Une colonne pour la Grande Armée
Construite en 113 au centre du forum à Rome, la colonne de l’Empereur romain Trajan (53-117) célébrait les victoires de ses armées contre les Daces. Elle était ornée de bas-reliefs* en pierre montés en spirale, et surmontée d’une statue de l’Empereur romain en bronze. En janvier 1798, alors que les armées françaises ont vaincu les Autrichiens qui dominaient l’Italie du Nord, le gouvernement du Directoire** veut faire transporter cette colonne à Paris, avant d’abandonner cette idée.
* Un bas-relief est une sculpture sur une surface.
** Le Directoire est le régime politique de la France de 1795 à 1799. C’est ce régime que le général Napoléon Bonaparte renverse lors de son coup d’État du 18-Brumaire (9 novembre 1799).
Sacré Empereur des Français le 2 décembre 1804, Napoléon Ier rentre victorieux de sa campagne militaire d’Allemagne de 1805 : il y a remporté la bataille d’Austerlitz le 2 décembre (un an jour pour jour après son sacre !), contre l’Empereur d’Autriche François Ier et le Tsar Alexandre Ier. En janvier 1806, il décide de consacrer la colonne de la place Vendôme à sa Grande Armée. Elle doit être construite avec le bronze des canons pris à l’ennemi.
Une bande dessinée en relief de 220 mètres de long !
Napoléon Ier charge son directeur du Musée Napoléon, Vivant Denon, de diriger l’ensemble du projet. Les architectes Jean-Baptiste Lepère et Jacques Gondouin imaginent une colonne haute de 44 mètres, constituée d’un fût en pierre sur lequel sont fixées des plaques de bronze. Au nombre de 425, elles s’enroulent en spirale jusqu’aux pieds de la statue : une curieuse idée, qui fait qu’il est impossible de voir l’ensemble des reliefs.
Vivant Denon demande au peintre Pierre-Nolasque Bergeret de dessiner les scènes de la campagne de l’Empereur : le camp de Boulogne-sur-Mer face à l’Angleterre, le départ de l’armée, les batailles, jusqu’au retour de l’Empereur à Paris à la tête de sa Garde le 26 janvier 1806. L’exécution est confiée à une équipe d’une dizaine de sculpteurs.
Trois statues pour un symbole historique
Le sculpteur Antoine Chaudet choisit de représenter Napoléon en empereur romain, le front ceint d’une couronne de lauriers, tenant dans sa main gauche une Victoire ailée, dans sa main droite un glaive baissé. La colonne est inaugurée le 15 août 1810, jour anniversaire de Napoléon Ier. Mais il n’assiste pas à la cérémonie : quelques mois plus tôt, il a épousé Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche, fille de l’Empereur dont la colonne rappelle justement la défaite le 2 décembre 1805…
Le 31 mars 1814, les Alliés contre Napoléon entrent en vainqueur dans Paris. Quelques jours plus tard, Napoléon abdique (c’est-à-dire qu’il abandonne le pouvoir) à Fontainebleau puis doit partir en exil sur l’île d’Elbe. La statue réalisée par Chaudet est alors descendue par les vainqueurs, et remplacée en haut de la colonne par un drapeau orné d’une fleur de lys : c’est le symbole du roi Louis XVIII et du nouveau régime, la Restauration (1814-1830).
L’Empereur meurt en exil sur l’île de Sainte-Hélène le 5 mai 1821. Les années passant, la popularité de l’Empereur devient plus grande sous la Monarchie de Juillet (1830-1848). Soucieux d’en profiter, le roi Louis-Philippe décide en 1831 l’installation d’une nouvelle statue de Napoléon. Le sculpteur Charles-Émile Seurre choisit une image populaire de l’Empereur : vêtu de sa redingote et de son chapeau, la main gauche glissée dans son gilet et la poitrine ornée de l’étoile de la Légion d’honneur, c’est le Napoléon en « petit caporal », le chef proche de ses soldats à qui il tirait l’oreille pour les complimenter de leur courage !
Devenu en 1852 le nouvel Empereur dans la lignée de son oncle, Napoléon III fait remplacer en 1863 la statue de Seurre, par une nouvelle version de Napoléon Ier en Empereur romain, œuvre du sculpteur Auguste Dumont.
La statue de Napoléon en « petit caporal » est alors placée au centre du rond-point de Courbevoie, au-delà de la place et de l’arc de triomphe de l’Étoile.
Et la colonne tomba…
En 1870, l’Empire de Napoléon III est vaincu par les Prussiens. L’année suivante, en 1871, une partie de la population parisienne se soulève contre le nouveau gouvernement français et les nouvelles autorités de la ville : c’est la Commune, un mouvement insurrectionnel de mars à mai 1871. Le 12 avril 1871 il décide la destruction de la colonne Vendôme, le « symbole de force brute et de fausse gloire ». Le 16 mai, le monument est scié à la base et s’effondre devant une foule nombreuse. Avec la fin de la Commune, le nouveau gouvernement décide que la colonne sera réparée et relevée, ce qui est fait le 28 décembre 1875.
La colonne Vendôme est classée au titre des Monuments Historiques depuis le 31 mars 1992.
À savoir…
Une des plus belles vues de Paris
La colonne Vendôme repose sur un piédestal orné de bas-reliefs aux motifs guerriers. Il cache un escalier intérieur de 176 marches qui conduit tout en haut du monument, au pied de la statue de Napoléon, offrant une des plus belles vues de Paris.
L’affaire Gustave Courbet
Le peintre Gustave Courbet, fervent Communard, avait lancé l’idée de la destruction de la colonne Vendôme. Après la chute de la Commune, il est condamné en 1873 à payer la restauration de la colonne. Mais il meurt le 31 décembre 1877 avant d’avoir versé le moindre centime.
Comment la statue de Napoléon en « petit caporal » est-elle arrivée aux Invalides ? Lors de la capitulation de Napoléon III en 1870, des Parisiens décident de déplacer la statue pour la cacher. Transportée sur la Seine, elle tombe dans le fleuve, mais est repêchée et conservée plusieurs années dans des entrepôts à Paris. Elle est installée le 11 mars 1911 à l’hôtel national des Invalides, qui était depuis Louis XIV un hôpital et un hospice pour les militaires invalides et blessés. Napoléon s’intéressa beaucoup à cet établissement et au sort de ses soldats.
L’hôtel national des Invalides héberge aujourd’hui le musée de l’Armée, et le dôme, construit à côté, abrite le tombeau de Napoléon.
Irène Delage, septembre 2014
Video
– Musée de l’Armée, Invalides, Paris : déplacement de la statue de Napoléon Ier par Seurre, pour restauration (2014)
En savoir plus sur la Colonne Vendôme : le monument et son histoire