Une chronique de Michel Kerautret : le bicentenaire de la mort du prince Eugène

Auteur(s) : KERAUTRET Michel
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Il y a deux cents ans, dans la nuit du 20 au 21 février 1824, le prince Eugène s’éteignait à Munich, capitale du royaume de Bavière, à l’âge de 42 ans. L’événement, bien qu’attendu depuis quelques jours, suscita une vive émotion à la cour et à la ville. Le corps du défunt resta exposé trois jours dans une salle de son palais, et de très nombreuses personnes vinrent le saluer une dernière fois : le roi, sa famille, les dignitaires mais aussi beaucoup de particuliers très émus.

Une chronique de Michel Kerautret : le bicentenaire de la mort du prince Eugène

Le prince représentait encore, dix ans après la chute de Napoléon, la grandeur de cette époque, et la Bavière n’avait pas oublié ce qu’elle devait à l’empereur. Eugène, marié à la fille de Maximilien Joseph, devenu roi « par la grâce de Napoléon », incarnait plus que personne cette union si fructueuse. La belle histoire d’amour qui transfigura son mariage politique avec la princesse Auguste Amélie ajoute une note romantique propre à émouvoir.

Le 26 février, le prince eut droit à des obsèques vraiment royales, entourées d’un grand apparat militaire. Le corps rejoignit ensuite la crypte de l’église Saint Michel, où reposaient plusieurs souverains bavarois du passé. Il se trouve toujours là, rejoint entre-temps par son épouse et certains de ses enfants. Un imposant monument de marbre à l’antique, sculpté par Thorvaldsen signale en outre dans la nef de l’église le souvenir du prince.

Né Beauharnais en 1781, devenu le beau-fils du général Bonaparte en 1796, adopté par l’empereur Napoléon en janvier 1806, vice-roi d’Italie, gendre du roi de Bavière, il est le seul membre de la famille impériale à conserver un statut officiel après 1815. À défaut de la souveraineté indépendante qui lui avait été d’abord promise, il reçoit une principauté territoriale médiatisée, l’ancien évêché d’Eichstätt, ainsi que le titre prestigieux de duc de Leuchtenberg, qui s’est conservé jusqu’à nos jours dans sa descendance masculine. Les mariages princiers de ses filles, surtout celui de l’aînée Joséphine avec le futur roi de Suède, font en outre d’Eugène l’ancêtre de nombreux souverains européens.

Mais le souvenir du prince vit aussi en divers lieux de l’Europe. En France, à Malmaison bien sûr, et à l’hôtel Beauharnais de la rue de Lille. En Italie, où il gouverna neuf ans au nom de l’empereur et réveilla l’Italie, il fait l’ouverture des musées du Risorgimento, à commencer par ceux de Milan et Turin. Mais ce n’est pas tout : à Milan, sa résidence de la villa Bonaparte est demeurée à peu près intacte, le musée Bréra est son œuvre. Si le palais de Monza a été affecté par les bombardements du XXe siècle, d’autres résidences ont conservé son empreinte : à Ancône, à Bologne, à Stra (villa Pisani), à la Pelucca ; sans oublier le palais royal de Venise, récemment rouvert après une belle restauration.  Il est présent aussi en Allemagne (palais Leuchtenberg à Munich, résidences d’Eichstätt). Ailleurs, ce sont de belles actions dont le souvenir se perpétue comme au monastère de Zvenigorod en Russie.

C’est qu’Eugène fut aussi, on l’oublie trop souvent, un très bon général, lors des campagnes de 1809, 1812, 1813, 1814. Il exerce alors des commandements comparables à ceux des maréchaux, et se montre bientôt leur égal – tout en conservant une modestie que ces derniers avaient perdue. L’Europe ne s’y trompe pas, qui lui voue admiration et sympathie, de l’empereur Alexandre de Russie au poète allemand Goethe. La France n’a pas fait de lui un héros de légende : il est sans doute mort trop tôt, avant d’avoir achevé l’indispensable traversée du désert et accompli la mue qui aurait peut-être fait accéder l’élève appliqué de l’empereur au premier rang de l’histoire. Reste une belle figure qui pourrait encore servir d’exemple à bien des gouvernants d’aujourd’hui.

Michel Kerautret (16 février 2024)

Historien, Michel Kerautret a reçu le Grand Prix de la Fondation Napoléon 2021 pour son ouvrage Eugène de Beauharnais, le fils et vice-roi de Napoléon.

Lire l’interview donnée à l’occasion de la sortie de son livre : « La relation de Napoléon avec Eugène est unique. Napoléon avait la fibre paternelle, mais il n’a pu le manifester dans la durée qu’avec Eugène. » (janvier 2021)

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