Portrait posthume de Charles Bonaparte

Artiste(s) : GIRODET DE ROUCY-TRIOSON Anne-Louis
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Portrait posthume de Charles Bonaparte
Anne-Louis Girodet De Roussy-Trioson Portrait posthume de Charles Marie Bonaparte (1746-1786) 1805
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) - Franck Raux

Ce portrait posthume de Charles Bonaparte a été peint en deux versions par Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson – plus communément appelé Girodet – en 1805 (œuvre présentée dans cette fiche) et en 1806 (à voir ici). Les deux tableaux, presque identiques, se trouvent aujourd’hui respectivement au château de Versailles et au palais Fesch, musée des beaux-arts de la ville d’Ajaccio.

Le père de la fratrie de Napoléon est décédé vingt ans plus tôt, lorsque Girodet exécute ces œuvres. Le 24 février 1785, Charles Bonaparte a succombé d’un cancer du pylore à Montpellier. Épuisé par les va-et-vient incessants qu’il fait entre la Corse et Paris pour avancer ses affaires (litiges fonciers et patrimoniaux, ainsi que placement de ses deux fils Joseph et Napoléon), il a arrêté sa course, en compagnie de son fils aîné Joseph, dans une ville où il a plusieurs connaissances.
Ces multiples soucis financiers et familiaux impliquent en effet de nombreux voyages vers le continent afin de les démêler auprès des autorités françaises, référentes depuis 1768. Charles, issu d’une noblesse d’origine italienne, enfin reconnue en 1771 par le conseil supérieur de la Corse, n’a tout simplement jamais eu le temps de commander un portrait digne de son rang.
Mort sans avoir atteint les 39 ans, il n’a pas non plus vu la sensationnelle ascension sociale induite par la carrière de son deuxième fils, Napoléon.
Ces portraits viennent donc combler un vide pictural et rendre hommage au pater familias. (Lire une biographie de Charles Bonaparte sur napoleon.org).

Ce n’est pas uniquement par piété filiale que le nouvel empereur des Français fait exécuter ces portraits posthumes en mémoire de son père.
Napoléon est sacré depuis le 2 décembre 1804 quand il en passe commande à Girodet. Il a également lancé une série de portraits de sa propre personne, en gloire, revêtue des tout nouveaux symboles de l’Empire. David et d’autres artistes en vogue, souvent élèves de ce dernier (Gérard, Ingres, …), sont accaparés par cette véritable campagne de publicité. Sa production ne prendra fin qu’à la chute du Premier Empire et Girodet aura justement à exécuter une série de portraits de Napoléon durant la décade impériale.
En commandant à l’artiste deux portraits de son père en 1805, le nouveau souverain tient à créer une légitimité autour de sa nouvelle fonction. Napoléon Ier veut insister sur le caractère aristocratique de son origine en faisant mettre en scène son père avec les atours de la noblesse. Les gilet et bas de soie, velours pourpre rehaussé de motifs brodés de fils d’or, jabot en dentelle ainsi qu’épée et livres sont autant de signes qui prouvent que Napoléon est le fils d’un homme de haut rang et érudit.
Les posture et arrière-plan viennent accentuer cette assertion « politico-généalogique » : le choix du portrait en pied, de trois-quart, devant tenture d’étoffe de velours et colonne, sur sol décoratif de plusieurs types de marbre sont autant de signes associés à la haute, voire la plus haute, noblesse.
Girodet pousse la subtilité de cette véritable revendication de titre jusqu’au détail du mobilier et insère un fauteuil qui évoque, à l’égal des habits de Charles, l’Ancien Régime et le siècle qui vient de se terminer (présence de franges et forme des pieds, de style Louis XV, de manière diffuse).
Le message est clair : Bonaparte était un self-made-man issu des guerres révolutionnaires ; Napoléon Ier se révèle être encore plus, puisqu’il se réapproprie l’avant-Révolution, y compris génétiquement.

La plupart des autres portraits de Charles Bonaparte reprennent ces codes de la représentation nobiliaire du XVIIIe s., à l’exemple de la gravure ci-dessous, par Charles Devritz. Deux exemplaires en subsistent, l’une au château de Malmaison (cf. ci-dessous), l’autre à la maison Bonaparte à Ajaccio.

 

Charles Devritz - Portrait de Charles Bonaparte (1746-1785), père de Napoléon © RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) - Gérard Blot
Charles Devritz – Portrait de Charles Bonaparte (1746-1785), père de Napoléon
© RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau) – Gérard Blot

 

Charles-Joseph Marin ira même jusqu’à imiter le principe du buste inspiré de l’Antiquité romaine dans l’effigie de marbre du père de l’Empereur qu’il produit en 1810 (cf. ci-dessous).

 

Joseph-Charles Marin, buste de Charles-Marie Bonaparte <br>© RMN-Grand Palais - Gérard Blot
Joseph-Charles Marin, buste de Charles-Marie Bonaparte
© RMN-Grand Palais – Gérard Blot

 

Revanche personnelle, sociale, politique et esthétique de la part de ses enfants : Charles Bonaparte, qui aura œuvré tout au long de sa courte vie à la reconnaissance de la « gens Bonaparta »,  aura certes peu de représentations, toutes posthumes, mais elles auront toujours tous les traits d’un chef de clan divinisé.

Marie de Bruchard
Juin 2019 – Mise à jour : mars 2023

Pour aller plus loin

Ces ouvrages sont consultables à la bibliothèque Martial-Lapeyre.

Date :
1805
Technique :
Huile sir toile
Lieux de conservation :
Château de Versailles
Crédits :
© RMN-Grand Palais (Château de Versailles) - Franck Raux
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