« Numéro du soir : Lisez tout à ce sujet ! »
Le 4 juillet 1821, la première page du journal londonien The Star était pleine de la vie quotidienne à Londres. M. Flowers du No 1 Pall Mall « au bout de la Royal Arcade » avait réservé un quart de colonne pour annoncer ses « vins de belle qualité uniquement ». Un autre quart de colonne était occupé par une « MAGNIFIQUE LOTERIE » où l’on pouvait gagner 25 000 £ (l’équivalent de 457 ans de salaire pour un journalier, le salaire en 1821 étant de 3 shillings, soit 36 pence par jour). Les petites annonces comprenaient des essais sur l’élevage pratique, des pianos d’occasion et une harpe à pédales, un livre de vues de Paris et de la Sicile. Un vendeur très rusé se greffait au couronnement prochain de George IV pour recommander son huile capillaire de Macassar : « le plus bel auxiliaire de beauté étant une belle chevelure » !
Sur la dernière page, cependant, imprimée clairement dans une deuxième édition durant la journée (puisqu’elle rapportait les événements de la matinée sous le titre « Evening Star ») se trouvait en majuscules, sur la deuxième page, la nouvelle extraordinaire titrée : « LA MORT DE BONAPARTE » (Au moins trois journaux, The Statesman, The Globe et The Star, réinitialisèrent leurs dernières pages de leur édition du soir pour annoncer la nouvelle du décès de Napoléon. Alors que le Star et le Globe nommait Hendry comme porteur de la nouvelle, le Statesman répétait cette source tout en y ajoutant celle de Crokat sous l’en-tête « Détails supplémentaires ».).
Le Héron : les premiers échos du décès
Plus tôt ce jour-là, le capitaine William Hendry dit « du sloop de guerre Rosario » était arrivé de Sainte-Hélène apportant ces nouvelles. Il avait vu le cadavre de Napoléon le 6 mai et avait été chargé par l’amiral Lambert de quitter son navire Rosario (dont il était le capitaine nominal) et de monter à bord du Héron pour annoncer la nouvelle à l’Amirauté. Bien que les journaux aient annoncé l’arrivée du Héron à Portsmouth le 5 juillet, les navires durent arriver plus tôt, le 4, pour permettre à Hendry de débarquer à l’avance et lui donner le temps d’atteindre Londres à midi ce jour-là. L’article notait comment Hendry était parvenu de Portsmouth à l’Amirauté à 11h30 grâce à un « chaise and four », un véhicule à quatre chevaux coûteux et rapide. Les dépêches furent aussitôt envoyées au roi.
Le scoop du Star était déclaré « de la meilleure autorité » :
« la mort de l’ex-empereur de France, Napoléon Bonaparte, [un] événement, que dans tous les sens généreux et chrétiens du terme, nous pouvons appeler du fait de la mélancolie » a eu lieu le 5 mai, d’un cancer de l’estomac, comme son père.
L’article donnait l’âge correct du défunt mais, suivant la tradition biographique britannique sur Napoléon, tradition qui débuta dès 1797, prétendit que Napoléon avait « postdaté sa naissance de deux ou trois mois, pour une raison politique ou autre, que nous avons oubliée ». Ce compte rendu constatait ensuite l’activité constante du télégraphe de l’Amirauté et supposait que la nouvelle devait être parvenue en France, « où elle ne p[ourra] manquer de produire une sensation extraordinaire ». Les récentes recherches de Thierry Lentz dans ce domaine ont démontré que la réaction à Paris fut plutôt très modérée. La seule vraie erreur dans cette nouvelle de dernière heure était l’affirmation selon laquelle l’Empereur était mort à New Longwood House. Bien que l’article mentionnait que des nouvelles de Hudson Lowe avaient également été communiquées à l’East India House, rien n’était dit du capitaine Crokat. Avait-il débarqué plus tard qu’Hendry ? Y avait-il une compétition entre les deux : la Marine contre l’Armée ? Le Saint James’s Chronicle daté du jeudi 5 juillet 1821 notait « qu’Hendrie [sic] était arrivé avant Crokat et que ses nouvelles pour Lord Melville, à l’Amirauté, avaient été portées par Wilson Croker au roi, tandis que les nouvelles de Crokat, arrivant apparemment un peu plus tard, avaient été portées à Bathurst et la Compagnie des Indes orientales. »
Le rapport du gouverneur Lowe
Le rapport officiel du gouverneur devait en effet paraître dans les journaux le lendemain, 5 juillet 1821. Alors que l’article du Star daté du 4 juillet faisait référence à une lettre de Hudson Lowe devant être remise à l’East India House et lue à la General Court of Directors, rassemblant les 24 directeurs de l’entreprise, les lecteurs de Londres apprenaient maintenant que le capitaine Crokat du 20e régiment, messager officiel d’Hudson Lowe voyageant également sur le Héron, avait apporté avec lui les dépêches officielles pour lord Bathurst du ministère de la Guerre et des Colonies et de la Compagnie des Indes orientales. Comme lord Bathurst n’était pas dans son bureau et que les ordres de Crokat étaient de remettre la nouvelle entre les mains du ministre, le capitaine Crokat se rendit à la maison de Bathurst dans la rue Stanhope. Bathurst aurait alors envoyé la nouvelle au roi et ordonné qu’une lettre circulaire soit envoyée au Parlement.
Le Rosario : récit des funérailles de Napoléon à Sainte-Hélène et premières « images » de l’Empereur mort
Puisque Crokat et Hendry avaient quitté l’île à bord du Heron le 7 mai, leurs nouvelles ne comportaient pas de récit des funérailles de Napoléon qui eurent lieu deux jours plus tard. Pour cela, les lecteurs de Londres durent attendre quelques jours la publication d’une lettre privée apportée à bord du Rosario par le capitaine Frederick Marryat qui avait quitté Sainte-Hélène le 16 mai (cf. ci-dessous une version de cette lettre, imprimée le 9 juillet 1821 ; d’autres versions avaient émergé un peu plus tôt).
Marryat (comme Hendry et Crokat) avait vu le cadavre de Napoléon le 6 mai. Rosario avait réussi à gagner du temps, mangeant cinq ou six jours sur les huit jours d’avance dont le Héron disposait à son départ. Le « Ship News » du Morning Post du lundi 9 juillet 1821 rapportait que ce navire était arrivé à Portsmouth le 6 juillet, seulement deux jours après le Héron ; Marryat avait noté dans son journal du 6 juillet qu’il avait jeté l’ancre à Spithead, bien qu’il soit parti Sainte-Hélène plus d’une semaine plus tard.
En plus des papiers officiels (Marryat apportait des doubles des dépêches initiales transmises par Crokat et vraisemblablement Hendry), le Rosario mit également à disposition du public les premiers détails privés (Crokat et Hendry avaient cependant quand même emporté avec eux « Une image de Buonaparte, après sa maladie, […] esquissé par un officier anglais ».) concernant les funérailles de Napoléon le 9 mai. Le navire apportait également cependant le rapport officiel du commissaire français Montchenu sur la mort de Napoléon. Montchenu avait raté le départ du Héron le 7 mai parce qu’il dormait… Comme le nota The Statesman (une publication londonienne) daté du samedi 7 juillet : « [Marryat] a fait plusieurs copies, dont certaines ont été apportées en Angleterre par les officiers qui sont arrivés mercredi [c’est-à-dire Hendry et Crokat le 4 juillet].
L’article faisait bien sûr référence au célèbre croquis de Marryat du cadavre de Napoléon sur le lit de mort ; Marryat lui-même allait arriver à bord du Rosario le lendemain. Le numéro de samedi de The Sun affirmait que Hudson Lowe avait demandé la réalisation de cette esquisse et que Montholon et Bertrand avaient donné leur autorisation. D’autres croquis de Marryat ont également été référencés : notamment de la tombe « située dans un endroit très romantique » d’après le Statesman, et du cortège funèbre de Longwood. Le Sun affirmait également que le testament de Napoléon avait été ramené à bord du Rosario.
Bon nombre des premiers récits de la mort de Napoléon les 4 et 5 juillet notaient comment le trésor britannique serait désormais libéré du paiement de 400 000 £ par an pour l’entretien de Napoléon à Longwood. Le 8 juillet, le British Luminary publia la dépêche de Lowe à Lord Bathurst dans son intégralité ainsi qu’une version du rapport d’autopsie.
Le lit de mort de Napoléon
Le dimanche 8 juillet 1821, The News (un journal de Londres) publia une lettre privée datée du 7 mai qui décrivait la chapelle ardente de Napoléon comme suit :
« Un nombre immense de personnes, hier et ce matin, sont allées le voir. C’était un des spectacles les plus frappants auxquels j’aie jamais eu la chance d’assister. La vue de son visage, d’où je crus à peine possible, ne fût-ce qu’un instant, de retirer mes yeux, me donna une sensation que je ne saurais décrire ; ses mains étaient blanches comme de la cire et étaient douces, même si le froid de la mort était sur elles. Ses restes doivent bientôt être fermés à la vue des mortels. Dans ce climat chaud, les cadavres deviennent vite offensants et bien que toute la célérité possible soit mise à contribution pour préparer le cercueil de plomb, il est déjà temps qu’il soit soudé. Des ordres généraux sont émis qu’il doit être enterré avec les plus grands honneurs militaires ; et peut-être jeudi ou vendredi prochain sera-t-il le jour. »

© Collection Bruno Ledoux. Photo : Fondation Napoléon/Rebecca Young
Funérailles de Napoléon
D’autre part, un récit personnel fascinant des funérailles avait été apporté à bord du Rosario et était paru dans le Bell’s Weekly Messenger du lundi 9 juillet 1821 :
« Extrait d’une lettre privée datée de Sainte-Hélène le 15 mai [Note : la lettre doit être arrivée par le Rosario]
« Bonaparte fut inhumé le 9 à Sane Valley (le nom « vallée du géranium » ne viendrait que 4 ans plus tard avec la publication de Antommarchi), endroit choisi par lui-même, avec tous les honneurs militaires rendus à un général de premier rang. Son cercueil était porté par des grenadiers. Le comte Montholon et le général Bertrand en étaient les porteurs [Sic] ; Madame Bertrand avec sa famille, à la suite. Viennent ensuite Lady Lowe et ses filles [Note : « Fille », au singulier. Charlotte était mariée et avait déjà quitté l’île.], en deuil complet ; puis les officiers subalternes de la Marine ; l’état-major de l’armée ; enfin, sir Hudson Lowe et l’amiral ferment la marche. Les 66e et 20e régiments, l’artillerie, les volontaires et les soldats, au total 3 000 hommes, étaient stationnés sur les collines environnantes, à peu près à mi-hauteur ; et quand le corps fut descendu dans la tombe, trois cartouches de onze canons furent tirées par l’artillerie. Sa tombe avait environ quatorze pieds de profondeur, très large au sommet mais la partie inférieure était chambrée pour recevoir le cercueil. Une grosse pierre couvrait toute la chambre. L’espace restant avait été rempli de maçonnerie solide, cerclée avec du fer. Ainsi toutes les précautions avaient été prises pour empêcher out rapt du corps, et je crois que c’était autant le fait du désir des commissaires français [Note : Il ne restait qu’un seul commissaire sur l’île, le français.] que du souhait du gouvernement de l’île. L’endroit avait été auparavant consacré par le prêtre de Napoléon. Le corps de Bonaparte avait été enfermé dans trois cercueils d’acajou, de plomb et de chêne. Son cœur, que Bertrand et Montholon désiraient ardemment emporter avec eux en Europe, avait été remis dans le cercueil, mais il reposait dans une coupe d’argent remplie de spiritueux. Son estomac, que son chirurgien tenait à préserver, avait également été remis près du corps, dans une autre coupe d’argent.
Comme tout ce qui concerne un si grand homme doit être d’un extrême intérêt, je dois vous dire qu’après avoir assisté à ses funérailles, je fis une visite à sa résidence. Marchand, son valet de chambre, m’a montré sa garde-robe et un décor, le plus miteux que je n’ai jamais vu. Vieux manteaux ; chapeaux et pantalons, qu’un aspirant à terre daignerait à peine porter… Mais Marchand m’a raconté que c’était toute une entreprise de lui faire mettre quelque chose de neuf : après l’avoir porté une heure, il la jetterait et remettrait l’ancienne.
Les derniers mots prononcés par Bonaparte furent « tête » – « armée ». Quelle était leur connexion dans son esprit ? Nul ne le sait ; mais on les entendit distinctement vers cinq heures du matin du jour de sa mort.
Un officier de garde fut nommé pour veiller sur sa tombe.
Bertrand, Montholon et le reste de sa maison retourneront en Angleterre dans le navire-magasin Camel, qui appareillera dans une quinzaine de jours.
Des dessins ont été pris par le capitaine Marryatt, de l’endroit où Bonaparte est enterré, et aussi de la procession à ses funérailles.
Onze cartouches de 33 livres ont été tirées lors des funérailles.
Il a été mis dans un cercueil de plomb, dans sa tenue d’uniforme simple, avec médailles, ordres, etc. etc. ; le cercueil de plomb a été enfermé dans deux cercueils en acajou ; le cercueil extérieur avait un dessus et des côtés simples, avec de l’ébène sur les bords et des vis à tête en argent surélevées au-dessus du couvercle.
Napoléon est enterré dans un endroit très romantique, situé dans une vallée près d’un endroit appelé Hut[t]’s Gate. Je rapporte ici la cause de son choix. À son arrivée, le maréchal Bertrand résidait à Hut[t]’s Gate, jusqu’à ce qu’une maison lui soit construite près de l’ex-Empereur, qui fréquentait fréquemment la famille du général, et il (Bonaparte) se promenait très souvent jusqu’à une source d’excellente eau (considérée comme la meilleure eau de l’île), et se faisait apporter un verre pour qu’il puisse boire. Madame et le maréchal Bertrand étaient toujours avec lui, et il leur aurait dit plusieurs fois : « S’il plaît à Dieu que je meure sur ce rocher, faites-moi enterrer à cet endroit », qu’il montrait, près de la source, sous quelque saule. des arbres. »

Tels étaient les premiers comptes rendus dont les lecteurs britanniques bénéficiaient concernant la mort de Napoléon, ce souverain du « pays d’en face » qui pendant plus de dix ans avait été scruté sous toutes les coutures par la presse du Royaume.
Peter Hicks, juin 2021 ; traduction : Marie de Bruchard, juillet 2021