+
10 ans
Jeunes
historiens

Les « masses de granit », de nouvelles institutions et réformes napoléoniennes

On appelle « masses de granit », en référence à cette pierre très dure, les institutions et réformes voulues par le Premier Consul Bonaparte puis l’empereur Napoléon Ier pour consolider l’État, après la révolution française qui avait déstabilisé les structures du pays.

Partager
Les « masses de granit », de nouvelles institutions et réformes napoléoniennes
Le Premier Consul Bonaparte puis l'empereur Napoléon Ier dote la France des masses de granit
par diverses lois en l'espace d'une décennie.

Ces institutions et réformes fondamentales, dont la plupart existe toujours aujourd’hui, sont de natures différentes :
– certaines sont des organes de l’État (le Conseil d’État, le préfet) ;
– d’autres sont des structures économiques (le franc germinal, la Banque de France, le livret ouvrier) ;
– d’autres encore sont des codes de loi (le Code civil) ;
– d’autres ont une portée sociale (le lycée, le Concordat, la Légion d’honneur).
Toutes visent à stabiliser le lien entre l’État et la société et à retrouver un climat apaisé dans le pays après les bouleversements de la Révolution française.

Le Conseil d’État – 1799

Créé le 13 décembre 1799, le Conseil d’État est un organe du pouvoir de premier plan. Il rédige les projets de loi et joue un rôle de conseiller auprès de Bonaparte puis Napoléon, qui le préside parfois lui-même. Les conseillers d’État fournissent, sous le Consulat et l’Empire, un travail considérable en participant à l’élaboration des principales réformes administratives. C’est le Premier Consul, puis l’Empereur, qui nomme et révoque les conseillers d’État, dont le nombre s’élève à environ cinquante.
Aujourd’hui, au sein du Conseil d’État, qui siège au Palais Royal, une salle de travail porte le nom de Napoléon. Celle-ci a été baptisée ainsi, non en l’honneur du fondateur de cette institution, mais de son frère le plus jeune, Jérôme Bonaparte, qui avait pour habitude d’y déjeuner.

Découvrir la Salle Napoléon sur le site web du Conseil d’État.

La Banque de France – 1800

Cet établissement, créé le 18 janvier 1800 est original car il permet aux actionnaires, c’est-à-dire à ceux qui ont placé leur argent en banque, d’être relativement protégés par l’État en cas de crise. La Banque de France possède une assemblée, constituée des actionnaires les plus importants, dans laquelle le vote n’est pas égalitaire. Par exemple, celui qui possède cinq actions vote une fois, tandis que celui qui en possède dix vote deux fois. Même si l’État assure sa protection à la Banque de France, l’établissement reste autonome. Il est cependant un allié du pouvoir : Bonaparte puis Napoléon l’utilise lorsque la France connait des difficultés financières et pour trouver de l’argent afin de payer ses armées.
Lors de la création de la Banque de France, Bonaparte et une partie sa famille deviennent eux-même actionnaires : trente actions sont achetées au nom du Premier Consul.

Le préfet – 1800

La fonction de préfet est créée le 17 février 1800. Nommé et révoqué par le chef de l’État, il est chargé de l’administration locale (nos services publics d’aujourd’hui) dans un département. Il dépend du ministère de l’Intérieur, même si, dans les faits, il est amené à correspondre avec différents ministres. Il nomme les maires et les adjoints des communes de moins de cinq mille habitants et guide l’Empereur dans le choix des autres. Ses tâches sont multiples et son rôle fondamental car il est un intermédiaire entre le département et l’État. Il participe à ancrer le pouvoir impérial en France. D’ailleurs Napoléon appelait ses préfets les « empereurs au petit pied » !

Le Concordat – 1801

Lorsque Bonaparte devient Premier Consul, il souhaite rétablir la paix religieuse qui est compromise dans le pays depuis la Révolution. Il entame des négociations avec le Vatican (l’État dirigé par le pape), qui aboutissent à la signature d’un concordat le 15 juillet 1801, c’est-à-dire d’un accord, diplomatique, entre la Papauté et l’État français. Celui-ci reconnait la religion catholique comme celle de la « majorité des Français » et non celle de l’État, alors que c’était le cas sous l’Ancien Régime. L’Église s’engage à ne pas revendiquer les biens acquis par l’État sous la Révolution et, en contrepartie, Napoléon promet des rémunérations correctes pour les ecclésiastiques. Le pape accepte de déléguer le contrôle de l’Église de France à l’État (c’est ce que l’on appelle le gallicanisme).
Le Concordat de 1801 exige la démission des anciens évêques, qu’ils aient adhéré ou non à la Révolution.

Le Concordat est toujours en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle; il n’est plus appliqué dans le reste du territoire français depuis la loi de séparation de l’Église de l’État de 1905.

Découvrir la couverture brodée du texte du Concordat sur le site l’Histoire par l’image.

Le lycée – 1802

Les lycées, créés le 1er mai 1802, sont des établissements d’éducation réservés aux garçons :  les langues anciennes, les mathématiques, la chimie ou encore la morale y sont enseignés, et ces enseignements sont obligatoires. Chaque lycée a, au minimum, huit professeurs, un proviseur, un censeur chargé d’assurer la discipline et un procureur pour l’intendance. Tous ces fonctionnaires sont nommés par le gouvernement. En 1808, soit six ans après leur création, on compte trente-cinq lycées en France.
Les élèves portent un uniforme bleu orné de boutons jaunes sur lequel est gravé le mot « lycée ». Une discipline très stricte est appliquée et l’organisation est semblable à celle de l’armée : les élèves sont répartis en compagnies, avec un sergent et quatre caporaux. Ils sont placés sous le commandement d’un « sergent-major », choisi parmi les meilleurs élèves. Ces véritables petites armées pratiquent régulièrement des exercices militaires.

La Légion d’honneur – 1802

Sous la Révolution française, les décorations nationales sont interdites, mais Napoléon décide de les rétablir en créant, le 19 mai 1802, la Légion d’honneur, destinée à récompenser les exploits militaires et civils.
La Légion d’honneur est dirigée par un conseil d’administration que préside le chef de l’État lui-même. Il existe une hiérarchie au sein de l’institution, avec différents grades, comme celui de chevalier, d’officier, de commandant, puis, le plus prestigieux, de grand officier de la Légion d’honneur. Sauf exception, nul ne peut atteindre un grade sans avoir d’abord été nommé au grade inférieur. Les hommes qui reçoivent cette décoration se voient attribuer une pension, appelée rente, qui varie en fonction du grade.
Marie-Angélique Duchemin (1772-1859) est la première femme à avoir été décorée de la Légion d’honneur, le 15 août 1851, par le président de la République Louis-Napoléon Bonaparte, pour avoir courageusement combattu durant les guerres de la Révolution.

Découvrir la décoration de la Légion d’honneur.

Pour en savoir plus, un petit livre pour les 12 ans et plus.

Le franc germinal – 1803

Depuis la Révolution française, la monnaie souffre d’instabilité. La France fait face à une pénurie de pièces et à une importante diffusion de fausse monnaie. La loi du 27 mars 1803 définit les normes d’une nouvelle monnaie : le franc germinal (il porte ce nom qui correspond au mois de mars dans le calendrier républicain en usage à l’époque). Désormais, cinq grammes d’argent valent un franc. L’usage des pièces devient plus rassurant pour les Français et la monnaie altérée est retirée de la circulation.
Le franc germinal est aussi un moyen efficace de propagande : sur les pièces en argent se trouve le profil de Napoléon Premier Consul puis de Napoléon Ier sous les traits d’un empereur romain avec l’inscription « Napoléon Empereur ».
C’est le président de la République Raymond Poincaré qui met fin au franc germinal le 25 juin 1928, en basant la valeur de la monnaie sur l’or, et non plus sur l’argent.

Découvrir la pièce de cinq francs à l’effigie de Napoléon !

Le livret ouvrier – 1803-1890

Créé sous le règne de Louis XVI, le livret ouvrier est rendu obligatoire le 12 avril 1803. Il s’agit d’un document délivré par la police ou la municipalité, qui suit les ouvriers dans leurs emplois successifs et qui doit être remis à chaque patron. En faisant office d’une sorte de passeport, il permet de contrôler les allées et venues sur le territoire d’une grande partie de la population. Un ouvrier ne possédant pas son livret peut être considéré comme vagabond et être emprisonné. Le livret ouvrier reste obligatoire longtemps après la chute de l’Empire : il n’est supprimé qu’en 1890.
Le livret ouvrier a renforcé le pouvoir des employeurs sur les travailleurs : si un ouvrier souhaitait quitter son emploi mais n’obtenait pas la signature de son employeur sur son livret, il n’avait aucune chance de retrouver un travail.

Découvrir le livret ouvrier d’Amable Stopin, garçon chapelier à Paris sous le Premier Empire.

Le Code civil – 1804

Promulgué le 21 mars 1804, le Code civil témoigne de la volonté de Napoléon d’unifier le droit français. Après la deuxième campagne d’Italie, qui s’achève en 1800, Napoléon demande à Cambacérès, président du Comité de Législation, de diriger une commission qui va rédiger les lois en seulement quatre mois. Parmi les auteurs, Portalis joue un grand rôle, aux côtés de Préameneu, Maleville et Tronchet. Le Code civil régit les relations sociales, par exemple entre personnes d’une même famille ou d’une même ville. L’un des aspects les plus frappants du Code civil est le renforcement de la domination du père ou du mari dans la famille : les femmes perdent des libertés accordées sous la Révolution. Néanmoins, plusieurs acquis révolutionnaires sont conservés, comme le divorce, ou encore l’égalité des enfants au moment de l’héritage. Le Code civil est complété par plusieurs autres codes, dont le Code pénal qui régit la justice en France, mis en place en 1810.

La Cour des comptes – 1807

L’Empereur crée la Cour des comptes le 16 septembre 1807, pour surveiller les comptes publics. Avec cette organisation centralisée, Napoléon souhaite rendre à la France une stabilité financière bouleversée par la Révolution française. Ainsi, la Cour devra aussi remettre en ordre la comptabilité de la décennie révolutionnaire. Elle n’a aucun droit de regard sur les dépenses du gouvernement, mais doit surveiller l’administration des finances. La cour est répartie en trois chambres : la première examine les recettes publiques, la deuxième les dépenses et la dernière les comptes des villes. À la tête de chacune d’elle se trouve un président, lui-même sous les ordres d’un premier président. Chaque membre est nommé par l’Empereur. Après cinq années de fonction, ce poste est occupé à vie.

Conclusion

Conçues pour stabiliser le pays après la Révolution, les masses de granit sont l’héritage par excellence du système napoléonien. Si leur fonctionnement a pu changer dans plusieurs aspects à travers le temps, l’essentiel de ces structures est encore employé de nos jours, plus de 200 ans plus tard.

Irène Delage et Joanna Benazet, février 2016

En complément, découvrir le livret du Brevet de collège.

Partager