Napoleon.org : Comment Las Cases s’est-il retrouvé à Sainte-Hélène ?
François Houdecek : Las Cases est issu d’une famille de vieille lignée nobiliaire et ne reconnut l’Empire qu’en 1809. Marin de formation, il passa une partie de la Révolution en émigration en Angleterre, période pendant laquelle il rédigeât un Atlas qui rencontra dès sa sortie un certain succès et lui permit de vivre confortablement. Après s’être porté volontaire pour contrer le débarquement britannique de Walcheren, il fut nommé Chambellan de Napoléon et auditeur au Conseil d’État. Grâce à sa fonction, il fréquenta la cour impériale et s’attacha à la personne de Napoléon. Sa fidélité s’exprima notamment lorsqu’il refusa de siéger au Conseil d’État pendant la 1re Restauration. Au retour de l’île d’Elbe de Napoléon, Las Cases reprit immédiatement sa place. Après Waterloo, toujours dans le cadre de sa fonction de chambellan, il suivit le groupe de fidèles qui accompagna Napoléon de Rochefort au Bellérophon. Sa connaissance de l’anglais le rendit quasi indispensable pendant ces quelques jours et justifiait tout naturellement sa place parmi ceux qui devaient accompagner le souverain déchu à Sainte-Hélène.
Napoleon.org : Comment Las Cases travaillait-il avec Napoléon ?
François Houdecek : Lors du voyage vers Sainte-Hélène, Napoléon commença à rédiger ses Mémoires et conversa plus librement avec ses compagnons de voyage. Une intimité plus particulière avec Las Cases naquit très vite. Cette place d’interlocuteur privilégié de l’Empereur provoqua même quelques jalousies au sein des exilés. À partir du 21 juin 1815, Las Cases pris pour lui des notes sur les événements qui se déroulaient sous ses yeux, non sans arrière-pensées. À bord du Northumberland puis à Sainte-Hélène, sitôt les conversations avec Napoléon achevées, il les retranscrivait et son fils Emmanuel remettait les notes paternelles au propre quotidiennement. Cette tâche de mise au propre était d’autant plus importante que Las Cases souffrait d’une très mauvaise vue. Napoléon était parfaitement au fait de ce travail, comme de tout ce qui se passait à Longwood, du reste. Il encouragea l’œuvre entreprise par le père et le fils. Las Cases put lui faire lire des extraits du Journal et l’Empereur donna son assentiment à sa future publication.
Napoleon.org : Comment Las Cases prépara-t-il ses manuscrits pour la publication ?
François Houdecek : Lorsqu’il put enfin récupérer ses papiers, après leur confiscation par les Britanniques à son départ de Sainte-Hélène, Las Cases décida que le manuscrit en l’état manquait de « chair » et décida de reprendre son travail. À l’aide de probables notes, de sa mémoire, en conversant avec ses anciens compagnons d’exil ou en consultant les Mémoires publiés en 1822 par le premier médecin de Napoléon à Sainte-Hélène, Barry O’Meara, il s’attacha à « tirer la ligne ». En prenant garde à ne pas froisser le gouvernement royal français, il ajouta des anecdotes et des pages entières de textes issus des Mémoires de Napoléon sur le Directoire, l’Italie ou l’Égypte. Par ailleurs, Las Cases ajouta des souvenirs qui lui étaient personnels, sur son émigration révolutionnaire ou son Atlas, laissant croire au lecteur que Napoléon voulait toujours en savoir plus sur la vie de son secrétaire. Il alla plus loin en plaçant dans la bouche de Napoléon des maximes, désormais passées dans la légende, que le manuscrit de la British Library ne comporte aucunement. Napoléon a-t-il vraiment dit « Quel roman que ma vie » ou cet aphorisme est-il dû au génie et au sens propre de la formulation de Las Cases ? Pour l’heure, il est impossible de trancher.
Compléments :
Voir une interview de Thierry Lentz sur la copie retrouvée de l’original de Las Cases (durée : 40 min)
Lire une interview en trois questions de Peter Hicks sur la découverte du manuscrit à la British Library
Lire une interview de Chantal Prévot sur L’histoire de la publication du Mémorial de Sainte-Hélène
► Consultez le dossier thématique « Le Mémorial de Sainte-Hélène d’Emmanuel de Las Cases » (2023)