FOUCHÉ, Joseph, duc d’Otrante (1759-1820)

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FOUCHÉ, Joseph, duc d’Otrante (1759-1820)
Joseph Fouché, Duc d'Otrante (1759-1820)

Joseph Fouché naît au Pellerin en Loire-Atlantique le 21 mai 1759. Emblématique ministre de la police générale à cinq reprises, il vécut sous six régimes différents. A son poste du 20 Juillet au 10 novembre 1799 (2 thermidor an VII-19 brumaire an VIII), du 11 novembre 1799 au 15 septembre 1802 (20 brumaire an VIII-28 fructidor an X), du 11 juillet 1804 (21 messidor an XII) au 3 juin 1810, du 20 mars au 22 juin 1815 et du 9 juillet au septembre 1815. Jusqu’à la fin de sa vie il restera persuadé de son retour aux affaires, obsédé à l’idée de retrouver son poste.

Tout d’abord oratorien puis professeur et enfin avocat, la Loire-inférieure (aujourd’hui Loire-Atlantique) – département réputé conservateur et peu acquis aux idéaux révolutionnaires – l’envoie siéger à la Convention nationale en septembre 1792. Membre du parti des Girondins, il intègre le comité de l’instruction publique puis rejoint le camp des Montagnards, après s’être rapproché des Girondins de Vergniaud, lorsqu’il s’oppose à l’opinion de son département en votant le 17 janvier 1793 la mort du roi Louis XVI, choix qui le poursuivra toute sa carrière. Ses excès sont mentionnés dans les missions que lui confie la Convention à Nantes, Nevers et Lyon, ce qui lui vaut de connaître une période difficile de thermidor sur un plan politique. On l’accuse notamment d’avoir détourné puis dilapidé des fonds sous la terreur. C’est en 1797 que Barras, soucieux d’un possible retour des royalistes sur le devant la scène politique, lui intime de s’occuper de la police secrète. En accord avec Sieyès et le Directoire, Barras le nomme en juillet 1799 ministre de la police générale, ministère alors situé quai Voltaire. Il rattache le bureau central (la police parisienne) au ministère pour mieux contrôler Paris. Sa carrière est motivée par le fait d’affaiblir les royalistes qui se réorganisent et les jacobins qu’il juge trop puissants. Fouché fait fermer les sociétés populaires jacobines et leurs clubs – et en premier lieu le célèbre Club des Jacobins – via notamment le bâillonnement de leur presse. Quant aux royalistes il se montre plus subtil et agit par ruse en semant la division parmi leurs troupes. Il leur explique qu’ils doivent se rallier à lui pour faire arrêter les révoltes, ce que certains d’entre eux acceptent sous promesse de compensations. Ainsi, en à peine trois mois, la droite pense voir en lui un défenseur capable de la protéger des insurrections. Fouché cherche avant tout par ce biais à obtenir un homme de confiance capable de surmonter un régime affaibli, miné par la corruption. Cet homme devra être apte à servir les idées de la Révolution mais aussi le destin personnel de Fouché. Il pense le trouver en Bonaparte, jeune général, victorieux le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795) de l’insurrection royaliste. Il continue de se montrer méfiant à l’endroit de Barras, qu’il perçoit comme désireux de rétablir les Bourbons, ce qui lui coûterait son poste et sa tête. Etant mis dans la confidence de la préparation des événements du 18 brumaire, il a entre ses mains la possibilité de faire réussir ou échouer chaque tentative possible. Il choisit Bonaparte en décidant de ne rien faire pendant que le coup d’Etat se déroule à Saint-Cloud, restant à Paris et ignorant les remontées de terrain de ses directeurs. Cela marque son ralliement à Bonaparte et sa rupture avec Barras.

Le premier consul Bonaparte le maintien à son poste, bien que Sieyès lui fasse part de sa vive désapprobation. Il a alors les mains libres pour entreprendre d’encore plus vastes travaux de réorganisation et de centralisation de la police. Afin de garantir le maintien de l’ordre social, il annonce que sous son ministère la police aura « un caractère de justice, de dignité et de modération ». Il renforce la coordination de son ministère en créant le 8 mars 1800 une division spéciale de la police secrète, la préfecture de police de la Seine. Il établit ensuite des commissariats généraux de police. Il désire une police « supérieurement informée » jusqu’au sommet de l’Etat. Il va même jusqu’à proposer à Joséphine pas moins de 1000 francs par jour pour qu’elle lui relate les paroles et l’état d’esprit du premier consul. Il est considéré comme le père de la police moderne et l’un des premiers à faire mener des investigations en profondeur sur les individus, les enquêtes de personnalité.

Fouché procède à la nomination de magistrats supérieurs de police et de commissaires spéciaux dans les grandes villes de province et les villes frontalières. Il ordonne à tout Français de passer par le port de Boulogne pour rentrer d’Angleterre, ce qui lui permet de surveiller étroitement les allées et venues des voyageurs, notamment celles des immigrés. Sur un plan intérieur, il renforce la surveillance de ceux qu’il voit comme une menace pour le régime consulaire. Il lutte ainsi tour à tour contre les royalistes, les jacobins et les anarchistes en faisant fermer leurs derniers clubs. Il mène une bataille féroce contre les titres de presse critiquant le Consulat. Le réseau de renseignement qu’il constitue est remarquable et est une fondation solide pour la future police générale de l’Empire. Joseph Fouché est alors un homme aussi puissant que respecté et craint. Il compte parmi les proches du premier consul. Il pense que les immigrés sont moins dangereux en France qu’à l’extérieur pour la sécurité intérieure et va jusqu’à agir contre l’avis de Bonaparte en procédant à de très nombreuses radiations des listes des émigrés. En 1802, il fait voter la loi d’amnistie des émigrés, avec réintégration d’une partie non-négligeable de leurs terres. Bonaparte ne cache pas son inquiétude face au pouvoir grandissant pris par son ministre et prend soin de faire effectuer par le département de la Justice ces radiations. Fouché demeure soucieux de se prémunir d’une restauration monarchique et continue de déjouer des complots royalistes à l’image de celui de l’agence anglaise visant en mai 1800 à enlever le chef du gouvernement. Il ne peut s’empêcher de continuer à jouer double-jeu et se rend ainsi suspect aux yeux de Napoléon qui missionne Cambacérès de lui annoncer la suppression de son ministère en septembre 1802.

Fouché condamne officiellement l’assassinat du Duc d’Enghien mais se réjouit plus secrètement de voir l’Empereur devenir comme lui, presque régicide. Il est alors rappelé dans ses fonctions. Assisté par quatre conseillers d’Etat, il reprend alors sa lutte déterminée contre les royalistes et déjoue entre 1805 et 1807 trois conspirations. En mars 1805, Napoléon approuve sur sa proposition la création d’un « Bureau des journaux, des pièces de théâtre, de l’imprimerie et de la librairie » visant à imposer une censure assez draconienne qui n’épargne même pas les œuvres de Racine ou de Corneille. De ce fait, deux ans après, à Paris, il ne reste plus que huit théâtres. Talleyrand, avec qui il sera brouillé jusqu’en 1809, dit de lui : « Le ministre de la Police est un homme qui s’occupe d’abord de ce qui le regarde, et, ensuite, de ce qui ne le regarde pas. » Fouché se mêle ainsi des relations extérieures en faisant surveiller via le vaste réseau d’espions à sa solde aussi bien les puissances ennemies qu’alliées. En 1808, Fouché est au sommet de sa puissance. Travailleur acharné, ne relâchant jamais sa surveillance, Napoléon le récompense pour ses fourmillantes activités en le faisant duc d’Otrante, le 15 août 1809.

Le tout nouveau duc entame cependant alors une première descente en disgrâce. Déjà brouillé avec l’Empereur lors des affaires du divorce puis du mariage de celui-ci, ses positions sont fragilisées. La rupture est consommée lorsque Napoléon apprend que Fouché mène des négociations secrètes avec l’Angleterre. Réuni en conseil, Napoléon le tance sévèrement devant l’ensemble des ministres : « Ainsi, vous faites la guerre et la paix sans ma participation. » Dès le lendemain, il est remplacé quai Voltaire par Savary, tandis que le poste de gouverneur général de Rome lui échoit. Très discret dès lors, il ne joue pas de rôle important lors de la première Restauration, ce qui n’est pas le cas lors de la seconde.

Fouché poursuit alors le double-jeu mené depuis 1814. Bien que ministre de l’Empereur, il est surveillé par Savary et Réal ; ce qui ne l’empêche pas de proposer ses services à Louis XVIII, auquel il finit par se rallier. Il avait, dans un premier temps, après Waterloo déjà demandé à Napoléon d’abdiquer en faveur de son fils, demande qu’il réitère avec l’appui de la Chambre dont il vient de remporter la présidence. Il faudra attendre le 22 juin 1815 pour que l’Empereur s’y résigne. Fouché est alors élu président d’une commission exécutive provisoire face à Carnot. Il missionne alors Davout de négocier un armistice avec Blücher. Dans le même temps il prend fait et cause pour Louis XVIII, après avoir tout de même hésité un temps avec le duc d’Orléans. Le souverain restauré le reçoit le 7 juillet à Arnouville en compagnie de Talleyrand. Chateaubriand décrit cette entrevue comme étant l’expression du « vice » et du « crime » se réinstallant au pouvoir. Fouché redevient alors une nouvelle fois ministre de la Police et espère ainsi pour défendre ses intérêts et ceux des hommes impliqués dans la Révolution. Malheureusement pour lui, sa chute est précipitée par l’élection les 14 et 22 août de la « Chambre introuvable ». En juillet, il avait signé des ordonnances de proscription des responsables des Cent-Jours. Cette liste qu’il avait établie lui-même lui vaut le déchaînement d’une violente campagne de presse. De plus, la désapprobation des ultras est augmentée par la publication d’un de ses rapports critiquant la conduite des alliés à Paris au public. Fouché est alors lâché par le comte d’Artois, Talleyrand et le roi lui-même. Vitrolles le présente alors comme étant un « drapeau tricolore flottant sur la place de la Bastille ». Louis XVIII le maintient dans son titre de Duc d’Otrante mais il n’est plus auréolé de son lustre d’antan. Il est nommé le 15 septembre 1815 ministre du Roi à Dresde mais il donne immédiatement sa démission. Révoqué de ses fonctions en janvier 1816, banni par la loi condamnant les régicides à l’exil, il s’installe alors à Prague jusqu’en 1818 puis à Linz en 1819 avant de s’établir plus durablement à Trieste. Il fit alors tout pour tenter de rétablir son image, menaçant ses adversaires de divulguer les secrets de leurs vies. Pour les intimider il menaça de publier ses mémoires. Il mourut le 26 décembre 1820 dans son exil et sa dépouille ne fut ramenée en France qu’en 1875.

Parti comme simple professeur ecclésiastique la Révolution fit de lui un politicien sans foi mais aussi un homme d’Etat éclairé. (P. Leblanc)

Sources :
Dictionnaire des ministres de Napoléon, T. Lentz
Dictionnaire Napoléon, J. Tulard
Dictionnaire des ministres de 1789 à 1989, B. Yvert

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