerie est réorganisée par l’arrêté du 12 thermidor an IX (31 juillet 1801). Au niveau central, elle est d’abord dirigée par un inspecteur général (arrêté du 8 germinal an VIII, 29 mars 1800), fonction confiée au général Étienne Radet (1762-1825). Celui-ci est remplacé le 3 décembre 1801 par le général (puis maréchal de l’Empire) Bon-Adrien [Jannot de] Moncey (1754-1842), qui reçoit le titre de Premier inspecteur général. Le général Anne-Jean-Marie-René Savary (1774-1833), ancien ministre de la Police générale, le remplacera Moncey. Le Premier inspecteur général est assisté d’inspecteurs généraux, qui seront Radet et Wirion (1802), Gouvion (1802), Lagrange (1802), Buquet (1804), Lauer (1807) et Saunier (1811).

La gendarmerie doit être présente partout sur le territoire. Celui-ci est divisé en « légions » regroupant plusieurs départements (quatre en principe). Les légions ont à leur tête un colonel. Chaque département forme une compagnie commandée par un capitaine ou un lieutenant. Chaque compagnie est composée de brigades compétentes pour un groupe de communes. Chaque brigade -il y en aura jusqu’à 2 500- est formée en principe d’un sous-officier et de cinq gendarmes. Adaptée aux besoins, la répartition géographique des effectifs n’est pas uniforme : c’est ainsi que sous le Consulat, plus de deux cents brigades nouvelles sont implantées dans les départements de l’Ouest. Le grade de gendarme est assimilé à celui du brigadier de la cavalerie, les brigadiers de gendarmerie sont assimilés aux maréchaux des logis ordinaires et les maréchaux des logis de gendarmerie aux maréchaux des logis en chef de la cavalerie.

A la fin de l’Empire, les trente-quatre légions ont leur siège à Paris, Caen, Alençon, Rennes, Angers, Tours, Bordeaux, Périgueux, Toulouse, Carcassonne, Rodez, Lyon, Moulins, Troyes, Arras, Bruxelles, Liège, Metz, Strasbourg, Besançon, Dijon, Grenoble, Draguignan, Marseille, Mayence, Ajaccio, Turin, Gênes, Florence, Rome, Laibach, Amsterdam, Groningue et Hambourg.

La gendarmerie participe aussi aux campagnes militaires en assurant le service prévôtal : patrouilles dans les camps, chasse aux déserteurs et aux espions, escorte des prisonniers de guerre et des convois. Un « grand prévôt » ou « commandant de la force publique aux armées » est instauré au sein de l’état-major, successivement les généraux Jean Lauer (1804) et Etienne Radet (1813). Une fonction identique est assurée auprès du commandant de chaque corps d’armée.

Le grand homme de la gendarmerie impériale est, bien sûr, Moncey. Né à Moncey (Doubs) le 31 juillet 1754, fils d’un avocat au Parlement de Besançon, il est engagé volontaire en 1769 et atteint l’époque de la Révolution avec le grade de capitaine. Il combat surtout dans le Sud-Ouest, contre les Espagnols. Il est nommé général de brigade en février puis de division en juin 1794. Il commande ensuite les divisions militaires de Bayonne et Lyon, devient lieutenant du général en chef de l’armée du Rhin (24 mars 1800) puis à l’armée de réserve, dont le chef est le Premier Consul Bonaparte, en route vers sa seconde campagne d’Italie. Il reste dans la Péninsule après Marengo et remporte de nombreux combats jusqu’à la paix de Lunéville, en février 1801.

C’est donc un soldat accompli que Bonaparte nomme Premier inspecteur général de la gendarmerie, le 3 décembre 1801. Sa carrière et sa fortune sont faites : maréchal de l’Empire en 1804, grand-aigle de la Légion d’Honneur en 1805, duc de Conegliano en 1808.

Resté à la tête de la gendarmerie, il n’en commande pas moins à plusieurs reprises des corps d’armée : corps d’observation des Côtes de l’Océan en 1807, en second le corps de Lannes puis, en premier, le 3e corps en Espagne. Dans ce pays, il remporte les victoires de Las Capreras, Almanza, Lérin (1808-1809). Il passe ensuite à la tête de l’armée de la Tête-de-Flandre, en Belgique, au commandement de trois divisions de gardes nationales en Belgique (1810-1811), au commandement en chef de l’armée de réserve des Pyrénées (novembre 1813). Major général  de la garde nationale de Paris, le 8 janvier 1814, il défend la barrière de Clichy le 30 mars (fait d’armes immortalisé par un monument à l’endroit même des combats) puis rejoint Napoléon au château de Fontainebleau.  Après l’abdication du 11 avril, il est maintenu par Louis XVIII dans ses fonctions d’inspecteur général de la gendarmerie. Il est pair de France aux Cent-Jours. Après Waterloo, il refuse par une lettre au roi de présider le conseil de guerre chargé de juger le maréchal Ney ce qui lui vaut d’être destitué et enfermé pendant trois mois au fort de Ham. Nommé de nouveau pair de France le 5 mars 1819, gouverneur de la 9e division militaire du 5 avril 1820 au 5 novembre 1830, il commande entretemps le 4e Corps de l’armée des Pyrénées (1823) chargée d’aller rétablir Ferdinand VII sur son trône de Madrid (c’est pendant cette campagne que le duc d’Angoulême remporte la bataille du Trocadéro). Pour sa part, Moncey enlève les villes de Barcelone, Tarragone et Hostalrich.

Après la révolution de 1830, Louis-Philippe le nomme gouverneur de l’hôtel royal des Invalides (17 décembre 1833).C’est donc lui qui accueille les Cendres de Napoléon, le 15 décembre 1840. Il meurt deux ans plus tard et est inhumé dans la crypte des gouverneurs, sous l’église Saint-Louis.

La gendarmerie de l’armée d’Espagne

Le 24 novembre 1809, Napoléon décrète l’organisation de cinq légions fortes au total de vingt escadrons de gendarmerie spécialement affectés à l’armée d’Espagne. Elles couvrent la province de Santander, les Provinces basques, la Navarre, l’Aragon et la Castille. Le 10 février suivant, le ministère de la Guerre concrétise cette décision. Chaque escadron comprend un détachement à cheval et un détachement à pied, pour un total de 207 hommes. La force totale des gendarmes d’Espagne se monte à 4 140 soldats et 1 740 chevaux. Les hommes sont majoritairement issus de l’infanterie de ligne, mais encadrés par des gendarmes tirés des territoires de l’Empire. Cette gendarmerie spécialisée dans la lutte contre la guérilla est commandée au niveau central par le Premier inspecteur général Moncey et, sur le terrain, par le général Louis-Léopold Buquet (1768-1835).

Pour combattre la guérilla dans les montagnes, Buquet créé, dès novembre 1810, en plus des cinq légions d’origine une légion « mobile » à cheval. Son siège est à Burgos et elle compte environ 800 cavaliers. Le colonel Jean-Alexis Béteille en prend le commandement.

Une sixième légion de gendarmerie, dite « de Catalogne », est créée en septembre 1810, sous les ordres du colonel Le Marchand. Elle aligne d’abord quatre compagnies totalisant 751 hommes, mais deux compagnies supplémentaires sont ajoutées au début de l’année 1811, portant l’effectif à 1 400 soldats.

Buquet est passé de l’armée de ligne à la gendarmerie en 1797. Il n’a plus quitté cette arme depuis. Commandant la légion de Metz (1798) puis les prévôtaux de l’armée de l’Océan (1803), il devient chef d’état-major de Moncey le 20 octobre 1804. Il remplace son chef parti en campagne en 1807-1808. Il est nommé à la tête de la gendarmerie de l’armée d’Espagne le 6 décembre 1809 et y restera jusqu’à la fin 1813. Il commande ensuite la gendarmerie de l’armée du Midi du 16 juillet 1813 au 1er septembre 1814, date de sa mise en non-activité. Il reprend du service aux Cent-Jours pour une mission dans l’Ouest. Il est en même temps élu député des Vosges à la chambre des représentants. Mis en non-activité, 16 octobre 1815 puis à la retraite, le 7 avril 1819, il est à nouveau député des Vosges de 1820 à 1824. La monarchie de Juillet le replace dans la section de réserve du cadre de l’état-major général (22 mars 1831).

La gendarmerie maritime

La « Prévôté Maritime des Ports et des Arsenaux » de l’Ancien Régime est intégrée dans la nouvelle gendarmerie, créée en octobre 1791.  Elle devient Gendarmerie des Ports et Arsenaux, plus couramment appelée Gendarmerie maritime, par deux arrêtés des 20 nivôse (10 janvier) et 6 fructidor an XI (24 août 1803). Elle reste soumise à l’autorité du Premier inspecteur général. Formée de cinq puis neuf compagnies, elle est chargée de la police des ports et arsenaux. Elle reçoit ses ordres directs des préfets maritimes et des chefs de marine des lieux où elle est stationnée. Elle est répartie en 7 compagnies maritimes commandées chacune par un capitaine et stationnées à Anvers, Le Havre, Brest, Lorient, Rochefort, Toulon et Gênes. L’effectif total sera de 450 hommes en 1807. 

La Légion d’élite de la Gendarmerie

L’arrêté sur l’organisation de la gendarmerie nationale (devenue impériale en 1804) du 12 thermidor an IX (31 juillet 1801) prévoit la création d’une légion de gendarmerie non-territoriale : la gendarmerie d’élite. Elle est intégrée à la Garde des consuls le 3 juin 1803. Elle est forte de six cents hommes, portés à sept cents sous l’Empire. Les brigadiers et gendarmes doivent mesurer au moins 1,76 m, très grande taille à l’époque, et jouir d’une parfaite moralité. Tout manquement entraîne un renvoi en « territoriale ».

Cette légion est « spécialement chargée du maintien de la sûreté publique dans le lieu où réside le gouvernement ». Elle remplit donc des missions d’escorte, de service des palais et de « protection rapprochée », en alternance avec des unités de la Garde impériale (comme les chasseurs à cheval). En service extraordinaire, elle accompagne les personnalités étrangères et remplit des « missions particulières », parfois en cachette de la police.

Timbalier. Gendarmerie d'élite : La Giberne, 1900-1901
Timbalier. Gendarmerie d’élite : La Giberne, 1900-1901

Le 6 septembre 1801, le colonel Savary est nommé à la tête de la légion d’élite. Général, duc, ambassadeur ou aide de camp de l’empereur, il conserve ce commandement jusqu’en juin 1810, époque de sa nomination au ministère de la Police générale, à la place de Fouché. Il est remplacé par le général Antoine-Jean-Auguste-Henri Durosnel (1771-1849). L’un et l’autre ne reçoivent d’ordres que du chef de l’État. Cette légion ressemble à s’y méprendre à notre actuelle Garde républicaine.

La Gendarmerie impériale de Paris

La gendarmerie impériale de Paris est créée en 1813 avec des vétérans des légions de gendarmerie d’Espagne en remplacement de la Garde municipale de Paris dissoute après la tentative de coup d’État du général Malet, le 23 octobre 1812, auquel son 1er bataillon a participé. Les grenadiers de cette garde parisienne sont envoyés assécher les marais de l’île hollandaise de Walcheren, les autres sont versés au 134e régiment d’infanterie de ligne. La garde de la capitale est démunicipalisée par un décret du 30 décembre 1812. Une gendarmerie impériale de Paris est créée. Elle était forte de 840 hommes placés sous les ordres du préfet de Police. Elle n’est active qu’en 1813-1814 et pendant les Cent-Jours.

Gendarmerie d’élite assurant un service d’ordre à proximité de l’arc de triomphe du Carrousel entre 1808 et 1814, par Lucien Rousselot © © Musée de la Gendarmerie nationale, Melun
Gendarmerie d’élite assurant un service d’ordre à proximité de l’arc de triomphe du Carrousel entre 1808 et 1814, par Lucien Rousselot © © Musée de la Gendarmerie nationale, Melun

Des gendarmes hors gendarmerie : les gendarmes d’ordonnance

 Créé par un décret du 1er octobre 1806, le corps des gendarmes d’ordonnance est intégré à la Garde impériale. Il est réservé aux enfants de l’ancienne noblesse et se compose de six compagnies (une à pied qui ne sera jamais formée, faute de candidats, et cinq à cheval), soit seulement 400 hommes parmi lesquels un duc de Choiseul, un prince de Salm-Salm ou le prince Joseph de Monaco. Ce corps est dissous par un décret du 12 juillet 1807, confirmé par deux décrets des 16 juillet et 23 octobre. Ses membres qui ont fait la campagne de 1807 (soit les trois premières compagnies) sont reversés dans la ligne avec le grade supérieur. Les autres sont intégrés aux vélites de la Garde. Le chef de corps, le général Mathieu-Paul-Louis de Montmorency-Laval (1748-1809) est nommé gouverneur du palais impérial de Compiègne.

Compléments

Ailleurs sur le web

Pour aller plus loin

Les ouvrages suivants sont consultables à la bibliothèque Martial-Lapeyre, à la Fondation Napoléon.

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