Une chronique de Valérie Durand : Vichy, élue « Reine des Villes d’Eaux » par l’Empereur, et joyau du patrimoine mondial par l’UNESCO

Auteur(s) : DURAND Valérie
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Le 24 juillet 2021, les onze villes les plus représentatives du thermalisme européen ont été inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO, sous le nom de « Great Spas of Europe ». Parmi ces stations thermales, une seule est française : Vichy. Merci Napoléon III ! Celui qui avait nommé la cité auvergnate « Reine des Villes d’eaux », modelé son urbanisme et fait sa renommée internationale, aurait été intéressé de la voir associée dans cet attelage patrimonial à… Bad Ems, dont les marécages diplomatiques lui furent si funestes.

Une chronique de Valérie Durand : Vichy, élue « Reine des Villes d’Eaux » par l’Empereur, et joyau du patrimoine mondial par l’UNESCO
Valérie Durand © Day-Click 2018

L’intérêt exceptionnel de ces villes pour l’héritage commun de l’humanité réside à la fois dans leurs vertus universelles et historiques. Ces cités, où pratiques médicales et mondaines se marient, ont « contribué à la création de la culture européenne », comme le rappelle le maire de Vichy Frédéric Aguilera. La commune française, façonnée comme un laboratoire du Second Empire, en est désormais officiellement la référence nationale la plus reconnue internationalement. Elle a en effet joué un rôle majeur dans ce rayonnement de la culture thermale de notre continent depuis le XIXe siècle. Et c’est aussi un peu grâce à Napoléon Ier…

En 1812, l’Empereur est en route vers Moscou avec sa Grande Armée. Il ordonne par décret la création du Parc des Sources, autour des sources Chomel et Grande Grille, au cœur de Vichy. Si l’initiative peut sembler improbable, prise en ces lieux et en ce moment, elle trouve son explication dans le lien d’un fils honorant une promesse faite à sa mère. Letizia Bonaparte, venue en cure en 1799, était tombée sous le charme de la station, connue depuis l’Antiquité gallo-romaine (alors sous le nom d’Aquis Calidis – « Eaux chaudes ») et louée pour ses bienfaits médicinaux par Madame de Sévigné ou plus tard par les filles du roi Louis XV. Un charme toutefois gâté par la présence de marécages, peu au goût de la mère de celui qui n’est alors pas encore Premier Consul. Il doit y remédier, quelques batailles plus tard. En 1806, déjà conscient de l’enjeu économique et du lustre que représentent les villes thermales, l’Empereur promulgue une loi autorisant celles-ci à se doter d’établissements de jeux, alors interdits partout ailleurs par le Code civil de 1804. D’autres stations jouissent depuis quelques décennies d’une certaine renommée, un peu partout en Europe. On s’y soigne, on s’y montre, on y parlemente et on y joue. Pas question que celles de l’Empire fassent pâle figure, en n’incluant pas sa part de loisirs.

Parc des Sources, Vichy © Ville de Vichy

Ce n’est cependant qu’après 1850 qu’apparaît l’usage du terme (sans « h » !) de « ville d’eau ». Sont ainsi désignées celles qui comptent plusieurs infrastructures d’exploitation d’une ou de plusieurs sources reconnues pour leurs vertus thérapeutiques. Le neveu de Napoléon Ier en goûte lui-même les avantages depuis quelques années, lorsqu’il découvre Vichy en 1861. Habitué à multiplier les cures à Plombières-les-Bains, où il va soigner ses rhumatismes, et où il avait séjourné avec sa mère la reine Hortense durant sa petite enfance, le nouvel Empereur des Français ne trouve pourtant pas pleine satisfaction pour sa santé dans les eaux de la station vosgienne. À Plombières résulte tout de même une alliance militaire avec l’Italie contre l’Autriche, et une réorganisation territoriale de la botte, puisque la ville fut le théâtre d’une entrevue secrète entre Cavour et Napoléon III, le 21 juillet 1858. Un exemple fructueux de ce que son ministre des Affaires étrangères Gabriel Hanotaux appelle la « diplomatie thermale ». Cette tradition, déjà éprouvée au XVIIIe siècle entre les cours européennes, est perpétuée jusqu’au XXe siècle au moins, faisant des noms de ces villes thermales accueillant chefs d’État et diplomates, des repères historiques, de Biarritz à Évian, en passant par Ems et Bad Kissingen. L’enjeu de ces lieux, où corps et esprits doivent être à leur mieux, est alors, plus que jamais, à la fois médical, politique et économique. En France, le décret de loi impérial du 28 janvier 1860 réglementant les établissements thermaux établit que l’usage des eaux ne dépend pas d’une prescription médicale, et que rien n’oblige un curiste à consulter un médecin sur place. La prospérité des stations prend ainsi le pas sur la recommandation médicale. Le pays entre dans l’ère du tourisme, une nouvelle industrie dont il faut favoriser l’essor. Le thermalisme en est une cheville ouvrière. Les villes d’eaux se dotant de toujours plus d’hôtels, le nombre de visiteurs étrangers triple entre 1850 et 1870.

Buste de Napoléon III du sculpteur Jean-Auguste Barre (1811-1896), fondu dans les ateliers L’Huillier de Lapalisse, placé en 1991 dans le parc Napoléon III à Vichy, boulevard des États-Unis (anciennement boulevard Napoléon III)
© Fondation Napoléon / Valérie Durand

Mais revenons à Vichy, que l’Empereur découvre en juillet 1861, en pleine montée de cette nouvelle « fièvre thermale ». C’est aux docteurs Conneau et Alquié qu’on doit le choix de la commune bâtie sur les bords de l’Allier comme lieu de villégiature impérial. Les cinq sources minérales de Vichy produisent des eaux chargées en bicarbonate de sodium et en gaz carbonique et autres oligo-éléments, et sont notamment reconnues pour soigner les maux du foie, de l’estomac et de l’intestin. Les médecins imaginent alors y trouver le meilleur remède aux douleurs du souverain. On découvre plus tard qu’il souffre de « la maladie de la pierre », et que c’est précisément tout ce qu’il lui faut éviter. Encore ignorant de cet écueil médical, l’Empereur tombe amoureux de Vichy. Forte de ses 2000 ans d’histoire, l’heureuse élue doit mériter le rang de « Reine des Villes d’Eaux » que celui-ci lui décerne déjà.

CREMIERE Léon (1831-1913), M. le Docteur Conneau, Premier Médecin de l’Empereur
© Fondation Napoléon

Comme il le fit notamment pour Plombières ou Luz, dans les Pyrénées, Napoléon III, dès son premier séjour en 1861, ordonne la construction d’infrastructures urbaines et de bâtiments publics destinés à promouvoir l’essor de la ville. Le plan d’urbanisme comprend la construction d’une gare, d’un hôtel de ville, et d’extraordinaires jardins à l’anglaise. La bonne société y est donc comme dans le Paris moderne, le Paris haussmannien… et peut-être mieux encore. Car bientôt est construit un casino – ce qu’on n’a pas à la capitale -, inauguré la même année que l’église Saint-Louis, en 1865. On peut ainsi, une fois baptisé par les eaux de la Source des Célestins, se laisser aller à quelque démon du jeu, avant de se repentir auprès de monsieur le curé. Pour sa propre résidence, et celle de sa Cour et de sa Maison, Napoléon III fait aussi bâtir une série de chalets, le long du parc qui aujourd’hui porte son nom, ainsi que, tout près, plusieurs villas d’inspiration anglo-normande pour sa Garde impériale. « Je me plais à Vichy plus que nulle part ailleurs, car tout cela est ma création », déclare l’Empereur en 1864. Vichy, peut-être plus que toute autre ville, devient, en moins de cinq ans, le laboratoire urbain du flamboyant Second Empire. Les luxueux hôtels, les villas, les cafés, les promenades, le Casino, le théâtre, ouvrant la voie à l’Opéra (construit en 1903), les jardins d’agrément et, bien sûr, les thermes de plus en plus sophistiqués avec les fameux soins qui y sont prodigués : tous les ingrédients sont réunis pour attirer têtes couronnées et artistes, qui feront la renommée internationale de Vichy. La Belle Époque prolongera l’œuvre impériale par de nouveaux joyaux Art Nouveau. Une renommée et des atouts qui lui vaudront, hélas, d’être de nouveau choisie par un autre gouvernement français, auquel sera accolé son nom pour une plus funeste postérité.

Napoléon III ne s’y serait pas mieux pris s’il avait pu proposer la candidature de la ville de Vichy au titre de « Patrimoine mondial de l’Humanité », unique représente française sélectionnée aux côtés des sublimes Karlovy Vary, Marienbad, Spa, Bath, Baden Baden, et autres splendeurs thermales européennes. Celle-ci possède en son jeu toutes les cartes pour emporter la mise : la tradition thermale millénaire, la modernité de son architecture et les éléments d’une culture transnationale. Visiter Vichy en 2021, c’est découvrir un patrimoine préservé, où une mémoire lucide est respectueusement entretenue. C’est faire une cure d’Histoire française moderne.

Valérie Durand, Octobre 2021
Valérie Durand est responsable des réseaux sociaux à la Fondation Napoléon

Titre de revue :
inédit
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